ALM : Pourriez-vous nous présenter les principaux axes qui seront abordés lors du séminaire de formation à la chirurgie de guerre ?
Pr Philippe Willems : La formation imposée pour la prise en charge des victimes d’un attentat terroriste est motivée par les caractères particuliers d’un acte terroriste. Cet événement étant en effet imprévisible et crée une masse de blessés. Cette situation est comparable à celle des unités médico-militaires en zone de combat. C’est pourquoi l’expérience militaire est utilisée pour faire face aux attentats terroristes. Cette formation s’effectuera en 3 axes. Le premier traitera de l’organisation générale à mettre en place dans une telle situation. Les deux autres concernent le personnel médical. Concrètement, l’organisation générale est activée dès que l’attentat est connu. Elle est animée par des médecins logisticiens. Elle met en action une planification qui organise 2 opérations : l’une qui est la médicalisation du site, l’autre opération est l’alerte hospitalière. Celle-ci permet le traitement des blessés. La planification prévoit les moyens médicaux, personnels et matériels qui sont projetés sur le site.
Quelles sont les principales différences avec la chirurgie classique ?
Ce qui est différent après un attentat c’est le contexte. Habituellement, les chirurgiens aux urgences savent le nombre de patients qu’ils ont à opérer. Après un attentat, ils ont à opérer une vague de blessés mais ils savent qu’une autre vague va arriver. La préparation des blessés est réduite au strict minimum. Les examens sont limités. Il n’est pas possible de perdre du temps pour des examens sophistiqués, une radio n’est pas toujours possible. Il n’y a pas de prélèvements biologiques autres que le groupage sanguin. Les seuls renseignements que possèdent les chirurgiens sont ceux fournis par un examen médical rapide. L’ambiance est stressante et use rapidement le personnel. Les procédures opératoires sont réduites aux gestes les plus simples, les plus efficaces du damage control. Cette procédure répond aux impératifs de rapidité qui selon l’expérience militaire est le facteur qui permet de sauver le maximum de blessés graves. Les blessés seront opérés à plusieurs reprises. Au fil des interventions suivantes, les techniques de reconstruction plus laborieuses seront utilisées. Ce qui reste semblable dans les interventions, ce sont les gestes de base, une suture ou une résection intestinale, une colostomie, l’abdomen n’est pas refermé. Au niveau des membres le parage sera refait, un fixateur externe immobilise une fracture, les plaies sont laissées ouvertes.
Qu’est-ce que cela suppose-t-il en termes de compétences chez les médecins chirurgiens?
Les compétences des médecins, des urgentistes, des anesthésistes, des chirurgiens ne sont pas modifiées. Elles devront pourtant s’adapter pour sauver le maximum de blessés. Ce sont surtout les praticiens qui vont être envoyés sur le lieu de l’attentat qui devront apprendre à gérer le contexte. La seule façon d’être efficace dans le chaos du site c’est l’entraînement. En France, ce sont des équipes du SAMU et des sapeurs-pompiers habitués à la prise en charge des polytraumatisés qui sont préparés à faire face à des dizaines de victimes sans perdre de temps. Au bloc opératoire les chirurgiens utilisent systématiquement les procédures du damage control qui sont utilisées dans les services d’urgences.
La logistique et les instruments médicaux sont-ils les mêmes que la chirurgie classique ?
C’est surtout sur le lieu de l’attentat que la logistique a un rôle important. Le site est un lieu de désordre, de cris, de désorientation, d’angoisse, ce chaos va devoir être médicalisé. L’équipe médicale doit imposer l’ordre. Les médecins responsables délimitent les zones où sont recueillis les blessés, une zone où les victimes sont triées, une zone où les valides sont rassemblés. Une zone administrative permettra de collecter les identités des victimes et communiquera avec le PC et les hôpitaux. Cette zone donne des informations aux medias et aux familles. A l’hôpital les lits du service d’urgences qui accueillent les patients sont libérés et augmentés comme ceux du service de réanimation. Le programme du bloc opératoire est arrêté. L’hôpital rappelle les personnels prévus et entraînés pour ce genre de circonstance. La logistique des matériels est assurée par un médecin responsable au niveau du site et des urgences à l’hôpital. Ce sont des pansements, du matériel de réanimation, des garrots et des attelles qui sont le plus souvent employés sur le site. A l’hôpital les besoins en matériels sont sensibles au bloc opératoire où les boîtes d’instruments sont largement utilisées. Dans les expériences d’attentat les fixateurs externes pour traiter les fractures manquent souvent. Le dernier élément qui est particulièrement consommé ce sont les produits sanguins. Cette demande peut nécessiter l’appel à des donneurs.
Quelles sont les consignes à suivre dans des scénarios catastrophes par le corps médical dédié à porter secours aux victimes ?
Les praticiens doivent accepter de changer d’éthique. Devant une masse de blessés le principe n’est plus le maximum de moyens pour sauver un patient mais le maximum de moyens pour sauver le maximum de blessés. Les praticiens doivent s’adapter à prendre en charge le maximum de blessés et non plus un seul patient. C’est l’entraînement qui permet l’efficacité pour faire face à ces situations de catastrophe imposées par les terroristes.