ALM : Le dossier de la CNSS vient d’être transmis à la Cour Spéciale de Justice. En tant que président de la commission parlementaire à l’origine du rapport de mai 2002, quel est votre commentaire ?
Rahou El Hilaa : Ce geste est assurément un signal fort. La volonté de respecter les institutions est manifeste. Nous ne pouvons qu’applaudir. La justice doit se prononcer.
Selon vous, pourquoi l’autorité de tutelle a pris tant de retard ?
Certaines personnes trouvent que le temps n’est pas encore venu pour traiter ces dossiers sensibles. L’attrait des investissements a été érigé en priorité nationale. Des craintes sont ainsi nourries au sujet de l’effet négatif que peut entraîner le traitement de ce genre de dossiers. Personnellement, je pense que traiter un scandale à livres ouverts peut être positivement interprété à l’extérieur. Nous disons aux autres que nous sommes transparents. C’est plutôt positif. D’un autre côté, je pense que le Parlement devrait se saisir d’autres dossiers. Ainsi, le dossier BNDE a été rapidement éliminé de l’échiquier financier sans aucun droit de regard. Il y va de même pour la BCP, l’OCP, la RAM ou d’autres dossiers sensibles.
Alors que la CSJ s’est déclarée incompétente au sujet de la BCP, le dossier de la CNSS lui a été confié ? En plus, il est question de la supprimer ? Ne trouvez-vous pas qu’une contradiction est à relever ?
C’est assurément une question de temps. Sur le principe, nous sommes également pour l’élimination de la CSJ. Nous aurions aimé confier notre rapport à une juridiction ordinaire. La loi étant ainsi faite, la CSJ reste un passage obligé. Franchement, le point négatif de cette instance reste que seul le ministre de la Justice a la latitude de différer les dossiers. C’est réellement un frein. Par conséquent, nous n’avons pas le droit de passer outre. Je tiens à signaler, toutefois, qu’aucune commission ne peut se substituer à la justice. Elle ne peut que constater. Notre travail à d’ailleurs relevé un ensemble de dysfonctionnements de cette instance.
À l’issue de votre enquête, quel résumé faites-vous des manquements constatés ?
Notre constat était sans appel. La volonté d’entretenir l’absence d’un système structurant était, le long des exercices, bien manifeste. Aucune organisation efficiente n’a été mise en place. La comptabilité, si elle existait, ne répondait pas aux normes standardisées. Le système d’information était obsolète. S’en est suivi une dilapidation des deniers publics. Ainsi, les cotisations non encaissées se chiffraient à plus de 20 milliards de DH. Les dépenses, non justifiées, étaient colossales. La subvention annuelle des polycliniques atteignait les 400 millions de DH, soit l’équivalent de 6 milliards de DH de subventions qui n’ont pas de raison d’être. L’entente préétablie sur les marchés passés était manifeste. En plus, les pièces justificatives se sont évaporées. La gestion du personnel dépassait les 12 % du budget de fonctionnement à la CNSS contre 8 % ailleurs. Les recrutements injustifiés, ainsi que les salaires fictifs étaient légion. Pis, les dépenses du Compte France, initialement mis en place pour les MRE, étaient incontrôlables. Je vous laisse imaginer les abus orchestrés.
Quel est votre regard sur l’évolution de la restructuration de la Caisse depuis votre enquête ?
Comme je l’ai annoncé, nous sommes en présence d’un système voulu. Pour que l’assainissement soit total, il faut du temps. J’ai gardé personnellement attache avec des personnes de l’intérieur. J’ai l’impression que les choses se redressent. Il faut qu’un nouveau système, initié courageusement par l’équipe en place, supplante l’ancien. Notre rapport se veut comme base à une éventuelle nouvelle donne allant dans ce sens.
Etes-vous pour l’idée de tourner la page des dossiers sensibles autres que celui de la CNSS ?
Je suis personnellement contre la chasse aux sorcières. Mais ce n’est pas pour autant que l’on doit légitimer l’impunité. L’édification de l’Etat de droit doit se poursuivre. Toutefois, pour des raisons d’Etat, des circonstances atténuantes peuvent être avancées. Les ramifications de certains dossiers, le CIH en tête, renseignent sur cet aspect. Mais il est impératif que la justice dise son mot. Et pas que pour récupérer les deniers publics, mais pour couper court à toute intention malsaine de malversation, de détournement et d’autres abus.