La course contre la montre est lancée pour les secteurs et produits ciblés par le mécanisme d’ajustement de la taxe carbone aux frontières de l’Union européenne (CBAM). Soumis à une période transitoire qui démarre en octobre 2023, ce mécanisme impose un prix à payer pour les biens exportés vers l’Europe pour leur émission de carbone.
Directement concerné par le CBAM qui prendra effet dès le 31 décembre 2025, le Maroc qui exporte les 2/3 de ses produits vers l’Europe se prépare à franchir ce nouveau cap pour rester à la fois compétitif et efficient. Toutefois, le tissu industriel marocain est-il prêt dans son ensemble à s’insérer dans cette transformation verte? Quel accompagnement offre l’Etat aux industriels dans ce sens ? Comment calculer ses émissions de gaz à effet de serre? Et pour quel coût ? … Afin de répondre à ces questions et décrypter les enjeux de cette nouvelle donne, Aujourd’hui Le Maroc, filiale du Groupe Caractères, a organisé le 9 mars 2023 une conférence-débat sous le thème «La décarbonation de l’industrie : Impératifs, enjeux et perspectives».
Etat des lieux
Le Maroc a anticipé il y a quelques années déjà des projets d’exploitation des énergies renouvelables en faveur de l’industrie. Cet état de fait est un atout pour le pays. «Le Maroc n’a pas attendu le CBAM ou le Green Deal pour décarboner», affirme d’emblée Ryad Mezzour, ministre de l’industrie et du commerce, rappelant à cet effet les efforts colossaux faits par le pays dans le développement des énergies renouvelables.
De plus, près de 65% des 12.000 unités industrielles actives au Maroc datent de moins de 12 ans et par conséquent sont déjà conformes aux normes internationales. «Si on prend comme exemple l’industrie automobile, l’usine Renault de Tanger est net zéro déjà. Donc encore une fois pas d’inquiétude», tempère-t-il. En revanche, la partie plus ancienne et/ou traditionnelle restante du tissu industriel devra être modernisée. A ce stade, les produits ciblés par le CBAM sont le ciment, le fer et l’acier, les engrais, l’aluminium et l’électricité ainsi que l’hydrogène, certains matériaux de base utilisés comme intrants dans la production des produits CBAM et quelques produits en aval comme les vis et les boulons. Par secteur, le ministre a mis en avant le programme d’investissement vert d’OCP qui se base sur l’hydrogène vert et le dessalement de l’eau de mer. Pour les autres activités, le risque ne se présente pas. Ryad Mezzour y voit plus «une opportunité à saisir (…) ce n’est pas un enjeu de peur mais un enjeu de développement».
Tout est mis en place pour que les entreprises puissent s’insérer dans le processus de décarbonation.
Accompagnement et financement : Vers qui se tourner ?
Tout est mis en place pour que les entreprises puissent s’insérer dans le processus de décarbonation. C’est en tout cas ce que souligne Ryad Mezzour précisant par ailleurs qu’il reste seulement quelques ajustements réglementaires à faire. Concrètement, un chef d’entreprise peut se rendre à Maroc PME qui l’orientera vers un expert agréé s’il veut faire une étude. Celle-ci sera financée jusqu’à 90% par l’Etat. De même, le projet d’investissement qui en découle sera appuyé à hauteur de 30%. «Les banques soutiennent aussi les entrepreneurs à travers des prêts dédiés à la décarbonation», ajoute le ministre.





Une économie des coûts «intéressante»
De son côté, Said Mouline, DG de l’AMEE, explique que le Maroc «a un potentiel renouvelable tellement compétitif qui fait qu’on peut changer de modèle. Il s’agit non seulement de décarboner mais de baisser la facture énergétique des industriels», relevant que décarboner c’est économiser tous les intrants dont l’énergie, l’eau et les matières premières. A présent, la question se pose de savoir s’il est coûteux de s’orienter vers les énergies renouvelables pour couvrir son électricité de production. Pour Khalid Semmaoui, président de l’Association marocaine de l’industrie solaire et éolienne (Amisole) et Pdg de la société Green Yellow, «s’il s’agit d’un investissement direct, on parle d’un retour d’investissement qui varie entre 4 et 5 ans». Il précise par ailleurs que si c’est un projet financé par un prestataire ça revient un kilowattheure moins cher que le prix d’achat d’électricité aujourd’hui (entre 5 et 30%).
Khalid Semmaoui a également relevé l’importance des deux lois adoptées, à savoir la loi sur les énergies renouvelables et la loi sur l’autoproduction. Ces textes permettent entre autres de s’ouvrir vers la moyenne tension. Sur le plan financier, les banques sont prêtes à accompagner les entreprises à décarboner mais reste prudentes quand il s’agit de celles qui ne le font pas. Et pour cause : si l’entreprise industrielle n’est pas compétitive maintenant ou les prochaines années, elle risque d’avoir des difficultés. «Nous en tant que banque on ne va pas aller vers un projet où on sait que l’entreprise va perdre ses débouchés. En fait, c’est la première des choses qui fait que les banques ont envie d’accompagner les entreprises dans leur transition énergétique parce que ceux qui ne le font pas ne seront plus là pour nous payer», déclare François Marchal, DG de la Société Générale au Maroc. Les projets dédiés à la décarbonation sont plus faciles à obtenir ou à octroyer par rapport aux autres projets.
Le Maroc a anticipé il y a quelques années déjà des projets d’exploitation des énergies renouvelables en faveur de l’industrie.
Calculer son empreinte carbone
Intervenant lors de cette conférence-débat, Nasma Jaroudi, experte en dévellopement durable auprès de la Fondation Mohammed VI pour la protection de l’environnement a invité les chefs d’entreprises à consulter un guide de décarbonation mis en place par la CGEM et l’outil de calcul de décarbonation développé par la Fondation et ses partenaires depuis 2013 et qui a été mis à jour en 2022. «Il s’agit d’un calculateur des émissions de gaz à effet de serre qui permet de calculer l’empreinte carbone des produits ou bien le bilan carbone des organisations», explique-t-elle.
Et d’ajouter : «Nous travaillons sur un système de reconnaissance du bilan carbone marocain pour calculer avec un outil marocain à la disposition des entreprises». Avec l’Imanor, la Fondation travaille sur la formation des experts en bilan carbone, y compris des vérificateurs. Dans le même sens, plusieurs formations gratuites sont développées, destinées aux experts et aux consultants qui vont calculer les bilans carbone au sein des organisations mais aussi les cadres au niveau interne des entreprises.

Locomotives Le Maroc tient à renforcer sa compétitivité. Durant la période transitoire du CBAM allant du mois d’octobre 2023 jusqu’au 31 décembre 2025, les entreprises exportatrices locomotives des secteurs concernés seront prêtes. C’est ce qu’a assuré le ministre de l’industrie et du commerce précisant que pour les autres secteurs, son département va continuer à faire le suivi et accélérer le processus.

L’AMEE s’associe à l’EFE-Maroc
Former les jeunes dans le domaine de l’efficacité énergétique est un impératif pour atteindre les objectifs fixés par le Maroc dans ce secteur. C’est dans cet esprit que l’Agence marocaine pour l’efficacité énergétique (AMEE) et la Fondation marocaine de l’éducation pour l’emploi (EFE- Maroc) ont procédé lors de cette rencontre organisée à Casablanca à la signature d’une convention-cadre. Cet accord signé du côté de l’AMEE par son directeur général Said Mouline et du côté de l’EFE-Maroc par Houda Barakate, sa directrice générale, concerne essentiellement le renforcement des capacités des jeunes dans le secteur de l’efficacité énergétique. Elle couvre la formation des micro-entrepreneurs dans l’économie circulaire et l’économie verte. La part technique est apportée par l’AMEE. L’EFE-Maroc s’occupe de la partie Soft Skills pour accompagner les jeunes dans ce domaine. Engagée dans le processus de décarbonation, l’AMEE dispose par ailleurs de plusieurs programmes de formations dans le domaine des énergies renouvelables et en particulier dans le domaine de l’efficacité énergétique.
Son expertise lui permet de couvrir des thématiques liées à l’efficacité énergétique dans différents secteurs comme le bâtiment, l’agriculture, l’industrie, le transport ou encore l’éclairage public.
En effet, son programme de formation en 2023 comprend la mobilité durable, les techniques d’efficacité énergétique dans le bâtiment et dans l’industrie. Créée en 2008, l’EFE-Maroc est une association qui a pour mission de donner à la jeunesse marocaine les compétences et les opportunités nécessaires pour une insertion réussie dans le marché du travail.

Ryad Mezzour, ministre de l’industrie et du commerce
«Le Maroc ne doit pas rater le train de la décarbonation. Elle n’est pas seulement un enjeu humaniste du Maroc. C’est le résultat d’une vision qui permet à notre pays de prendre ses responsabilités par rapport au développement durable et aussi de renforcer sa compétitivité et de créer des emplois»
Said Mouline, DG de l’AMEE
«La décarbonation de l’industrie est importante pour des raisons économiques et écologiques». «Nous disposons sur le site de l’AMEE d’un guide de la finance verte qui montre toutes les lignes de financements disponibles pour les industriels».
François Marchal, DG de la Société Générale Maroc
«La décarbonation est une formidable opportunité pour le Maroc qui a une proximité géographique avec l’Europe et une grande ambition sur tout ce qui est énergies renouvelables»