Maria Zouini : Un rêve brisé
Maria Zouini voulait devenir médecin. Mais le sort en a décidé autrement. Dès son jeune âge, Maria était une militante convaincue au sein de la gauche marxiste. Elle a été arrêtée à l’âge de 18 ans, un jour d’été, le 8 juin 1977, alors qu’elle venait de réussir le concours d’accès à la faculté de médecine de Rabat. Maria était une fille brillante. Elle a été arrêtée, avec son frère Rachid, au domicile familial. Après une nuit passée au commissariat de Jamaâ El Fena, les membres des services de sécurité, « habillés en civil », sont venus chercher le groupe des jeunes marxistes pour les transférer vers le centre de Derb Moulay Cherif. C’est l’enfer qui les attendait. Maria a rencontré dans ce camp de détention, où plusieurs militants de gauche ont trouvé la mort, d’autres femmes et filles. C’est le cas de Latifa Jbabdi, actuellement militante féministe et membre de l’IER ou Khadija Boukhari (professeur). Six mois de tortures et d’humiliation où les bourreaux n’ont eu aucun respect ni pour le jeune âge de ces détenues, ni pour leur nature féminine. Les menaces de viol étaient de mise. Après Derb Moulay Cherif, Maria Zouini a été transférée vers la prison de Ghbiyla à Casablanca où elle est restée un mois avant d’être déférée vers la prison de Meknès pour un autre séjour d’un an. Zouini a été libérée à la suite d’un non-lieu.
Mustapha Laâmrani : Le résistant désabusé
Le témoignage de Mustapha El Amrani est revenu sur une période sombre de l’histoire du Maroc, où, comble de l’injustice, des dizaines, voire des centaines d’anciens combattants et membres de l’armée de libération nationale auraient été purement et simplement liquidés. La responsabilité de partis politiques comme l’Istiqlal est sérieusement avancée par des témoins toujours en vie. Mustpaha El Amrani en fait partie. Mais il s’est engagé à ne divulguer aucun nom lors de son témoignage. Né en 1925, ce Tangérois a participé au mouvement national au nord du Maroc dans les rangs du Parti Démocratique de l’Indépendance (PDI), plus connu sous le nom de Hizb Acchoura Wal Istiqlal. Mustapha El Amrani a été enlevé au début de l’indépendance, en 1956. Il fut conduit, par la suite, au centre de détention secret de Dar Bricha à quelques kilomètres de la ville du Détroit, entre Tanger et Tétouan. Dans ce camp de la mort, El Amrani a souffert le martyre, il a vu certains de ses compagnons agoniser, d’autres mourir carrément. Il se souvient de l’un d’eux, blessé au crâne à cause des multiples coups de gourdin que lui infligeaient ses bourreaux.
Ces derniers, dans leur élan de barbarie, n’ont pas trouvé mieux que de verser de l’eau bouillante sur la tête de leur victime dont le sang coulait à flot.
Après avoir séjourné dans d’autres lieux de détention secrets à Al Hoceima et Nador, El Amrani a été relaxé en 1957.
Ahmed Harzenni : L’homme qui s’assume
« Je ne suis pas une victime mais un militant opposé à toutes formes d’injustice, d’exploitation et d’arrogance ». Qui aurait pu croire que cette déclaration sortirait de la bouche d’un militant de la première heure qui a souffert des années de plomb: Ahmed Harzenni?
Et bien, oui. Harzenni a cassé un tabou. Il a reconnu sa responsabilité personnelle dans le destin qui lui a été réservé.
Il a avoué qu’il n’était pas un « ange » et que sa culture n’était pas forcément démocratique dans la mesure où il n’excluait pas le recours à la violence comme moyen pour mettre en oeuvre ce qu’il croyait être « la juste voie ». Cette révélation a été très mal accueillie par bon nombre de ses camarades.
En fait, Harzenni fait la part des choses. S’il reconnaît que son comportement n’était pas totalement irréprochable, il affirme, cependant, que l’Etat a fait preuve de barbarie dans la répression. Pour un délit qui ne devait pas lui coûter plus de trois mois, Harzenni fut condamné par la justice marocaine à 15 ans de détention. Arrêté le 22 Février 1972, en raison de son activité politique au sein de la gauche marxiste, il est resté en détention au Derb Moulay Chérif jusqu’au 10 Mars 1972, pour être ensuite transféré à la prison centrale de Ghbiyla à Casablanca où il est demeuré jusqu’en août 1973 et enfin à la prison centrale de Kénitra où il est resté jusqu’au 22 août 1984.
Abdellah Aagaou : Le rescapé du mouroir
Abdellah Aagaou a participé à la tentative de coup d’Etat, le 16 août 1972. A l’époque il n’avait que 25 ans. Un jeune sous-officier des Forces armées de l’Air. Ayant été reconnu coupable, Aagaou fut transféré, avec 58 autres putschistes, au tristement célèbre camp de Tazmamart, où d’atroces conditions de détention les attendaient. Les gardes n’avaient aucune pitié pour eux. Aagaou se rappelle l’un de ses co-détenus dont le corps, affaibli et malade, se décomposait petit à petit. Le tout sous le regard impassible du directeur du centre de Tazmamart et des gardiens. Abdellah Aagaou, né le 14 avril 1947, a été victime de la disparition forcée pendant dix-huit ans. Condamné en novembre 1972 par le tribunal militaire à trois ans de détention, il a été enlevé de la prison centrale de Kénitra, le 7 août 1973 à deux heures du matin, et transféré à Tazmamart où il est resté jusqu’à sa libération, le 29 octobre 1991.
Abdellah Haidou : La victime islamiste
Abdellah Haidou, né à Rabat le 10 novembre 1963, a été victime de détention arbitraire. Arrêté à Mohammedia, le 13 août 1983, parmi le groupe islamiste des 71, il a été détenu pendant six mois au centre de détention secret de Derb Moulay Cherif où il a subi différentes sortes de sévices avant son transfert avec le groupe à la prison civile de Ghbiyla.
Condamné à vingt ans de prison ferme, il a été libéré le 21 juillet 1994, suite à une grâce royale, après avoir purgé 11 ans à la prison civile de Safi et à la prison centrale de Kénitra.
Le « Groupe des 71 » comptait dans ses rangs des membres du « Jihad », arrêtés le 22 juin 1983 (à Hay Mouhamadi à Casablanca) et d’un autre groupe résidant à Derb El Kabir (Casablanca) arrêté 3 juillet 1983. Les membres de la faction du « Jihad », créée en février 1983, et considérée comme l’aile militaire de la « Jeunesse islamiya », avaient porté des banderoles et distribué des tracts en juin 1983 appelant à porter atteinte aux intérêts suprêmes de l’Etat.
Salah Saâd Allah : Le militant blessé
Salah Saâd Allah est né en 1934. Il a fait partie du cercle restreint des activistes chevronnés de l’Union nationale des Forces populaires (UNFP), au même titre que Mehdi Ben Barka, Abderrahim Bouabid ou Abderrahmane Youssoufi. Il a été arrêté, pour la première fois, le 16 juillet 1963, par les services de sécurité, alors qu’il participait à une réunion au siège central de l’UNFP Rabat, aux côtés de Bouabid et Youssoufi. A l’époque l’UNFP avait sévèrement critiqué la Constitution, fraîchement rédigée et mise en oeuvre. Avec plusieurs de ses camarades, Salah Saâd Allah a été conduit au commissariat de Mâarif à Casablanca où ils sont restés 28 jours exactement dans des conditions de détention déplorables, où les interrogatoires musclés étaient de mise. Par la suite, les forces de sécurité l’ont conduit ainsi que d’autres de ses compagnons vers le centre de détention secret, le tristement célèbre Derb Moulay Cherif où il a passé moins d’une semaine avant d’être libéré, sans qu’aucune procédure judiciaire ne soit déclenchée contre lui. Salah Saâd Allah a été détenu, pendant cinq semaines environ, en violation flagrante de toutes les règles de droit et sans que sa famille ne soit capable de savoir s’il était toujours vivant. Une fois que ses bourreaux ont fini de le torturer et de lui soutirer des aveux, ils l’ont libéré dans l’attente d’une autre arrestation. Le 19 mars 1973, il a été arrêté de nouveau. Il a été détenu pendant un mois à Derb Moulay Cherif avant d’être transféré à un autre camp secret, Corbesse, situé à l’aéroport d’Anfa à Casablanca, où il a passé 11 mois. La « bouteille », « la Falaqa », et la fixation d’électrodes sur les lèvres étaient le lot quotidien des détenus. Par la suite, Salah Saâd Allah a été transféré successivement vers la prison civile de Ghbiyla à Casablanca (actuellement fermée), celle d’Aïn Borja à Casablanca puis celle de Laâlou à Salé (actuellement fermée). Salah Saâd Allah a été acquitté, le 19 avril 1977.