C’est un homme d’Etat qui s’est toujours vanté de ses origines modestes. Originaire de la ville de Taounate, Driss Basri est né en 1938. C’est à Settat où il va passer son enfance aux côtés de son père, gardien de geôle de la ville. La légende raconte que, tout petit, Driss jouait avec les clefs des cellules…
À cette époque, rien ne le prédestinait à une carrière d’homme d’Etat. Il était un élève plutôt moyen. Ses collègues gardent de lui l’image d’un jeune garçon froid et cynique. Une anecdote, relatée par un de ses professeurs, illustre ce tempérament qu’il allait justement garder toute sa vie. Un jour, la classe est perturbée par d’intenses cris provenant de l’extérieur.
Tous les élèves se précipitent naturellement vers les fenêtres pour voir ce qui se passe, à l’exception d’un seul qui n’a point bougé de sa place : l’élève Driss Basri. Après le collège, il entame une carrière de policier, tout en continuant ses études supérieures. À l’université, Basri se distingue surtout par ses talents de communication. Un premier exercice qui le mènera vers une fulgurante carrière policière, qu’il entamera d’abord en tant que simple inspecteur de police, avant de passer officier et enfin commissaire principal à Rabat. Le véritable tournant de sa carrière, il le doit à la famille Haddaoui, dont il est devenu un proche parent, grâce à un mariage bien heureux. C’était au début des années soixante-dix quand le Maroc traversait une période trouble. Après le limogeage (et la mort) d’Oufkir, Basri est recommandé auprès du ministre de l’intérieur de l’époque, Mohamed Benhima. C’est ainsi qu’il officie au ministère comme chef de cabinet, puis devient en 1973 le premier patron de la fraîchement créée DST.
Une année plus tard, Basri hérite du portefeuille de secrétaire d’Etat à l’intérieur. Parallèlement, il continue à cumuler les succès à l’université. Il enchaîne les diplômes au fur et à mesure qu’il s’entoure d’une garde rapprochée, constituée de jeunes collaborateurs talentueux. Certains n’hésitent pas d’ailleurs à jeter le doute sur l’authenticité de ses diplômes universitaires et attribuent leurs droits à des nègres, dont le plus connu n’est autre que le jeune Abdelaziz Laâfoura. Au passage, c’est cette douteuse crédibilité académique, conjuguée à son passé sulfureux qui a fait échouer ses nombreuses tentatives d’intégrer les universités parisiennes au début de son actuel exil à la capitale française.
Quand il sera nommé ministre de l’intérieur en 1979, Basri s’emploie à constituer autour de lui un noyau dur composé de plusieurs collaborateurs et conseillers occultes. Grâce à lui, le département de l’Intérieur devient une véritable pépinière rassemblant une bonne partie de l’intelligentsia nationale, connue plus pour sa loyauté à son égard qu’à sa compétence. Basri est l’architecte d’un système administratif et sécuritaire inédit. En quelques années, il monte un gigantesque réseau qui lui a permis d’asservir l’essentiel des institutions démocratiques et structures partisanes et associatives du pays. À un moment, il ajoute même à ses prérogatives les fonctions de ministre de l’information, ce qui lui a permis de maintenir la presse sous une étroite surveillance. Son omniprésence dans le paysage médiatique est telle qu’il était très difficile de déboulonner ses hommes à la télé et la radio et ce, plusieurs années après son départ à la retraite.
Politiquement, il est le chef d’orchestre des répressions des événements de 1981 et 1990, et l’initiateur de la sinistre campagne d’assainissement de 1995-1996. Au-delà de la dimension de règlement de compte à la sauce clanique et néo-tribale de cette opération, cet épisode révèle surtout l’ignorance de sa part, des questions économiques et de la finance. Un sujet qu’il n’a jamais maîtrisé. À l’image de sa fulgurante ascension, sa chute fut aussi tragique que rapide.
Immédiatement après le décès de SM Hassan II, la vie et la carrière du puissant Basri basculent, de manière irréversible. Premier acte de disgrâce, il est écarté de la gestion des obsèques du Roi, ainsi que des préparatifs de la bey’a. Quelques semaines après, Basri se voit déposséder du dossier du Sahara, avec le limogeage de son bras droit, Mohamed Azmi. En même temps, l’actuel patron de la DGSN, Hamidou Laânigri est nommé à la tête de la DST, le dépossédant ainsi du renseignement. Le vent de la fin approche, et la suite des évènements ne se fait pas attendre. Basri s’apprête à fêter son 61ème anniversaire, après près de trois décennies de bons et loyaux services, il est brutalement limogé de son poste le 9 novembre 1999 et remplacé par un ancien de ses disciples, Ahmed Midaoui.
Quelques jours après son éviction, Basri est décoré par le Souverain. Les ministres du gouvernement Youssoufi lui offrent un thé d’adieu, organisé avec un panache assez finaud dans la résidence de l’ancien Premier ministre.
Basri peut enfin souffler et se prépare à une retraire dorée. Il cherche à intégrer la faculté de droit de Rabat. Mais son initiative soulève un tollé général dans les milieux académiques qui s’organisent pour lui barrer la route. Coriace, Basri tente inlassablement à maintenir sa visibilité sur la scène politique. Les élections législatives de 2002 sont une occasion pour qu’il monte au créneau.
Sur les colonnes d’un quotidien de la place, Basri s’exprime sur le mode de scrutin et affiche ses préférences en tant qu’analyste politique chevronnée. Sa tentative de présentation aux élections (même sous les couleurs de l’USFP !) reste la manoeuvre la plus caricaturale de l’époque, avant de se rétracter, et mettre en doute l’honnêteté des législatives 2002, lui grand artisan de tous les trucages électoraux du passé. Au fait, et depuis sa disgrâce, des contre-sens, Basri en livre à la pelle. Comme lorsqu’il a affirmé un jour que “le Maroc n’a jamais traversé des années noires ou des années de plomb ».
À un journaliste qui l’a interrogé sur le tristement célèbre commissariat Derb Moulay Cherif, Basri affirme qu’il ne « connaît pas cet endroit ». Même inconsistance lorsqu’il parle de sa «modeste» fortune, ou encore lorsqu’il dit n’avoir jamais bénéficié de passe-droits…
2003, Basri rate définitivement sa tentative d’intégrer l’université ainsi que son retour à la scène politique… Et ses ennuis avec la justice commencent. Au passage, il est remplacé à la tête de la Fédération royale marocaine de Golf. En perte de vitesse, il opte pour l’exil. Juillet 2003, on annonce son départ en France pour «raisons médicales». Il rentre au pays après quelques mois, mais son séjour sera bref. Ses ex-protégés, Abdelmoughit Slimani et Abdelaziz Laâfoura ont de sérieux soucis et sont directement accusés dans une plainte en 2003 par un homme d’affaires suisse.
Basri re-plie bagages et repart en Europe, dans des conditions pour le moins obscures, puisqu’il se rend en Espagne sans visa ! Il cherche d’abord à se faire naturaliser, en France et en Espagne.
Sans succès. Son passeport expire, sans qu’il puisse légalement le renouveler. Le mystère reste entier quant au statut juridique de Driss Basri, en terre d’asile.
Lui-même paraît perdu sur le rôle qu’il entend jouer, notamment à l’égard des médias internationaux. La nouvelle vie de Driss Basri ne fait que commencer.