ALM : Quels sont les facteurs qui ont déclenché ces émeutes en Algérie ?
Driss Benali : Le pays souffre d’un réel manque d’acteurs économiques, l’Etat a toujours étouffé la vie économique par sa forte présence. L’Algérie a une culture du marché très en retard. L’état a pris en charge la société. Les entreprises ne recrutent plus depuis la politique de l’assainissement favorisant la performance. Dans les années 70, les cours du pétrole étaient élevés, mais depuis leur chute, une crise profonde s’est installée. La rente est un écran de fumée qui cache les vrais problèmes jusqu’à ce que ces derniers se manifestent au grand jour, c’est en quelque sorte une économie artificielle. Les ressources du pays s’investissent dans tout ce qui est bureaucratique. Ainsi le pays est fort pour créer des ponts, des routes… mais il est décapité de son élite économique partie à l’étranger à cause de la guerre civile des dernières années.
Pourquoi la qualité de vie est si médiocre en Algérie ?
Déficience du système de l’enseignement qui produit des diplômés sans qualification. Taux démographique très élevé, ce qui produit une forte pression sur le marché du travail. Déficit en eau, un retard de la politique hydraulique qui n’a débuté que dernièrement , problème de logement. Tout ceci fait que la qualité de vie est médiocre. Ces déficits sociaux vont de pair avec la politique d’un régime opaque, dominé par des lobbies qui opèrent dans l’ombre. Pas de multipartisme, pas d’acteurs politiques et de syndicats qui canalisent les revendications de la société. La répression d’un Etat dominé par les militaires, tout cela fait que la violence devient le seul moyen d’expression du peuple
Comment se présente la situation en Tunisie ?
En Tunisie, le mouvement syndical est plus présent mais il n’y a pas de partis ou de canaux intermédiaires capables de négocier et de trouver des compromis. L’Etat réagit dans un premier temps par la répression puis par des solutions à court terme. La Tunisie a longtemps été considérée comme un modèle économique au Maghreb. Mais c’est un régime autoritaire opaque qui fonctionne avec une caste et dont la richesse profite à une minorité. Le régime n’a pas compris qu’il faut une politique distributive et que sa structure politique n’est pas en harmonie avec les aspirations de la société et ses exigences, une classe moyenne, une population au taux d’instruction élevé qui pourrait constituer la base pour une transition démocratique du pays.
Est-ce que le renforcement de l’union du Maghreb favoriserait des solutions ?
L’union du Maghreb favoriserait quelques solutions. Mais il faut que chaque pays se réforme pour que les pays soient homogènes. L’union du Maghreb pourrait permettre une dynamique économique, soit 1% de croissance pour chaque pays, ce qui n’est pas moindre, sachant que l’ensemble des pays du Maghreb ne constitue que 2,5% du marché mondial. L’Algérie bloque l’union du Maghreb par sa politique prônant l’affirmation de soi par l’affaiblissement des voisins, une logique qui appartient au 19ème siècle et qu’adoptait l’Allemagne à l’égard de la France. Le Maroc doit être plus dissuasif. Un Maroc fort économiquement peut favoriser l’unité. Parce qu’il ne faut pas qu’un pays ait l’illusion qu’il domine.