Les Algériens participent aujourd’hui au référendum sur “ la charte pour la paix et la réconciliation“. Un projet très controversé en Algérie aussi bien par les familles des victimes des tueries, exactions et disparitions de la “sale guerre“ que par les associations des droits de l’Homme locales et internationales. Mais le président Abdelaziz Bouteflika, cadenassé dans une logique très peu démocratique, n’en a cure. C’est à prendre ou à laisser.
En fait, le chef de l’État propose à la population rien de moins que d’oublier. L’amnésie totale. Zapper les ravages d’une guerre civile des plus féroces où tout le monde tuait tout le monde. Passer par pertes et profits une décennie de crimes de sang sans se donner la peine de chercher à comprendre ce qui s’est passé. En un mot, en Algérie, on veut tourner la page sans l’avoir lue alors que nombre de pays qui ont connu des événements dramatiques similaires ont permis de vraies expériences de réconciliation. Sans verser dans l’autosatisfaction, le Maroc a pour ses “années de plomb“ opéré récemment un remarquable travail de mémoire- salué du reste à l’intérieur et à l’extérieur du Royaume-en lançant courageusement des séances d’auditions publiques où les victimes, indemnisées, ont pu aussi raconter leurs souffrances en toute liberté. Ce fut un grand moment d’émotion, un beau pari sur l’avenir.
Le régime de Bouteflika, arrogant à souhait comme à son habitude, faisant peu de cas des revendications du grand nombre, a suivi le chemin inverse alors qu’il aurait pu s’inspirer des autres. Circulez il n’y a rien à voir, telle semble être la réponse du chef de l’État à ceux qui voulaient exorciser les démons du passé selon une approche positive et consensuelle. Cette Algérie-là a même interdit à ses forces vives démocratiques et associatives de citer en exemple la démarche marocaine en la matière. C’est dire…
Tout à leur autisme politique habituel, les autorités algériennes ont escamoté le débat réduisant l’affaire à sa plus simple expression : contre ou pour la paix. Mais de quelle paix s’agit-il ? En vérité, la charte Bouteflika est de nature à diviser davantage la société algérienne et à creuser encore plus le fossé qui la sépare déjà de ses gouvernants. À trop vouloir protéger les responsables des exactions notamment l’armée et les services de sécurité et à chercher aussi à renforcer son pouvoir, le président actuel risque au mieux de pétrifier un grand problème qu’il fallait normalement se donner les moyens de régler. Comment ? En respectant d’abord et surtout la mémoire des victimes des “années de braise“ et la souffrance de leurs familles. C’est dommage de gâcher une belle occasion de dépasser sérieusement une période noire de son histoire et d’entreprendre la construction d’un vrai État qui respecte ses citoyens.
Ce n’est pas parce que les réserves des pétrodollars augmentent jusqu’à l’insolence qu’un pays peut se permettre de dénier les droits légitimes de sa population. Gare au retour de manivelle…