Feu Haj Ahmed Benabdeljelil représente l’un des chaînons manquants de la charrette de Casablanca en délicatesse avec la justice pour démêler l’écheveau complexe des multiples casseroles locales. Nous sommes bien en face d’une nébuleuse de personnages scotchés à une toile de prébendes et de passe-droits couverte par le centre de commande hyper-puissant de l’ex-ministre d’État à l’Intérieur .
Pour que la justice soit complète sur le réseau de la capitale économique, il faut que les enquêteurs aillent jusqu’au bout de leurs investigations. En un mot, il ne faut pas qu’ils soient effarouchés par les noms naguère prestigieux et les dossiers jugés politiquement délicats qui pourraient être débusqués au détour de l’enquête. Ce qui a été jusqu’ici mis sur la place publique comme l’affaire Levat n’est que la surface émergée de l’iceberg ou l’arbre qui pourrait cacher une forêt foisonnante en actes d’incurie et d’opérations douteuses. Ce que l’on sait n’est rien en comparaison de ce qui n’est pas encore révélé.
C’est un secret de polichinelle que de dire que Casablanca a été sur plus de deux décennies mise à sac notamment dans le secteur juteux du foncier et de l’immobilier. Deux mamelles généreuses qui ont créé rapidement une camarilla de riches dont le parcours ne qualifie guère à le devenir. Des riches mais pas de richesse pour la ville qui, sous les coups de boutoir des voraces, des opportunistes et des intermittents d’une politique locale morbide, a été défigurée comme ce n’était pas permis. Tous les terrains du périmètre urbain furent trustés. Les rapaces, jamais rassasiés, sont allés jusqu’à vouloir jeter leur dévolu sur l’unique réserve foncière de la ville qu’est la faculté de médecine et de médecine dentaire ainsi que l’Hôpital 20 Août et ses annexes pour les transformer en complexes immobiliers.
Ni métro, ni tramway, ni parkings, ni jardins publics, ni espaces verts, ni aires de jeux pour enfants, ni complexes culturels, ni bibliothèques… Mais des bidonvilles à tire-larigot, un transport en commun déglingué, des routes défoncées, des vendeurs ambulants qui multiplient, une misère urbaine galopante… Tous les ingrédients d’une bombe sociale à retardement. Un héritage très lourd qui a compromis sérieusement l’avenir de Casablanca. À se demander où étaient les élus de la plus grande métropole du pays. Quel était leur rôle ? Sont-ils contents de leur bilan ? Ils doivent rendre des comptes au même titre que les autres.
Abdelmoughit Slimani, du temps où il était maire flamboyant avec ses yeux verts et sa belle tête du premier de la classe, était fier de dire que les décisions du Conseil de la ville étaient prises à l’unanimité, toutes tendances politiques confondues. Il voulait en fait signifier que la majorité dont il était le chef n’avait pas d’opposition. L’on comprend aisément pourquoi Casablanca a été mise en coupe réglée sans que personne ne crie au scandale. La classe politique marocaine ne serait-ce que par son silence a cautionné cette situation dramatique.