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Entretien avec Aziz Rabbah : Après les annonces, à quand les réalisations ?

© D.R

ALM: La nouvelle architecture gouvernementale vous a attribué le secteur de la logistique. Mais concrètement, en quoi consiste ce portefeuille ?

Aziz Rabbah : La nouvelle architecture du gouvernement marquée par la nouvelle appellation du ministère qui fait ressortir la logistique en tant que secteur stratégique est un signal fort de l’importance accordée par l’Etat à l’industrie de la logistique et une consécration de sa volonté de se doter de tout les moyens permettant une mise en œuvre appropriée de la stratégie nationale logistique. Le Maroc a réalisé durant ces dernières années une véritable rupture dans le développement des infrastructures de transport (autoroutes, ports, chemins de fer…) et a franchi d’importantes étapes dans le processus de réforme, de libéralisation et d’introduction de la concurrence dans les différents modes de transport. Le développement du secteur de la logistique est un maillon indispensable pour le renforcement de la compétitivité de l’économie marocaine. Il en constitue une priorité.

Mais à ce jour, on ne peut pas dire que cette stratégie qui date de 2010 ait réellement vu le jour…

Certes et nous veillons aujourd’hui à donner une réelle impulsion en vue d’une mise en œuvre optimale de la stratégie nationale de développement de la compétitivité logistique qui ambitionne la réduction des coûts logistiques, l’émergence d’un nouveau secteur d’activité créateur de richesse et d’emplois, le développement des champions nationaux dans la logistique, le développement durable, etc. Comme vous le savez, la nouvelle stratégie logistique, résultat d’une concertation élargie avec l’ensemble des acteurs publics et privés connaît une implémentation qui s’opérera progressivement et sur plusieurs vagues avec des objectifs ambitieux à court et moyen termes, pour un déploiement complet à l’horizon 2030.

Comment comptez-vous vous y prendre plus concrètement ?

D’abord, l’importance et la priorité qu’accorde l’Etat au développement de ce secteur se sont concrètement manifestées par la création d’un organisme dédié qui est l’Agence Marocaine de Développement de la Logistique, aujourd’hui opérationnelle conformément aux engagements du Gouvernement.  Le ministère de l’équipement, du Transport et de la logistique compte faire jouer pleinement à cette agence son rôle essentiel qui est la contribution à l’amélioration de la compétitivité économique de notre pays surtout avec la mobilisation constatée aujourd’hui de tous les partenaires privés et publics. D’ailleurs, depuis la nomination de son Directeur Général, cette agence se penche sur la finalisation des contrats d’application relatifs aux schémas régionaux pour le développement des zones logistiques et les contrats d’application de cinq flux de marchandises, en plus du contrat afférent au développement des ressources humaines du secteur (formation), la réalisation d’un ensemble d’études permettant le lancement des premiers aménagements des zones logistiques, la promotion de la stratégie logistique auprès des investisseurs et bailleurs de fonds,….

Vous restez aussi en charge des transports. Pourquoi la réforme de ce secteur tarde toujours ?

Le secteur du transport de marchandises et des personnes au Maroc connait plusieurs difficultés accumulées depuis plusieurs années et qui entravent son développement rapide et intégré. Le transport de personnes, comme vous le savez, est soumis à un système d’autorisations ou d’agréments qui précise le nombre et la capacité de véhicules, les itinéraires autorisés, la catégorie et éventuellement le nombre de services autorisés. Cependant, et en dépit des efforts de développement et de modernisation déployés par les pouvoirs publics, ce type de transport se trouve confronté à de nombreuses difficultés, notamment la désuétude des textes législatifs et réglementaires, la difficulté de régulation du marché des transports par l’ajustement de l’offre à la demande, la faible professionnalisation du secteur, l’atomicité et la gestion artisanale des entreprises, la prolifération du transport informel, le vieillissement du parc, etc.

Tout cela était connu depuis longtemps. Mais qu’avez-vous fait pour y remédier ?

Depuis la nomination de ce gouvernement, nous nous sommes penchés sur cette problématique en adoptant une démarche participative avec les différents opérateurs. Dans ce sens, nous avons entamés une refonte profonde basée sur la professionnalisation des opérateurs, le développement de l’investissement dans le secteur, l’amélioration de la qualité de service, la sécurité routière. A cet effet, et depuis la publication des listes des agréments, nous avons organisé plusieurs réunions et séances de travail et ainsi que l’organisation d’une journée d’étude à laquelle ont pris part tous les professionnels du secteur. Cette journée a permis au Ministère et aux opérateurs du secteur de définir de façon concertée et collégiale les grands axes de la réforme ainsi que la feuille de route à suivre. Les objectifs de cette feuille de route s’articulent autours de : la mise en place d’un service de transport fiable, diversifié, sûr, de qualité et respectant la dignité des citoyens ;la professionnalisation du secteur de transport routier de voyageur et l’amélioration de sa rentabilité ;la mise en place de mécanismes et de règles transparentes d’accès au secteur et de contrôle garantissant une concurrence loyale et un bon fonctionnement du système ;l’ouverture du secteur et la promotion de l’investissement et des métiers du transport routier de voyageurs ; le développement des transports régionaux et provinciaux ainsi que le transport en milieu rural; l’optimisation des investissements en infrastructures et en moyens de transport et le développement de la complémentarité au sein du réseau des lignes de transport public (correspondance, tarification uniforme). Un contrat programme pour la mise à niveau du transport routier de voyageurs est en cours de discussion et de finalisation avec les professionnels. Nous souhaitons le faire aboutir au cours de cette année.

Justement par rapport à la loi de Finances 2014, quelles sont les mesures que vous avez proposées?

Le ministère a proposé dans le cadre de la loi de finances 2014 des mesures structurantes visant la mise à niveau et la professionnalisation, il s’agit de la proposition des nouvelles primes suivantes :

1. La prime de mise à niveau des entreprises de transport de voyageurs;

2. La prime de renouvellement des autocars;

3. La prime de casse des autocars.

De plus, un projet de loi de refonte du système de transport routier de voyageurs a été élaboré et mis en ligne au niveau du site du Secrétariat Général du Gouvernement et après traitement des différentes propositions et suggestions nous nous attelons actuellement sur l’élaboration d’une nouvelle mouture du projet de loi que le Ministère mettra dans le circuit d’approbation. Pour ce qui est du transport routier de marchandises, le ministère et les opérateurs du secteur ont œuvré ensemble pour la concrétisation des mesures inscrites dans le cadre du contrat programme 2011-2013 pour le transport routier de marchandises. 

Par ailleurs, nous nous penchons aujourd’hui sur la définition d’un nouveau contrat programme qui s’étalera sur 3 ans, pour la professionnalisation des opérateurs et le développement de leur compétitivité.  Le Ministère a également proposé dans le cadre de la loi de finances 2014, la révision à la hausse des montants des primes allouées aux professionnels pour le renouvellement des véhicules de transport routier de marchandises pour compte d’autrui et des véhicules de transport public en commun de personnes dans le milieu rural.

Quid des autres secteurs comme le maritime et le portuaire ?

Là aussi, nous avons adopté une stratégie visant à doter notre pays d’infrastructures portuaires performantes, compétitives et adaptées à nos ambitions d’en faire du Maroc un carrefour d’échange et une plateforme d’investissement.

Pouvez vous nous donner une idée de cette stratégie?

En fait elle sera déclinée en un programme de réalisation de nouveaux projets et de mise à niveau des infrastructures existantes. Parallèlement à ces développements des infrastructures portuaires et afin d’accompagner les évolutions actuelles et futures des secteurs portuaire et maritime et les adapter aux nouvelles donnes économiques et politiques, le Ministère se penche actuellement sur la définition d’une réforme profonde et globale de ces deux secteurs. Pour le secteur portuaire, nous finalisons les études d’un ensemble de projets identifiés dans le cadre de la stratégie portuaire pour les réaliser dans le cadre d’un partenariat public-privé. Pour ce qui est du transport maritime, nous avons entamé la définition d’une nouvelle stratégie pour le secteur et le développement du pavillon national de concert avec les différents intervenants du secteur, à même de restaurer la compétitivité et la pérennité de la flotte nationale.

Et qu’est ce qui se prépare pour l’aérien

Pour le secteur du transport aérien, notre action vise d’une part à consolider les acquis de ce secteur tant sur le plan institutionnel et organisationnel qu’au niveau de ses infrastructures aéroportuaires et de la qualité de services, et d’autre part à renforcer son rôle en tant que secteur vital et composante fondamentale du développement économique et social du pays.  C’est dans ce cadre que nous venons d’achever l’étude relative au plan de développement du transport aérien au Maroc permettant de définir une stratégie nationale cohérente et intégrée pour le développement et la promotion du transport aérien, et ce dans l’objectif de faire du Maroc un véritable hub régional. Sur un autre volet et afin de rehausser le niveau de compétitivité du transport aérien national, nous avons entamé la consolidation de l’ensemble des projets de développement du secteur en vue de les mettre en cohérence et de les aligner sur une stratégie globale du secteur basée sur une vision claire, tout en définissant des mesures d’accompagnement à mettre en œuvre.

Il y a quelques jours vous avez annoncé un plan ambitieux et à long terme pour la construction des routes. Des détails dans ce projet ?

Comme vous le savez les routes occupent une place importante dans la mobilité des personnes et des marchandises, plus de 95% de marchandises hors phosphate et 93% pour les personnes, en plus de leur rôle dans l’aménagement du territoire et l’attrait des investissements créateurs de richesse et d’emplois. A cet effet, nous avons entrepris depuis l’année dernière une étude profonde et fine sur les besoins actuels et futurs en matière d’infrastructures routières de grande capacité et des routes de proximité. Dans ce sens le nouveau plan route à l’horizon 2035 s’articule autours des axes suivants : La modernisation du réseau routier et soutien du développement économique et sociétal du pays ;
L’amélioration du niveau de service adéquat aux différents usagers de la route, sauvegarde et valorisation du patrimoine ; La réalisation d’une nouvelle génération de routes de proximité pour une meilleure équité territoriale et convergence des actions en matière de développement humain; Le développement d’un réseau à haut niveau de service avec des objectifs de robustesse de l’offre autour des grandes métropoles, de nouvelles connexions et d’aménagement de territoire et la sécurité routière et le développement durable.
 
Certains analystes reprochent à l’équipe actuelle, dont les ministres PJD comme vous, de manquer d’expérience…

Les difficultés n’ont pas de rapport avec le niveau d’expérience du gouvernement car les gouvernements sont politiques, alors que l’administration est une structure permanente avec des secrétaires généraux, des directeurs, des responsables et des personnels de tous niveaux qui y travaillent sans interruption, le service public doit continuer quel que soit le gouvernement. Chaque gouvernement vient avec une vision politique, une stratégie, un programme qu’il essaie de mettre en œuvre pour atteindre ses objectifs. Les partis qui s’y alternent ont tous l’ambition de gouverner pour appliquer leur programme politique.

Par ailleurs, ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que nous sommes dans un système de démocratie participative et de responsabilités partagées. Chaque ministre dans son département maîtrise la cuisine interne, les indicateurs, les chiffres, et les données qui concernent les différents secteurs qu’on gère. Maintenant après deux ans au gouvernement, l’expérience est déjà établie. Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’on est dans un système de démocratie participative et de responsabilités partagées. Chaque ministre qui arrive dans un ministère se trouve devant des programmes déjà lancés, des orientations bien définies. Donc on n’est pas là pour changer les orientations et les programmes, sinon on peut ajouter, modifier ou bien rectifier certains programmes sans toucher au fond de ce dernier.

Plus généralement, comment évaluez-vous l’apport du PJD au gouvernement ?

Vous savez, le PJD a cumulé une expérience de travail institutionnel de plus de vingt ans dans l’opposition, que ce soit au sein du parlement ou au niveau des communes. Ce qui lui a permis d’être prêt à assumer des responsabilités au sein du gouvernement et de gérer la chose publique. Ensuite, il y a l’intégration du parti, nous sommes passés de l’opposition au gouvernement. Actuellement, nous sommes pratiquement à la dernière phase de l’intégration de la normalisation du champ politique grâce au nombre croissant des sympathisants qui ont les mêmes convictions que le PJD et qui participent aujourd’hui d’une manière active au champ politique.

Aujourd’hui, on peut noter un certain intérêt des citoyens à la chose publique. Ceci a été constaté à travers le suivi de la population des séances des questions orales au Parlement et notamment la séance mensuelle réservée au chef du gouvernement et qui a atteint un taux d’audience maximal au cours de ces dernières années. Donc l’un des apports du parti est que nous ayons réussi à convaincre une frange importante de la population qui anime la scène politique et qui encadre les jeunes et les professionnels dans le monde urbain autant que dans le monde rural.

Le deuxième point est que j’ai l’intime conviction que les ministres, et pas seulement ceux du PJD, tentent de rester plus proches du citoyen. Je pense qu’après tout cela, nous avons pu démontrer que nous ne sommes pas un parti sectaire (fanatique), mais un parti ouvert à toutes les bonnes initiatives et qui croit à la compétence marocaine. Troisième point, il y a une certaine course et une certaine concurrence entre les ministres des quatre partis. Chaque ministre essaie de donner le meilleur de lui-même et fournit beaucoup d’efforts pour bien servir le pays. Et malgré une conjoncture économique mondiale difficile, le gouvernement a pu lancer un grand nombre de réformes à caractère économique, social et administratif. Et ce qui est très remarquable, c’est que les Marocains continuent de suivre et d’observer de très près les réalisations du gouvernement après deux années déjà passées.

Vous êtes à la fois maire de Kenitra et ministre. Est-ce que vous êtes pour le cumul des fonctions ?

Pour votre information, j’étais maire de la ville de Kenitra depuis 2009, bien avant de devenir ministre suite aux élections de 2011. Et bien entendu, le cumul des fonctions a des avantages qui compensent les inconvénients. Pour mon cas, par exemple, le cumul profite à la fois à la ville comme au ministère. D’après mon expérience, un ministre qui a une expérience dans la chose locale a plus de visibilité et est plus proche des attentes des citoyens. C’est un point positif et je souhaite que tous les ministres s’entrainent à la gestion de la chose locale.

Cela leur permettra de voir quels sont les vrais problèmes de la population et des citoyens. Ce sont des problèmes qui ont un lien avec les services de proximité, les infrastructures de proximité et j’ai la conviction qu’un ministre doit être toujours à l’écoute des problèmes des citoyens, des communes rurales éloignées, des villes qui n’ont pas de moyens et des régions qui n’ont pas bénéficié des grands projets structurants. Mais d’un autre côté, je crois que c’est un fardeau parce qu’il faut veiller sur le département ministériel et en même temps veiller sur la commune.

C’est un challenge et une charge de plus. La ville de Kenitra a 59 conseillers communaux en plus des fonctionnaires et responsables qui œuvrent tous ensemble pour le bien de la ville. Un ensemble d’attributions ont été déléguées aux vice-présidents et on travaille ensemble dans un esprit d’équipe. Le résultat est que la ville connait un saut qualitatif à tous les niveaux. Et si on opte pour une réforme très poussée au niveau des communes, cela veut dire qu’on peut avoir un conseil communal dont le rôle est la stratégie et la planification, et avoir une administration communale très forte avec un secrétaire général qui a plus de prérogatives. C’est ce qu’on appelle dans certaines villes des «city managers». Ce sont eux qui suivent, mettent en œuvre les programmes, exécutent et veillent sur leurs communes. Le rôle du président du conseil serait la planification, la recherche des fonds et des ressources. Ainsi le maire sera soulagé de pas mal d’activités.

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