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Et si le coupable était innocent?

© D.R

Le mardi 7 septembre, alors que la presse nationale relevait l’inquiétude de l’opinion publique quant au piétinement de l’enquête sur les cadavres découverts à Taroudant, une dépêche de l’agence MAP venait confirmer une information qui avait circulé toute la matinée alertant les rédactions des journaux nationaux sur l’arrestation du coupable. « L’auteur des assassinats de Taroudant a été arrêté. Il s’agit d’un vagabond psychopathe du nom de Abdelâali Hadi, né en 1962 à Taroudant, qui vivait sur un terrain vague non loin du lieu où ont été découverts les corps des huit victimes… L’assassin a avoué ses crimes. Il a des penchants pédophiles », rapportait la MAP citant des sources autorisées.
Cette note répondait à toutes les questions que l’on se posait jusque-là ainsi qu’à celles que l’on allait se poser. Ainsi, les enquêteurs ont annoncé l’arrestation et ont barré la route devant toute éventuelle suspicion de la part des médias ou de l’opinion publique en général, en révélant que le mis en cause était passé aux aveux. Donc, il n’y a plus rien à dire. Rien à expliquer. Car, comme disent les juristes, « l’aveu est la tsarine des preuves ». Deux jours après, c’est la reconstitution des crimes. Un acte d’exhibition où le prévenu procède à une présentation publique de la manière avec laquelle il aurait commis les actes macabres dont on l’accuse.
Le soir du 10 octobre, les citoyens avaient rendez-vous avec un reportage télévisé résumant les moments forts de ladite reconstitution. Un acte informatif où la deuxième chaîne s’est distinguée par un travail exhibitionniste à la fois agressif et vulgaire. D’ailleurs, même la première chaîne, connue pour sa « prudence informative », n’a pu résister aux tentations et a suivi l’exemple de sa consoeur en offrant à ses téléspectateurs des images scandaleuses où l’on voit le présumé assassin montrant la manière avec laquelle il aurait abusé puis assassiné ses victimes. Des images aussi fortes et répugnantes qui, non seulement ne laissent aucun doute sur la culpabilité du mis en cause, mais le condamnent et l’exécutent même aux yeux de l’opinion publique. Assis devant son petit écran, tout citoyen qui a subi ce matraquage sera incapable de réfléchir ou d’analyser les faits avant de condamner le concerné.
En l’espace de trois jours donc, le dossier était clos et l’on est passé du crime énigmatique sur lequel se penchaient les enquêteurs de tous les services de sécurité du pays à une affaire « empaquetée » et ficelée prête à aller devant le juge, le mardi 28 septembre.
Lors de cette première audience, la Cour d’appel a décidé de reporter l’examen de cette affaire jusqu’au 12 octobre prochain. Ce report a été décidé « pour examen du dossier et préparation de la défense », à la demande des avocats du prévenu désignés dans le cadre de l’assistance judiciaire et ceux désignés par l’Observatoire national des droits de l’enfant qui s’est constitué partie civile, ainsi que la demande du bâtonnier du barreau d’Agadir qui représente les familles des victimes. Devant le tribunal, le mis en cause est poursuivi, notamment, pour assassinats en série avec préméditation usage d’arme, torture, actes violents, viol sur mineur, rapt et séquestration de mineurs.
Mais comment avait-il été démasqué ? Les faits remontent au 20 août dernier, un jour férié, lorsque des ossements humains avaient été découverts par des passants sur la voie publique à Taroudant. Au début ce furent quatre cadavres qui ont été découverts au niveau de Bab El Khmiss, un point qui se situe au carrefour Al Boura et Oulad Bounouna. Et à 50 mètres de Oued Al Ouaer, trois autres cadavres ont également été découverts, enfouis dans une fosse. Les premiers étaient emballés dans des sacs de plastique jaunes, alors que les quatre autres ossements étaient à découvert. Les premiers constats confirment qu’il s’agit de cadavres de jeunes gens âgés de 18 à 24 ans. Et si les premiers étaient des ossements, les derniers étaient dans un état de décomposition avancé.
Aussitôt annoncée, la nouvelle fera le tour des rédactions nationales et les agences de presse internationales rapportent l’information. Commence alors une chasse aux responsables de ces actes criminels. La police judiciaire chargée de l’enquête a déclaré tout de suite que toutes les pistes étaient examinées et qu’elle n’excluait aucune possibilité. Sorcellerie, commerce clandestin d’organes, immigration clandestine ou même la possibilité d’une exécution collective perpétrée par des groupuscules terroristes islamistes radicaux, étaient des pistes que les enquêteurs de la police judiciaire et ceux de tous les autres services de sécurité de l’Etat considéraient comme des motifs éventuels de ces crimes.
Mais, comme dans toute affaire de ce genre, les méthodes traditionnelles d’enquête s’avèrent généralement infructueuses et le recours à des procédés modernes s’impose. D’où le recours aux services de la médecine légiste et les nouvelles technologies de recherche d’indices et de détermination des profils des criminels. Aussi, le professeur Saïd El Oauhlia, expert notoire en la matière, fait son entrée en scène. C’est alors que commence une autre phase de l’affaire qui se caractérisera par une intense communication sur les aspects « techniques » de l’enquête. On verra ainsi le Pr El Ouahlia expliquer devant les caméras de la télévision, un crâne entre les mains, les indices qu’il avait pu découvrir sur les cadavres ainsi que les premières conclusions de ses recherches et ses analyses. Et c’est grâce aux déclarations de cet expert que les citoyens allaient entendre pour la première fois que la piste d’un « Serial Killer » était sérieusement envisagée. Sans oublier évidemment les quelques détails sur les sévices que les victimes auraient subis avant leur assassinat.
Cet exercice communicatif, le premier du genre, allait durer 18 jours et sera couronné par l’annonce de l’arrestation de l’accusé ce qui confirma la thèse de l’expertise médico-légale pratiquée sur les cadavres.
Toutefois, si l’auteur présumé des assassinats a été découvert, ce n’est pas grâce à ce travail scientifique, ni au travail de profiler qui a été réalisé par les spécialistes de la police scientifique. Ce sera grâce à la coïncidence. Et ce ne sera même pas la police judiciaire qui démasquera le Serial Killer de Taroudant.
En fait, le principal indice qui conduira à cette arrestation viendra de chez les enquêteurs du service régional de la Direction de la surveillance du territoire (DST). Selon des sources informées, c’est un papier retrouvé sur l’une des victimes qui a été à l’origine de cette arrestation. Il y était écrit: « Je jure par Dieu que je me vengerais de lui quoiqu’il advienne ». Ce papier, qui avait été conservé par un commissaire de la DST, portait sur son verso le nom de famille du prévenu à savoir « Hadi » rédigé à la fois en arabe et en français.
En l’examinant, un fonctionnaire de ce service de sécurité s’était soudain rappelé qu’il connaissait un individu qui portait ce nom et qui travaillait dans la gare routière de la ville. Immédiatement les services de police coordonnent une opération d’intervention qui sera soldée quelques heures plus tard par l’arrestation de l’assassin présumé, son interrogatoire, ses aveux et l’annonce de l’arrestation. Toutefois, il faut avouer que dans certains de ses aspects, l’affaire reste très mystérieuse. Les explications contenues dans les différentes déclarations des responsables de l’enquête ainsi que le scénario de la reconstitution du crime laissent insatisfait tout observateur avisé.
Ainsi, l’on se demandera, par exemple, comment est-ce que l’accusé a-t-il pu attirer ses victimes ? Quels moyens avait-il pour les convaincre de l’accompagner sur ce terrain vague où il les avait violées puis exécutées ? La version avancée par les enquêteurs et que les citoyens ont pu voir à la télé lors de la reconstitution parlent d’une menace à l’arme blanche. Pourtant, on nous affirme que le prétendu coupable obligeait ses victimes à le suivre de la gare routière jusqu’au lieu du crime. Or, comment peut-on conduire un jeune homme de 18 ans sous la menace d’une arme blanche pendant un trajet de plus de 500 m sans attirer l’attention des gens dans une petite ville comme Taroudant ? Sans parler de l’histoire du déterrement des corps. Une thèse qui ne tient pas debout. Il suffit à ce propos de se demander comment est-ce qu’une personne comme Hadi pourrait déterrer en l’espace de quelques heures seulement neuf cadavres qu’il aurait enterrés un par un avec une précision mathématique en se rappelant de chaque emplacement et en prenant les précautions de ne rien oublier. Même pas un petit ossement.
En tout cas, il reste des détails à éclaircir dans cette affaire. Certes, tous les indices indiquent que la personne interpellée serait coupable des faits qui lui sont incriminés, mais une quête policière est censée ne laisser aucune zone d’ombre. Car, même si l’accusé avoue ses crimes, la recherche des détails et la reconstitution parfaite du scénario du crime est une procédure que le législateur a prévu pour éviter les cas de faux aveux. Car un tribunal est censé chercher la vérité même en cas d’aveux et de faits confirmés.
Sinon, à quoi sert un jugement en cas d’aveux ? Enfin, ce qui est encore déplorable dans cette affaire est que personne ne s’est soucié du droit de Hadi non pas à un procès équitable, mais surtout à une enquête équitable. Personne ne s’est soucié non plus de son droit à être soumis à une expertise psychiatrique afin de déterminer s’il est responsable ou non de ses actes. Des droits élémentaires qu’il est essentiel de préserver quelle que soit l’horreur des faits qui sont reprochés à l’accusé.

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