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Fatima, Rachid, Chari et les autres…

© D.R

Ahmed Benmansour : La mémoire tatouée
C’est le premier à avoir pris la parole lors de la première séance d’audition des victimes des années de plomb. C’est le plus âgé des témoins: 64 ans. De manière solennelle, il a commencé par lire un texte en langue arabe, dans lequel il a retracé le contexte historique de la période post-indépendance. Une période où les « forces obscurantistes » se sont pris aux anciens combattants, ceux-là mêmes qui ont résisté à l’occupation. C’est le cas du groupe de Moulay Chafiî, à Chichaoua, où plusieurs anciens combattants ont été purement et simplement liquidés. C’est le cas également du groupe El Ghoul dont plusieurs membres ont été condamnés dans des procès sommaires au Tribunal militaire de Rabat. Ahmed Benmansour a rappelé le sort des membres du groupe Benhammou à Casablanca, dont certains ont été condamnés à la peine capitale. Sans parler du groupe Cheikh Al Arab, un ancien résistant assassiné au moment de son arrestation. Et bien plus tard, à la suite des manifestations de Casablanca de 1965 et l’assassinat de Mehdi Ben Barka. C’est donc dans ce contexte politique et sécuritaire extrêmement tendu que Ahmed Benmansour a été victime de la détention arbitraire à Marrakech, le 13 mars 1970. Arrivé à cette étape historique, Benmansour a cessé de lire son discours. Il commence à raconter, toujours dans un arabe impeccable, sa triste histoire avec la détention, l’humiliation et la torture. « Ceux qui sont venus m’arrêter au coeur même de ma maison ont tout fouillé. Même les toilettes et la cuisine n’ont pas été épargnées. Ils ont ouvert le réfrigérateur et ont pris toute la nourriture qu’elle contenait. Ils m’ont demandé si j’avais de l’alcool et j’ai répondu que je ne bois pas ».
Juste après, Benmansour fut conduit au commissariat de Maârif, où il passa une nuit entière, entassé dans une minuscule cellule avec quinze autres détenus. Le lendemain, il fut transporté en voiture à Rabat, au siège de la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN). S’en est suivi un long interrogatoire musclé puis un transfert vers la « maudite Dar Al Mokri », sur la route des Zaërs à Rabat. Dar Al Mokri n’est autre que l’un des plus tristement célèbres camps de détention où les services de sécurités de l’époque pratiquaient leurs sports favoris: la torture et l’exécution. « Personne ne peut décrire l’atrocité des actes commis à Dar Al Mokri », assure Benmansour qui y a vécu pas moins de 40 jours d’enfer.

Chari El Hou : Souffrances lyriques
Chari El Hou est né en 1943. Il a été victime de la disparition forcée. Arrêté le 14 mars 1973, à la suite des évènements du 3 mars de la même année, Chari El Hou, qui a lu un discours en français (il est professeur de langue française), a connu successivement les centres de détention secrets de Corbesse à l’aéroport d’Anfa à Casablanca, Tagounite au sud de Zagora et enfin Agdez. Il a fait partie d’un groupe de 14 personnes arrêtées en même temps et détenues ensemble. Sept d’entre eux sont morts au cours de leur détention, quatre après leur libération en août 1977, et les trois autres, dont Chari El hou, sont toujours en vie. Il fallait faire preuve de beaucoup de résistance pour pouvoir tenir aux atrocités de la détention. Chari est retourné chez lui en 1977 et a découvert que sa femme était enceinte au moment de son arrestation. Résultat: il s’est trouvé devant un garçon de trois ans, qu’il n’avait jamais vu. Ceci sans parler des médisances à propos de son épouse. La détention a ainsi des effets à long terme. Elle détruit des familles entières.

Jamal Ameziane : Au nom du Rif
Jamal Ameziane est le fils de l’emblématique dirigeant de la révolte de 1958-1959: Mohamed Haj Sellam Ameziane. Toute la famille, une trentaine de membres, fut arrêtée à la suite des évènements du Rif. A l’époque, Jamal n’avait que trois ans. Ils étaient tous détenus dans la caserne des forces auxiliaires d’Al Hoceima.
Après deux ans de détention arbitraire, Haj Sellam fut condamné par contumace à la peine capitale. Ce qui l’a poussé à l’exil forcé et à l’abandon de sa famille. A travers, la souffrance de la famille Ameziane, c’est le sort de toute une région, le Rif, dont il est question.
Réhabiliter cette famille qui a dû tout reprendre à zéro, c’est rendre justice « Qu’avons-nous fait pour mériter tout cela? », s’est demandé Jamal, dont le père est mort en 1995 et l’oncle est toujours en exil. Ce qu’il souhaite, c’est que le Maroc soit épargné une fois pour toutes.

El Ghali Bara : Le cri du Sahara
El Ghali Bara est né en 1942 et a été victime de la disparition forcée durant quinze ans et six mois. Il a été arrêté le 12 janvier 1976 dans la région de Bouajaj, aux environs de Tan-Tan, en compagnie de 22 autres personnes de sa famille, dont son épouse, ses enfants, sa mère, son père, ses frères, leurs femmes et leurs enfants. Une déportation digne des pratiques staliniennes. Ce Sahraoui a connu plusieurs camps de détention. Détenu successivement à Aouinat Terkez, Tan-tan et Agadir, il a été transféré le 27 janvier au centre secret d’Agdez où il est resté jusqu’au mois d’octobre 1981, puis à Kalaât M’Gouna. Sa souffrance n’a pas pris fin avec sa libération le 30 juin 1991. « Nous sommes restés dans la misère pendant les dix années qui ont suivi notre libération », dit-il. « Nous avons été spoliés de nos terres, et même nos documents d’identité ont été brûlés et pourtant notre famille était des plus riches ».

Rachid Manouzi : La malédiction d’une famille
Sa colère est à peine voilée. Il parle de ses souffrances et celle de sa famille comme si cela datait d’hier. « Je souffre toujours », dit-il. Rachid est né le 7 mars 1951. Victime de la détention arbitraire, il fut contraint à l’exil forcé. L’un des ses frères, Houcine Manouzi, est disparu et son sort demeure inconnu depuis 1972, date où il fut enlevé en Tunisie.
Arrêté en septembre 1970, en même temps que 18 membres de sa famille, il a été conduit à Derb Moulay Cherif ensuite à la prison de Kénitra. Le tribunal militaire s’étant déclaré incompétent, il a été transféré à la prison civile de Marrakech. Acquitté par le tribunal au milieu de l’année 1971, il a été obligé de quitter le Maroc pour l’étranger en mars 1972, à la suite d’harcèlements continus dont il a été l’objet. Sa famille a constamment subi des interrogatoires au sujet de son adresse à l’étranger. Rachid Manouzi est retourné au Maroc en avril 1995, après l’amnistie de juillet 1994. Mais depuis, il est toujours victime de tracas administratifs et sécuritaires.

Fatima Aït Tajer : La mère-courage
Fatima Aït Tajer est la mère du détenu Hassan Semlali appartenant au groupe Serfaty (1974). Durant la période de détention de son fils, Mme Aït Tajer a joué un grand rôle dans le regroupement des familles des détenus et le renforcement des liens de solidarité entre elles. Son domicile à Kénitra a été un point de ralliement des épouses et parents des détenus. Tout le monde l’appelle « Moui Fatma ». Elle rappelle, avec beaucoup de bonne humeur, comment elle est allé demander l’aide de l’USFP dont certains responsables lui ont répondu: « Nous sommes comme vous persécutés ». Et d’ajouter que même les mères payaient pour les crimes présumés de leurs enfants.
Les forces de police les conduisaient régulièrement au commissariat où elles passaient des nuits entières. La nourriture, qu’elles apportaient aux détenus, étaient régulièrement détournée par les gardiens. Une souffrance morale atroce.

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