Les fonctionnaires marocains sont-ils sous-payés ? Dès que vous posez la question, la réponse fused’emblée en prenant l’allure d’une indignation à propos des salaires jugés excessifs touchés par les membres de la haute administration comme les directeurs d’office et certains pontes de la fonction publics tels que le trésorier général du Royaume qui compte parmi les plus gros salaires du pays avec celui du gouverneur de la Banque centrale. Pour les pourfendeurs de cette situation, la recette est simple : geler le traitement de cette catégorie de “privilégiés“ qui truste la part du lion de la masse salariale de la fonction publique et relever le traitement “misérable“ des bataillons des sans-grades et l’armée des agents rivés au bas de l’échelon. Il est vrai que la fonction publique au Maroc se distingue par sa propension à produire des inégalités salariales qui confinent parfois à l’injustice. Les exemples sont légion. Les employés de deux offices différents inscrits à la même échelle n’ont pas un salaire uniforme. Il est vrai aussi que certains directeurs d’établissements publics ont une fiche de paie plus consistante que celles des ministres. D’ailleurs, Fathallah Oualalou pense à revaloriser le salaire de ses collègues du gouvernement. Le ministre de l’Économie et des Finances doit éprouver un cas de conscience du fait que son salaire d’argentier du Royaume est largement supérieur à celui des ministres et même du Premier d’entre eux grâce aux primes de masse atteignant cette année pas moins de 320 millions de Dhs. Une manne colossale que se partagent comme un gâteau les directeurs et les patrons du département des Finances. Un tel état de fait crée évidemment des frustrations à différents étages de l’administration. La masse salariale de l’administration marocaine tourne actuellement autour de 54 milliards de Dhs, soit quelque 32% du budget général de l’État dans sa partie investissement et fonctionnement. C’est énorme. Apparemment, le gouvernement a du mal à ramener cette montagne financière à des proportions raisonnables conformément aux recommandations récurrentes de la Banque mondiale. En fait, la réduction du poids des salaires ressemble à une gageure en l’état actuel de la croissance. Il est difficile sinon impossible, étant donné la taille relativement modeste du budget de l’État (167 milliards de Dhs), de répondre aux revendications financières souvent légitimes, exprimées en permanence, par des pans entiers du service public qui s’estiment lésés. Alors c’est quoi la solution ? Elle n’est ni dans le gel des hauts salaires ni dans le dégraissage du “mamouth“. Il n’y a pas de secret, le remède réside objectivement dans un taux de croissance soutenu à deux chiffres qui ne peut résulter à son tour que de l’investissement productif. C’est le seul moyen d’augmenter de manière conséquente le niveau du budget de l’État et par conséquent de faire face à la nécessité de revalorisation du traitement du peuple des fonctionnaires. Autrement, celui-ci risque dans les années à venir d’être englouti complètement dans le tourbillon impétueux des revendications d’amélioration des conditions matérielles des fonctionnaires. Cette performance économique qui reste à réaliser doit être accompagnée d’une refonte globale des statuts très disparates de la fonction publique dont le gros des troupes se sont paupérisées à vue d’oeil au cours de ces dernières années. Les nouveaux pauvres, qui vivent comme un drame l’érosion régulière de leur pouvoir d’achat, se recrutent de plus en plus dans les rangs de ces catégories au moment où de nouveaux riches émergent dans la société grâce à des activités privées. Si une réforme administrative sérieuse doit être menée au Maroc, il est nécessaire qu’elle prenne d’abord en ligne de compte le bien-être social des serviteurs notamment petits et moyens du service public, ces soldats de l’ombre qui fournissent un travail considérable mais que les supérieurs hiérarchiques comptabilisent à leur compte. D’ailleurs, l’un des problèmes majeurs affrontés depuis quelque temps par l’administration marocaine n’a pas trait seulement au malaise des fonctionnaires comme les enseignants et les policiers – pour ne citer que ceux-là – du fait de l’absence de la motivation et de la récompense. Le mal principal a pour nom la désaffection des cadres à l’égard d’une fonction publique de moins en moins attrayante qui a acquis la mauvaise réputation d’être une machine à broyer les compétences et à désespérer les bonnes volontés. Les valeurs sûres détentrices d’un savoir-faire technique dans les domaines pointus préfèrent se réaliser dans le secteur privé où les conditions matérielles sont plus alléchantes et les perspectives professionnelles moins bouchées. La fonction publique, naguère creuset de nouvelles compétences et motif de fierté de tous, est appelée à oeuvrer pour améliorer la qualité de son encadrement sous peine d’être condamnée à devenir un nid de bras cassés et de pantouflards. La réforme de l’administration n’est pas à mesurer seulement à l’aune du degré de sa proximité avec les citoyens ou de sa célérité à leur délivrer des documents. La réforme doit être fonction de la vision que l’État a de ses employés, grands et petits, et de leur rôle dans une société qui s’ouvre et se démocratise. Force est de constater qu’il s’agit là d’un domaine où le verbe des différents gouvernements est resté incantatoire.