ALM : Dans ce rapport, les rédacteurs n’ont pas mâché leurs mots. Vous avez clairement mentionné que le Maroc n’a pas su bien inclure ses composantes au cours de ces dernières années. Que voulez-vous dire au juste ?
Ahmed Herzenni : Le Maroc n’a pas très bien réussi à inclure ses différentes composantes selon l’indice de développement humain en terme de revenu. Le Maroc est caractérisé par des disparités de revenu et des disparités régionales assez importantes. C’est une faiblesse de cet héritage de 50 ans. Cela ne diminue en rien l’importance des réalisations accomplies dans les domaines de l’agriculture, de l’industrie, des services, de l’administration, de la construction de l’Etat…
Comment l’économie du Maroc a évolué en 50 ans ?
Vous savez, la politique des barrages a été beaucoup critiquée. Mais aujourd’hui, et là je reprends une déclaration de Abdellah Laroui, je dirais que sans cette politique, nous serions en train de mourir de soif et de faim. Dans les années 70, le Maroc a déployé des efforts considérables qui, malheureusement, n’ont pas abouti en raison de la conjoncture internationale. A cette époque, le prix des phosphates a chuté alors que celui du pétrole s’est envolé. D’ailleurs, c’est durant cette époque-là que le Maroc s’est beaucoup endetté et a souscrit au Plan d’ajustement structurel (PAS). Pour les infrastructures et le secteur des services, le pays a accompli un effort assez évident.
Et pourtant, la facture énergétique a continué d’être particulièrement lourde…
Effectivement ! Le Maroc reste un pays pauvre en termes de ressources énergétiques. La facture pétrolière a toujours grevé notre économie d’une manière substantielle. Toutefois, il ne faut pas minimiser nos réalisations accomplies avec peu de moyens. En prenant en considération ces paramètres, ce qui a été accompli paraît impressionnant.
Qu’en est-il de l’éducation ?
En matière d’alphabétisation, les efforts consentis n’ont pas abouti. Après l’indépendance, un effort pour l’éducation des populations a été deployé. Malheureusement, cet élan connaîtra par la suite un grand relâchement. Si nous avions gardé le même rythme, on n’aurait pas cette situation avec un taux inacceptable d’analphabétisme. L’école publique a fait des efforts pour la généralisation, mais en cours de route, la qualité a été sacrifiée. Certes, l’Etat est le premier responsable de la crise actuelle de l’enseignement public, mais il y a d’autres responsables. C’est le cas notamment du secteur privé qui n’a pas contribué à l’évolution du niveau du savoir.
Le rapport a mis le doigt sur les insuffisances du développement humain. Qu’en est-il exactement ?
En terme de développement humain, nous souffrons d’un grave déficit. D’ailleurs, le rapport le reconnaît ouvertement. Il faut mesurer exactement l’envergure de ce déficit pour tracer des perspectives en fonction de ce diagnostic. Il faut valoriser davantage le potentiel humain dont notre nation dispose parce que l’expérience d’autres pays a démontré l’importance considérable de ce facteur dans le développement économique. Il faut prendre soin de la santé et de l’éducation des ressources humaines. Les gens doivent sentir qu’il y a des efforts pour la réduction des écarts. Ils doivent également participer à toutes les initiatives de développement. On parle désormais de gouvernance participative.
Le rapport parle aussi de l’«accountability», l’obligation de rendre des comptes. Comment comptez-vous entamer cette démarche ?
L’« accountability » est un aspect fondamental d’une bonne gouvernance. L’on ne peut plus se permettre de faire n’importe quoi, sans sanctions…Ce sont des habitudes abandonnées. Rendre des comptes est une nouvelle culture que nous devons acquérir. Nous devons ouvrir un débat pour fixer des objectifs en commun. Sans oublier de fournir les moyens et de désigner clairement qui fait quoi. Dans ce sens, il faut créer des instances de suivi et d’évaluation.
Que voulez-vous dire exactement par ces instances de suivi et d’évaluation ?
Ces institutions sont d’ailleurs l’essence même de la démocratie. L’Instance Equité et Réconciliation (IER) avait une tâche ponctuelle et n’est plus. Pour les droits humains, il y a toujours le Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH) qui est une institution de suivi et d’évaluation. Il est temps d’activer le Conseil social et économique et de mettre en place d’autres organismes. Il nous faut une dizaine d’observatoires privés dans divers domaines. Ce sont là des choses qui doivent faire partie intrinsèque de notre culture.
Intitulé «L’avenir se construit et le meilleur est possible», le rapport trace les perspectives du Maroc de 2025. Quels sont les scénarios envisagés pour le futur proche ?
Nous avons imaginé deux scénarios, le Maroc de la continuité et le Maroc souhaitable. Le Maroc de la continuité nous mènera à la catastrophe. Chose que nous ne voulons pas. Le Maroc souhaitable est possible. Le développement humain est sa raison d’existence, avec moins de disparités aussi bien sur le plan social que régional. C’est un Maroc où les gens se portent bien. Un Maroc avec des réformes institutionnelles, un développement local, une bonne gouvernance…Toutes les composantes doivent œuvrer pour que le Maroc souhaitable devienne réel !
Croyez-vous vraiment à cela ?
Vous savez, les conditions politiques sont là. Bien avant la publication de ce rapport, SM le Roi a lancé l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH). Nous ne partons pas de zéro. Nous avons des acquis. Il faut juste combler les lacunes. Il faut mettre sur les rails la culture qu’il faut le plus rapidement possible. Nous sommes à un tournat de notre histoire où nous tournons une page pour ouvrir une autre. Je lance un appel aux Marocains pour qu’ils préparent leurs plumes pour la rédaction de cette nouvelle page.