Il est minuit, et chaque soir, c’est pratiquement le même rituel pour Said, âgé environ de vingt ans. Concentré devant l’écran de l’ordinateur du cyber du quartier, il passe en revue la liste des nick name (pseudonymes) qui défilent devant ses yeux. Mais le choix de Said semble fait. « Avec Maiva, pseudo de sa copine virtuelle qui habite en France, j’y arriverai. C’est sûr. Ça fait plusieurs mois que je la traque, et là je crois que c’est vraiment dans la poche. Regarde comment elle me dit « je t’aime ». Tu vois, il sent la sincérité à plein nez ce « je t’aime ». Les Européennes ne rigolent pas avec des choses pareilles ! ». Le but pour notre ami est, bien entendu, de décrocher ce qu’il qualifie de jackpot. C’est-à-dire, des papiers pour émigrer en Europe. Pour partir. Pour toujours, si possible. Parce que ici, « il n’y a rien à foutre ». Les rêves de Said sont ailleurs, jamais ici. Mais à défaut de visa et de moyens, Said se contente pour le moment du virtuel, de discuter avec son « élue » pendant des heures et des heures, à travers l’écran de l’ordinateur. Mais partir pour faire quoi exactement, Said ? Sa réponse est catégorique : « Une fois en Europe, tu peux tout faire mon ami. C’est là-bas où je pourrais enfin m’acheter la bagnole et la maison de mes rêves.
Beaucoup de mes copains qui sont parti ont assuré leur vie. Pourquoi pas moi ? » lance-il en émaillant l’écran de « Maiva » d’interminable câlins virtuels.
À l’extérieur, le spectacle des jeunes immigrés qui roulent au bled avec des voitures décapotables ne fait que fertiliser davantage les idées de Said. Il est convaincu qu’il peut réussir autant que son voisin qui est parti en Italie voilà deux ans et qui est revenu avec un énorme 4X4 flambant neuf. Sans oublier la « belle blonde aux yeux verts » qui l’accompagne tout le temps. Le rêve, tout simplement. En attendant, Said s’accroche pour séduire sa quête virtuelle. Convaincu dur comme fer que ses rêves et sa place sont là-bas, et nulle part ailleurs…