Samedi 28 janvier 2006, le Maroc est éliminé au premier tour de la Coupe d’Afrique des nations. En trois rencontres, les Lions de l’Atlas n’ont marqué aucun but : battus par la Côte d’Ivoire (1-0), tenus en échec par l’Egypte, et malmenés par la modeste Libye (0-0). A l’image de son chef de délégation, Mohamed Guertili, membre fédéral dont les scandales et les écarts font les titres de la presse sportive, les Lions de l’Atlas ont brillé par leur stérilité offensive, leur incapacité défensive et un désordre tactique inexplicable.
Tous, membres fédéraux, staff technique et joueurs, sont d’accord sur le fait que la prestation marocaine au pays des Pharaons est le résultat logique et prévisible d’une série de ratages commis par une vingtaine de membres fédéraux, incapables d’assumer, comme le veut le fair-play sportif, la responsabilité d’un échec cuisant de leur gestion. Si, à la tête de la fédération de football, il y a un militaire, le général de corps d’armée Housni Benslimane, président depuis plus de dix années, il faut dire que la plupart de ceux qui détiennent véritablement le pouvoir sont des membres cooptés, ne disposant même pas d’une légitimité de représentation d’un club sportif. Auparavant, les rênes de la fédération étaient entre les mains du Colonel major Hassan Zemmouri. Un mandat d’une année marqué la participation des Lions de l’Atlas aux phases finales de la Coupe du monde 1994 aux Etats-Unis. Et comme un militaire en remplace un autre en tête de la pyramide fooballistique nationale, la FRMF était durant huit ans, depuis 1985 exactement, présidée par l’ancien capitaine de la sélection mondialiste de 1970, Driss Bamous, colonel à l’époque. Ce dernier a pris la relève d’une commission provisoire qui avait à sa tête Feddoul Benzeroul, cadre du ministère de la Jeunesse et des Sports, mis en place suite à la célèbre défaite de l’équipe nationale contre son homologue algérienne (5-1) en décembre 1979. Un échec qui a mis fin à la mission du bureau fédéral présidé par le colonel Mehdi Belmejdoub, qui compte à son palmarès d’ailleurs la seule Coupe d’Afrique des nations remportée par les Lions de l’Atlas. C’était en 1976 à Addis Abeba face au Sily national de Guinée, mené par Chérif Soulaimane, Papa Camara et Petit Sory. Et en trente années de gestion militaire, de 1976 à 2006, des pratiques de gestion particulière se sont installées dans les rouages de la plus grande fédération sportive nationale qui compte 350 clubs affiliés pour 89 000 licenciés. Les nombreux militaires détachés à la gestion administrative de l’instance fédérale en sont la preuve. C’est l’exemple du colonel Mossammem, bras droit de Housni Benslimane et qui veille, en l’absence du président, à la bonne marche des affaires de la FRMF ainsi que le commandant Lakhal, présent dans tous les déplacements des équipes nationales à l’étranger.
Une question s’impose : qui dirige véritablement la fédération de football ? Une seule réponse sur les lèvres de plusieurs responsables fédéraux, tous ayant cependant requis l’anonymat : M’hamed Aouzal, premier vice-président de la FRMF et président du Groupement national de football élite (GNFE), coopté par le président. Ce rajaoui, qui a fait fortune dans le secteur des assurances, est omni-présent sur la scène sportive nationale. De la commission provisoire chargée de la gestion de la Fédération royale marocaine d’athlétisme (FRMA) au comité de son club d’origine, le Raja de Casablanca. «C’est M. Aouzal qui prend toutes les décisions qu’elles soient importantes ou pas au sein de la fédération. C’est lui qui a pris la décision de limoger Baddou Zaki. C’est également lui qui a pris contact avec le Français Philippe Troussier et lui a proposé de prendre en charge les équipes nationales», explique un membre fédéral. Et d’ajouter : «Au président de la fédération, on avait à l’époque dit que la commission ad hoc chargée de choisir le sélectionneur national avait reçu quelque 19 propositions. Plus tard, M. Troussier avait clairement expliqué à la presse qu’il avait été approché par les responsables fédéraux». M. Aouzal est secondé par Ahmed Ammor, secrétaire général de la FRMF, membre également coopté, démissionnaire en compagnie du vice-président deux semaines avant le début de la CAN 2006. Démission qui a d’ailleurs été rejetée quelques jours plus tard par un bureau fédéral réuni à la hâte et qui a estimé que «la conjoncture ne se prêtait pas à ce type de départ précipité», estime l’un d’eux. Le cas Troussier a ainsi mis à nu les différents dysfonctionnements quant au processus de prise de décision dans cette fédération fondée en 1955, affiliée à la FIFA en 1956 et devenue membre de la CAF en 1963. Après le départ du coach français, nombreux sont les membres fédéraux qui ont critiqué haut et fort ce recrutement. Paradoxal quand on sait que cette même décision a été votée à l’unanimité lors d’une réunion du bureau fédéral. C’est dire le degré de coordination au sein d’une équipe censée veiller sur la bonne marche d’une pratique sportive qui compte des millions de supporters au Maroc.
Argent, quand tu nous tiens
Cette piètre prestation coûte cher au contribuable. Amateurisme oblige, nos membres fédéraux, étant donné leur statut d’élus, ne touchent pas de salaire fixe. Heureusement ! Il n’y a que les fonctionnaires de la fédération, dont le directeur général M’hamed Hourrane, le responsable du département des finances Ahmed Sbiti, celui du département des sports ainsi que le responsable du département des affaires générales notamment qui disposent d’un salaire pouvant atteindre 18.000 DH pour les postes de responsabilité. Quant aux membres fédéraux, ils ne se trouvent pas pour autant dans le besoin vu les indemnités de déplacement et de représentation qu’ils perçoivent régulièrement et qui sont définies en fonction de la nature de la mission et de l’importance de l’événement. Des indemnités qui, selon des sources concordantes, avoisinent les 2000 DH par jour. L’on peut imaginer les bousculades à l’occasion de chaque Coupe d’Afrique des nations, Coupe du monde ou encore Jeux Olympiques, compétitions pour lesquelles la qualification des Lions de l’Atlas est surtout synonyme de plus d’argent de poche. Mais il n’y a pas que ces manifestations mondiales et régionales.
La fédération, membre de la FIFA et de la CAF, se trouve en outre dans l’obligation d’assister à toutes les réunions. Ce qui implique davantage d’argent du contribuable pour effectuer des missions qui, jusque-là, n’ont pas rapporté grand-chose au football national. Il n’y a qu’à voir le degré de représentativité de notre instance fédérale dans ce microcosme du ballon rond continental et mondial. En effet, aucun Marocain n’est actuellement membre des comités exécutifs de la CAF et de la FIFA. Le dernier des Marocains CAFistes est Saïd Belkhyat, qui, faute de soutien de la part de sa propre fédération, a été obligé de quitter les instances dirigeantes de la confédération africaine. Coup dur pour le football national dont les conséquences se ressentent à chaque participation des clubs marocains dans les coupes africaines.
Coup de pub, coup de gueule
Vu ce train de vie de notre fédération, l’on aura tendance à croire que ses caisses sont pleines. Si actuellement, elles le sont effectivement grâce à l’apport gouvernemental survenu suite au contrat-programme qui a été signé en juin 2005 et qui porte sur un montant global de 280 millions DH sur cinq années. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Les crises financières sont légion au sein d’une organisation gérée de manière rentière. La dernière et non des moindres a obligé les Lions de l’Atlas d’annuler un stage de concentration à l’étranger alors qu’ils étaient en pleine campagne des éliminatoires combinées Coupe du monde-Coupe d’Afrique 2006.
C’était en juin 2004 à quelques jours de la rencontre aller contre le Botswana. Le trésorier de la FRMF, alors que ses finances ne le permettaient pas, avait déboursé la somme d’un million DH pour régler les arriérés des primes de l’équipe finaliste de la CAN 2004 et un autre million de DH en primes de qualification versées à l’équipe de Mustapha Madih qui avait décroché son ticket pour les Jeux Olympiques d’Athènes 2004. Résultat, il a fallu recourir à une rallonge financière des sponsors, Maroc Telecom en tête, qui avait alors déboursé d’urgence la somme de cinq millions DH. Et en parlant des sponsors, il est judicieux de signaler que leurs coups de gueule sont également courants. Le tout-dernier date d’il y a quelques jours lorsque Maroc Telecom, supporter officiel du football national, avec une enveloppe de 20 millions DH annuellement, s’est insurgé contre l’exploitation de l’image de certains internationaux par son concurrent. Plusieurs offres commerciales ainsi que des spots publicitaires correspondant ont été en effet lancés à l’occasion de la 25ème Coupe d’Afrique. Maroc Telecom menace même de recourir à la justice pour dénouer cet imbroglio qui risque de coûter cher, et c’est le cas de le dire, au football national. Quelques semaines plus tôt, Maroc Telecom, après plusieurs avertissements, s’est vu dans l’obligation de donner aux responsables de la fédération une belle leçon en retirant la somme d’un million DH de sa prime de sponsoring annuelle.
La raison en est l’apparition sur un match du championnat de première division du GNFE d’une affiche publicitaire de Méditel. Chose qui n’a pas lieu d’être comme le stipule le contrat établi entre l’instance fédérale et l’opérateur de télécommunications. Si, après l’exploit des Lions de l’Atlas, finalistes de la CAN 2004, les sponsors ont été nombreux à se bousculer au portillon de la fédération, le revers égyptien risque de les en éloigner.
Chronique d’une faillite annoncée
Samedi 13 février 2004, le Maroc perd la finale de la Coupe d’Afrique devant les Aigles de Carthage. Une défaite qui, à l’époque, était fêtée en grande pompe. Les joueurs, le staff technique et les accompagnateurs de la délégation nationale en Tunisie ont été reçus en héros par des centaines de milliers de Marocains, fiers de compter une équipe nationale qui, le temps d’une compétition continentale, a rugi de belle manière. Quelques mois plus tard, ces fans, fou amoureux du ballon rond et qui caressaient le rêve d’accueillir le plus grand et prestigieux rendez-vous footballistique de la planète, connaissent leur première désillusion après que le comité exécutif de la FIFA ait décerné l’organisation de la Coupe du Monde 2010 à l’Afrique du Sud. Pour beaucoup d’observateurs, ce n’est pas le dossier présenté par l’équipe de Saâd Kettani qui a été pénalisé mais un cumul de gestion défectueuse ainsi que les deux précédentes candidatures marocaines entachées de promesses non-tenues qui ont donné un coup fatal à la crédibilité du football national. L’un des plus importants reproche fait par le tout-puissant Joseph Blatter est ce mix entre professionnalisme et amateurisme qui caractérise tant la gestion du football national. Et au fil des saisons, la prophétie du président de la FIFA se réalise. Actuellement, les conséquences de cet échec cuisant en terre d’Egypte serait certainement la dissolution de cette instance budgétivore (près de 50 millions de dirhams par an) et la mise en place d’une commission provisoire (encore une autre). Parce que, comme l’a d’ailleurs souligné l’ancien international marocain et professionnel de Reims Hassan Akesbi, «en football, celui qui n’avance pas, recule».