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La ville éclatée

A elle seule, la ville de Casablanca constitue un véritable microcosme du Maroc avec quelque trois millions d’habitants, une croissance démographique frisant les 3 % par an et une participation largement majoritaire à l’activité commerciale et à la production industrielle du pays et une concentration du capital financier sans égal avec le reste du royaume.
Son port totalise plus de 60 % des échanges commerciaux du royaume. Mais Casablanca est aussi l’une des métropoles les plus controversées du tiers-monde et l’une des villes où la répartition de l’espace connaît les déséquilibres les plus patents de nos jours. Alors que la densité de la population est de 17 habitants par hectare dans la zone d’Anfa, ce taux passe à 800 habitants par hectare dans l’ancienne médina et atteint les 1500 personnes par hectare, dans des nouveaux quartiers périphériques. A cela s’ajoute l’exiguïté de l’habitat et les problèmes qui découlent de ce phénomène.
Réputée pour sa vocation industrielle, cette ville constitue, néanmoins, l’agglomération qui englobe le plus les zones à haut risque du pays.
La ville de la classe ouvrière, comme on le dit, est celle-là même qui se distingue par son urbanisme sauvage, un degré d’insertion sociale très faible et une perte de la boussole à même d’orienter le comportement des individus. Eclaté depuis les premières années du Protectorat, l’espace casablancais, tout en constituant un terrain privilégié pour le capital financier et industriel du pays, s’est transformé, au fil des années, en espace de contestation par excellence.
Sans revenir aux premières manifestations de rue qui ont tourné à l ‘émeute, comme c’est le cas pour les grèves de 1936 et les événements de 1952, ou même les manifestations de mars 1965, il est cependant d’une nécessité incontestable de revenir sur les événements qui ont secoué cette ville, il y a une vingtaine d’années. En effet, dans une ville où les frustrations battent leur plein, où l’encadrement social et politique fait défaut, où la pauvreté, les échecs et les déceptions sont monnaie-courante et où la morosité due à la démission de l’aménagement de l’espace prête à l’aliénation mentale, il suffit d’une petite étincelle pour que le feu se répande. Quand, à l’éclatement de l’espace, s’ajoutent la perte des valeurs, l’émergence d’une nouvelle caste de néo-citadin dépourvue de légitimité historique, qui tente constamment de camoufler cette carence par la manifestation exhibitionniste des signes de richesses et un rapprochement aux autorités publiques, le rapport à l’espace devient conflictuel. Ainsi, un appel à une grève, qui devrait logiquement ne jamais transcender les domaines du travail, pourrait se transformer, à tout moment, en une descente à la rue. Cela, nous l’avons vu durant toute l’histoire moderne de Casablanca et de bien d’autres villes. De même qu’en octobre 2000, nous avons vu la capitale économique du royaume se métamorphoser en terrain de « guerre civile », suite à un appel annoncé par des islamistes, pour une manifestation dite de soutien à la Palestine. Car, dans ce cas, ni la prolifération, depuis 1981, des commissariats et des arrondissements, ni la multiplication de l’effectif sécuritaire, ni même les installations des caméras dans les grandes artères de la ville ne sauraient arrêter l’avalanche de la violence humaine et les soupirs destructeurs des frustrés de l’urbanisme sauvage et de la modernisation centralisée et par le haut.
Casablanca est blessée, son espace a subi plusieurs circoncisions et sa population est assoiffée de légalité, d’unité et d’optimisme. Mais, jusqu’à présent, celle-ci s’est contentée de manifester ses mécontentements par le débrayage, la défection du politique et le silence contestataire en attendant des jours meilleurs.

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