Le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) vient de présenter le rapport annuel sur la situation des droits de l’Homme au Maroc 2022. Ce rapport sur la situation des droits de l’Homme, adopté par l’assemblée générale du Conseil tenue en octobre 2022, présente des conclusions et des recommandations générales et s’articule autour des neuf axes. Les détails.
Le rapport annuel du CNDH au titre de l’année 2022 présente une évaluation de la situation des droits de l’Homme au Maroc ainsi qu’un bilan des actions du CNDH en matière de protection, de promotion et de prévention des violations des droits de l’Homme, avec des données chiffrées portant sur 21 droits thématiques et 5 droits catégoriels, outre les droits des femmes et des filles. Conformément à l’article 20 de la loi 76-15 relatif à la réorganisation du CNDH, les rapports d’activités des trois mécanismes nationaux ont été inclus dans leur intégralité dans le rapport annuel. Il s’agit en l’occurrence des rapports du Mécanisme national de prévention de la torture, du Mécanisme national de recours pour les enfants victimes de violation de leurs droits et du Mécanisme national de protection des personnes en situation de handicap. Selon Amina Bouayach, présidente du CNDH, «ce rapport sur la situation des droits de l’Homme au Maroc en 2022 détaille certaines de ces défaillances. Sans doute l’une des plus importantes conclusions qu’il émet se rapporte à la nécessité d’un monitoring et d’une évaluation réguliers des politiques publiques. Bien que la tendance commence à s’inverser, l’absence d’objectifs clairs et chiffrés des politiques publiques, que ce soit en termes de délai ou en termes «d’outcome», rend leur monitoring et évaluation (M&E) difficiles».

Tournant décisif
Pour Mme Bouayach, «la société marocaine est en train de vivre un tournant décisif dans son processus de démocratie émergente, nous obligeant tous à agir. Il nous est capital de saisir l’occasion et le momentum de manière à initier une nouvelle phase de réformes qui répond aux attentes exprimées des Marocains, aux obligations constitutionnelles et aux engagements conventionnels du Royaume du Maroc». Ainsi, l’institution a, dans le cadre de son action en matière de suivi et d’évaluation de l’effectivité des droits de l’Homme dans les politiques publiques, enregistré un bon nombre d’initiatives derrière lesquelles se profile une redéfinition des priorités. Cet éventuel changement de cap serait en gestation dans les projets de réforme et les différentes mesures prises dans les domaines du droit à l’éducation, du droit à la santé et de l’accélération du processus de généralisation de la couverture médicale obligatoire. Dans ce sens, l’année 2022 a été particulièrement marquée par un regain d’intérêt pour la question des droits de la femme et des filles. Le CNDH, se félicitant de la décision de SM le Roi de réviser le Code de la famille, souhaite que ce moment de réforme soit, également, l’occasion de prendre en considération les déterminants extra juridiques des droits des femmes et des filles et leur accorder l’importance qui leur échoit dans ce projet de réforme structurant.
Plaintes et requêtes reçues
Le Conseil et ses commissions régionales ainsi que les trois mécanismes nationaux ont reçu un total de 3.245 plaintes et requêtes, dont 1.895 ont été traitées par les CRDH (Commissions régionales des droits de l’Homme), 70 par le Mécanisme national de recours pour les enfants victimes de violation de leurs droits et 47 par le Mécanisme national de protection des droits des personnes en situation de handicap. Le nombre de plaintes et requêtes reçues en 2022 correspond à une augmentation de 7,52 % par rapport à l’année 2021. Suite à l’analyse de ces plaintes et requêtes, il ressort que les établissements pénitentiaires continuent de faire l’objet de plaintes. Néanmoins, le nombre croissant de plaintes liées aux droits économiques et sociaux peut être considéré comme un indicateur de l’ampleur des défis auxquels les citoyens sont confrontés en matière d’accès à ces droits. En matière de plaintes, on constate également un recours croissant aux commissions régionales du CNDH, ce qui confirme leur rôle fondamental de protection au niveau local et leur importance en tant que mécanismes de monitoring de proximité.
Conclusions
Le suivi de la situation des droits de l’Homme au Maroc, assuré par le CNDH et ses commissions régionales, permet de faire le constat d’une récurrence des plaintes liées essentiellement aux droits économiques et sociaux. En effet, l’analyse de l’évolution de ces plaines, vues sous l’angle de leur nombre et objets, fait ressortir une forte concentration sur des droits qui font l’objet de plusieurs actions et projets de réforme des politiques publiques, comme le droit à la santé et à l’éducation. Cet état de fait s’expliquerait, entre autres, par les multiples dysfonctionnements qui pèsent sur la capacité de ces politiques publiques à développer des réponses adaptées aux contextes et situations qui donnent lieu aux griefs et doléances, objets de ces plaintes. A cet effet, le Conseil estime que la conjoncture générale actuelle, marquée par une crise multidimensionnelle (Covid-19, changements climatiques, stress hydrique, inflation, etc.) offre une opportunité inédite pour opérer un véritable changement de paradigme en matière de méthodologie, d’élaboration et de mise en œuvre des politiques publiques dans notre pays. Le Conseil propose d’adopter l’approche «reflexive thinking» dans l’évaluation des politiques publiques. Cette démarche consiste à faire de la réflexion sur les dysfonctionnements et défaillances, qui seraient à l’origine de l’échec des politiques publiques dans les domaines de l’enseignement et de la santé, pour ne citer que ces deux exemples, un cadre de réajustement, de réforme de ces secteurs.
Propositions : Le rapport annuel du CNDH contient une série de recommandations en matière de politiques publiques. Le Conseil recommande ainsi d’adopter un plan d’action national dans le domaine des entreprises et droits de l’Homme, conformément aux standards internationaux, notamment les principes relatifs au comportement responsable des entreprises, au devoir de diligence et à la compétence extraterritoriale. Il a également été préconisé de respecter les délais légaux de réponse aux plaintes transmises par le CNDH et prendre les mesures nécessaires dans les cas où les violations sont confirmées et apporter des réponses précises et convaincantes aux correspondances du CNDH. Il s’agit également de prendre des mesures urgentes pour réduire la surpopulation carcérale, notamment en rationalisant la détention préventive, en révisant la procédure de grâce, en mettant en œuvre la libération conditionnelle, en sensibilisant la population carcérale et en accélérant l’adoption des peines alternatives. Le CNDH demande aussi de publier les résultats des enquêtes menées par les pouvoirs judiciaires relatives aux violations du droit à l’intégrité physique sans oublier également de renforcer la protection des individus contre l’exploitation de leurs données privées, sans leur consentement, par les sociétés d’Internet et les courtiers en données.
Recommandations
Le rapport du CNDH comporte une série de recommandations. Sur le plan législatif, le Conseil recommande d’accélérer l’adoption du projet de loi modifiant et complétant le code pénal et veiller à sa conformité avec les recommandations du Conseil contenues dans son mémorandum publié en 2019, visant son harmonisation avec la Constitution et les normes internationales des droits de l’Homme, et tenir compte des nouveaux défis que pose l’espace numérique, notamment en les soumettant aux principes de légitimité, de proportionnalité et de nécessité. Il s’agit en outre d’accélérer la procédure d’adoption du projet du Code de procédure pénale, en veillant à prendre en considération les recommandations du Conseil dont l’élargissement de la présence de la défense lors de la phase d’enquête préliminaire depuis le placement en garde à vue, instaurer l’utilisation de moyens d’enregistrement audiovisuel lors de la rédaction des rapports de la police judiciaire et procéder à une expertise médicale avant et après la période de garde à vue, en cas d’allégations de torture et soumettre toutes les décisions privatives de liberté à recours immédiat, y compris celles relatives à la garde à vue et à la rétention. Dans le domaine institutionnel, l’Institution recommande de mettre en place les institutions constitutionnelles comme l’Autorité pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination ; le Conseil consultatif de la famille et de l’enfance ; le Conseil consultatif de la jeunesse et de l’action associative ; le Conseil national des langues et de la culture marocaine. Il est également question de mettre en place un comité national pluridisciplinaire de bioéthique composé de scientifiques, éthiciens et politiques, conformément aux normes internationales, en particulier celles contenues dans la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’Homme. En matière de politiques publiques, il est recommandé d’accélérer l’opérationnalisation de l’engagement du gouvernement en vue d’une révision du plan d’action national en matière de démocratie et des droits de l’Homme, en tenant compte des défis émergents dans le domaine des droits de l’Homme, notamment ceux liés aux changements climatiques, à l’espace numérique et à la bioéthique. Il s’agit, en outre, d’adopter une stratégie nationale de santé basée sur l’approche des droits de l’Homme et la centralité du rôle de l’État dans la protection du droit à la santé, ainsi que l’augmentation du budget affecté au secteur, permettant l’amélioration des conditions matérielles de travail du personnel de santé et le renforcement de ses capacités, la mise à niveau des infrastructures sanitaires et la généralisation des centres de soins sur l’ensemble du territoire national.
Emergence : Selon le CDNH, l’année 2022 a également été marquée par l’émergence de nouveaux défis en matière de protection des droits de l’Homme. Le premier défi majeur est lié aux menaces du stress hydrique qui limite, de façon considérable, l’accès au droit à l’eau. Exprimant sa profonde préoccupation par le recul alarmant de la disponibilité par habitant des ressources en eau, le CNDH souligne l’urgence de mettre en place une nouvelle politique hydrique globale et intégrée, qui érigerait la sécurité alimentaire et la protection du droit des générations futures en priorité absolue. Un autre défi a trait aux effets négatifs de l’envolée du taux d’inflation qui s’est établi à 6,6 en décembre 2022. Etant donné que la hausse des prix se concentre essentiellement sur l’alimentation et l’énergie, l’accès des citoyens à leurs droits économiques et sociaux se trouve désormais mis à rude épreuve. Enfin, pour atténuer les effets de l’inflation sur le pouvoir d’achat des citoyen-ne-s, et assurer la pérennité du financement des droits économiques et sociaux, il est important de relever les défis liés à la mise en place d’un système fiscal plus équitable et d’en faire un moyen de correction des inégalités.
Verbatim
Les moments forts de l’intervention de Amina Bouayach, présidente du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) «Le Conseil, ses commissions régionales et ses mécanismes nationaux ont reçu en 2022 un total de 3.245 plaintes et requêtes, dont 1.233 reçues par le siège du Conseil et 1.895 par les commissions régionales des droits de l’Homme (CRDH)».
«Ce rapport présente une évaluation de la situation des droits de l’Homme au Maroc ainsi qu’un bilan des actions du CNDH en matière de protection, de promotion et de prévention des violations des droits de l’Homme, avec des données chiffrées portant sur 21 droits thématiques et 5 droits catégoriels, outre les droits des femmes et des filles».
«Le système national de protection des droits de l’Homme est confronté à un certain nombre de défis qui marquent la situation des droits de l’Homme non seulement dans le Royaume, mais dans le monde entier».