Depuis le déclenchement de la crise diplomatique entre le Maroc et l’Espagne, il y a une année, le gouvernement espagnol présidé par José Maria Aznar essaye à chaque occasion de lui attribuer un aspect militaire. Directement ou indirectement, la donnée militaire s’est imposée, grâce à un ensemble de manoeuvres médiatiques des collaborateurs d’Aznar, comme un élément essentiel dans le conflit.
Cette tendance à la militarisation du différend entre les deux pays n’est nullement une conséquence de l’affaire de l’îlot marocain de Tourah comme on serait enclin à penser. Certes, cette affaire a été un facteur essentiel dans l’escalade militaire, mais elle n’est qu’un maillon dans un enchaînement d’événements qui se succèdent depuis plus d’un quart de siècle. Il y a vingt-sept ans, rappelons-le, le Maroc récupérait ses provinces sahariennes grâce à la glorieuse marche verte. Un événement qui restera dans les annales de l’Histoire militaire espagnole et dans la mémoire des généraux de l’armée ibérique comme une grande défaite. Il n’y a pas eu de guerre, dira-t-on. Mais, il faut savoir que les officiers supérieurs des forces armées espagnoles, à l’époque, dont la plupart continuent à avoir des positions influentes, avaient estimé que la récupération du Sahara constituait un déshonneur pour eux. D’autant plus qu’il s’agissait d’une marche de civils.
Aussi, faut-il dire que juste après cette « défaite », l’armée espagnole allait encaisser une autre encore plus dure : la perte du pouvoir en Espagne. Avec la transition démocratique entamée par le roi Juan Carlos premier, les généraux de l’armée espagnole avaient dû se résigner à rester dans les casernes et à ne plus avoir de rôle politique.
Juste quelques années après, un troisième coup dur allait avoir lieu et qui avait été un coup aux généraux franquistes à savoir l’arrivée au pouvoir du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE). Les socialistes, ils avaient dû les « supporter » durant quatorze ans. Avec « La movida » (expression attribuée à l’élan de liberté socioculturelle entamé avec l’arrivée du PSOE) et tout ce qui s’en suivit, les généraux franquistes le subissaient comme une défaite et attendaient l’occasion pour recouvrer leur gloire d’antan. D’ailleurs, au passage, on rappellera que certains étaient même passés à l’acte le 23 février 1981 en dirigeant un coup d’Etat. Et bien qu’ils aient été arrêtés et traduits devant la justice espagnole, ils ont toujours bénéficié de l’estime et du respect de leurs collègues même de la part de ceux qui avaient refusé d’adhérer à leur tentative de putsch.
Ce n’est qu’avec l’arrivée au pouvoir du Parti Populaire (PP) que l’armée espagnole allait enfin avoir l’occasion de s’épanouir et de récupérer son influence sur le pouvoir.
Il serait utile de savoir que le PP (ex-Alliance Populaire) est un parti de l’époque franquiste et que la majorité des dirigeants actuels de ce parti sont des descendants des proches collaborateurs du régime franquiste ou d’ex-officiers de l’armée du Généralissime Franco.
Ce rappel historique permet de comprendre cet élan de militarisation que la coupole dirigeante des forces armées espagnoles est en train de faire adopter par José Maria Aznar et son ministre de la défense, Federico Trillo, sous prétexte de l’existence d’une menace extérieure émanant du Maroc.
Il est toutefois important de signaler que José Maria Aznar, qui avoué, à maintes reprises, qu’il rêvait, lorsqu’il était jeune, d’intégrer l’armée. Les généraux y ont donc trouvé un terrain fertile pour cultiver cette culture de guerre. D’ailleurs, l’exemple de la réaction d’Aznar dans l’affaire de l’îlot marocain de Tourah a étonné ceux-là même qui lui avaient conseillé d’opter pour la riposte militaire, vu la rapidité avec laquelle il avait pris la décision.
Aujourd’hui, cette influence de plus en plus importante de l’armée espagnole sur le gouvernement d’Aznar se traduit par un ensemble de textes de loi visant à introduire des réformes dans cette administration, à développer son arsenal, et à lui conférer des marges d’actions très poussées. Ainsi, sous allégation de l’expérience de Tourah, ces officiers ont pu convaincre le gouvernement Aznar de leur attribuer la prérogative de déclencher la guerre sans autorisation préalable du chef de l’Etat. Cette réforme est contenue dans le texte de loi créant un commandement unique pour les trois armées dirigé depuis la ville occupée de Sebta. Selon ce texte, le chef de ce commandement peut ordonner une attaque militaire contre le Maroc s’il estime qu’il y a une menace imminente contre les colonies espagnoles dans le détroit.
Enfin, il faut rappeler à José Maria Aznar que son projet de « la nouvelle transition » contenu dans son livre portant le même titre et qu’il ne cessait d’afficher, il y a quelques années comme étant son programme politique, risque de devenir « la nouvelle dictature ».