ALM : Le PNUD vient de publier un rapport sur le développement humain dans le monde arabe qui reflète un retard patent dans le domaine de l’enseignement et de l’éducation . qu’en pensez-vous ?
Abdelkader Chaoui : Il s’agit d’un rapport annuel rédigé par plusieurs chercheurs, dont des universitaires marocains. Dans ce rapport, il est établi que 4% des étudiants marocains sont inscrits dans les facultés des sciences, contre 20% dans la République de Corée du Sud. Dans le même ordre de dysfonctionnements, l’on trouve que le budget consacré à la recherche scientifique ne dépasse guère les 0,02 % du budget de l’Etat. A mon sens, une des explications valables, à ce sujet, consiste dans le fait que le système d’éducation ne diffère pas des autres systèmes en vigueur, comme c’est le cas pour les domaines politiques et économiques. Il y a une faille liée à l’incapacité d’absorption des potentialités nationales productives. Il s’agit, donc, d’un phénomène global, dont l’une de ses répercussions manifestes n’est autre que l’échec du système d’enseignement et d’éducation.
Un autre problème, non moins important : le gaspillage enregistré dans les établissements scolaires. Comment expliquez-vous cela ?
C’est une question d’ordre politique. En fait, durant les quarante dernières années, le Maroc a expérimenté plusieurs systèmes d’enseignement. On est passé de la fameuse étape dite des quatre principes d’enseignement (unification, arabisation, obligation et généralisation de l’enseignement), adoptés en 1957, à une phase où les responsables ont accordé un intérêt particulier à l’enseignement en langues étrangères. A présent, on est en train d’expérimenter un nouveau type de réformes, d’où les dysfonctionnements qui se manifestent.
Comment expliquez-vous cette désertion collective par rapport au fait culturel au Maroc ?
Certes, les données chiffrées se passent de tout commentaire. Au Maroc, à titre d’exemple, la production des livres ne dépasse pas le seuil de 300 ouvrages par an, alors que ce seuil est de l’ordre de 500.000 au niveau mondial. Le monde arabe produit 1,1 % de la production mondiale des livres, alors que sa population représente 5% de la population mondiale. Mais, pour le cas du Maroc et de certains pays qui lui ressemblent, il faudrait reconnaître que la baisse dont il est question est largement tributaire du pouvoir d’achat et du nombre élevé des analphabètes.
Mais, certains observateurs estiment que les Marocains appréciaient le savoir et les savants, ce qui n’est plus le cas de nos jours. N’est-ce pas ?
A mon sens, il y a probablement l’impact de la croissance démographique. Le Maroc disposait de 10 millions d’habitants en 1960, alors qu’aujourd’hui sa population est de l’ordre de 30 millions. La consommation et la production du savoir obéissent, également à la loi de l’aménagement de la rareté. En d’autres termes, la production et la consommation des livres dépendent en grande partie des ressources disponibles. Plus la population est pauvre, plus l’intérêt pour la lecture et la consommation du papier diminue. D’un autre côté, ce phénomène était lié, dans le passé, à la pratique religieuse. A cela s’ajoute un facteur d’une importance capitale, lié au contenu du système éducatif, lequel n’accorde pas d’importance à la créativité et au développement de l’esprit critique et n’encourage guère à la pratique de la lecture. Enfin, il est nécessaire de rappeler que notre expérience dans le domaine de l’édition est à ses débuts et qu’il est encore prématuré de l’évaluer.
Et comment expliquez-vous le phénomène de la fuite des cerveaux ?
C’est une véritable hémorragie qui aura des répercussions néfastes sur le développement de notre pays ainsi de tous les Etats pauvres. Cela dit, le problème qui s’impose à ce niveau a trait aux moyens mis à la disposition des chercheurs et des différents cadres du pays. Et, il ne suffit pas d’exporter des expériences et des réformes venues d’ailleurs, encore faut-il leur consacrer des budgets et des moyens. C’est cela le sens concret de la réforme et de la modernité.