Des médias nationaux se sont fait l’écho, cette semaine, de la rencontre qui s’est tenue, dernièrement à Paris, entre le Prince Moulay Hicham et Mohamed Basri, dit le Fkih. Se référant à des sources apparemment «très informées», un hebdomadaire arabophone national rapporte que la rencontre a porté, entre autres, sur le thème du livre «héros sans gloire» de Mehdi Bennouna, paru récemment au Maroc et dont justement le Fkih est l’un des personnages clefs. La discussion entre les deux hommes ne s’est pas limitée à cette évocation du passé, elle a également porté sur des «questions relatives à la situation intérieure marocaine», nous informe cette publication. On nous rappelle aussi que ce rendez-vous, même s’il n’est pas le premier entre ces deux personnalités, est le premier à intervenir depuis que le Prince a choisi de s’installer aux USA. On signale aussi que la rencontre coïncide avec la parution, dernièrement, d’une longue interview que Moulay Hicham a accordée à la revue française «Politique internationale». Voilà pour l’actualité. Reste à savoir comment ce miracle a eu lieu et pourquoi il sonne comme le mariage de la carpe et du lapin, tellement, à première vue, l’itinéraire , le statut, voire les ambitions de l’un et de l’autre de ces hommes semblent éloignés et dissonants.
Concernant le Fkih, à la limite, rien n’est plus étonnant venant d’un personnage au parcours historique chargé, fait d’engagements, chaque fois plus sincères les uns que les autres, plus extrêmes, plus accommodants, plus étonnants, plus intéressés, plus subversifs, et finalement constants dans une seule visée, celle de la nuisance et du parasitisme, dans la tradition blanquiste la plus achevée.
Et l’on se dit, comment un prince de sang, bien né, cultivé, riche, respecté, proche parent d’un roi en exercice, jouissant d’une aura internationale qui fait la fierté de son pays, lequel l’a cautionné sans réserve auprès des organisations internationales, comment peut-il, sous des allures d’intrigant, se compromettre avec un professionnel des politicailleries les plus douteuses ? Comment, lui qui n’a cessé de prôner la modernité, l’ouverture, le libéralisme, un style «branché» dans l’engagement, comment peut-il aller chercher l’inspiration, l’appui ou la bonne parole auprès d’un dinosaure qui doit encore briquer son chasse-peau tous les soirs avant de dormir, et encore d’un seul oeil, évidemment ?
Alors, on ne peut s’empêcher de faire un petit voyage dans le parcours du prince pour constater l’ampleur du gâchis et les conséquences de l’accumulation d’un certain nombre d’erreurs d’analyses qui ont jalonné un itinéraire qui prend, de plus en plus, des allures d’un drame antique et pathétique.
On dit communément que la télévision rend fou. Par extension, on peut dire que ce sont les médias, dans leur totalité, qui ont amené Moulay Hicham à une forme de déraison qui explique beaucoup sa situation actuelle.
Ce sont d’abord des médias occidentaux, et notamment le Monde et le Monde diplomatique, qui vont accueillir et médiatiser ses analyses et ses prises de position sur le Maroc en particulier et accessoirement sur le monde arabe. Lorsqu’en 1996, le Monde diplomatique publie un article intitulé « Pour assurer transition démocratique et pérennité du trône, la monarchie marocaine tentée par la réforme», et signé Hicham ben Abdallah El Alaoui, la posture avait déjà de quoi étonner. Les ingrédients de ce qui va constituer le vade-mecum du prince étaient déjà contenus dans cet article. Le descriptif de la situation socio-économique du pays était partagé avec toutes les analyses des acteurs politiques nationaux, y compris par feu S.M. Hassan II, qui, au soir de sa vie, ne cachait pas ses inquiétudes concernant l’atonie économique et les blocages qui handicapaient le pays. Mais la source de gêne résidait dans cette forme d’incongruité qui caractérisait la posture du prince.
D’un côté, son rang et son appartenance à la famille royale lui imposaient une certaine réserve dans la prise de parole publique sur des sujets touchant à la vie des institutions nationales, et d’autre part, l’adoption d’une attitude qui va l’identifier, petit à petit, à un activiste politique qui brigue quasi ouvertement le partage du pouvoir.
Dans ses écrits, mais aussi dans ses postures et ses agissements, le prince va cumuler le statut de challenger, de prétendant, de leader politique, d’acteur de la société civile, d’expert international, de donneur de leçons en militantisme, d’oracle, de diseur de bonne aventure. Alors, actuellement, il rejoint dans leur désarroi, tous ceux qui, sciemment ou par candeur, ont raisonné comme lui à un certain moment, en croyant qu’il y avait une «fenêtre» pour opérer un véritable pronunciamiento, par médias interposés et par conjugaison des ambitions éparses des uns et des autres, parmi tous ceux qui ont choisi des voies de contournement d’une vie institutionnelle et démocratique en construction, avec ses lenteurs, ses espoirs et ses promesses.