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Les confessions de Vincent Landel

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ALM : Que pensez-vous de la dernière visite effectuée par des prêtres canariens au Sahara ?
Monseigneur Vincent Landel : Justement, suite à votre article sur ce sujet, je tiens à préciser que les quatre prêtres dont vous parlez ne sont absolument pas une autorité de l’Eglise. D’autre part, ils ne sont absolument pas des cisterciens qui n’existent pas dans les Grandes Canaries. De plus, les Cisterciens ont toujours été des contemplatifs et non pas eu un rôle militaire important lors de la Reconquista comme vous l’écrivez. Vous faites un amalgame indécent entre ces quatre prêtres, dont j’entends parler pour la première fois, et les religieux Cisterciens qui sont à Midelt.
Ils perpétuent une tradition de prière chrétienne au cœur de ce pays qui les accueille. Sachez aussi qu’il y a des Cisterciens au Maghreb depuis la fin du 19ème siècle, leur présence n’est pas donc nouvelle. Et dans le respect de ce que vit l’Eglise catholique au Maroc, sachez que la phrase que vous avez relevée dans la charte s’adresse à des Chrétiens et non aux Marocains que nous voulons respecter dans leur foi.

D’un point de vue plus général, que pensez-vous de la campagne d’évangélisation qui touche le Maroc ?
J’ai effectivement entendu parler de cette campagne à travers les journaux marocains, je n’ai aucune raison de dire que c’est faux. Mais personnellement, après 30 ans de vie au Maroc, je ne connais pas de Marocains chrétiens. Bien évidemment, certains Marocains se sont présentés en tant que Chrétiens, mais je suis incapable de vérifier la véracité de leurs dires.
Aussi, contrairement à certaines allégations publiées dans la presse marocaine, jamais l’Eglise catholique au Maroc n’a distribué des tracts à l’adresse des Marocains. Ce que je trouve bizarre, c’est que l’on parle beaucoup de l’Eglise, mais que l’on n’est jamais allé rencontrer ses responsables.

Que diriez-vous à un Marocain reconverti, s’il se présentait à vous ?
Je lui parlerais et essaierais de l’aider à approfondir sa foi, en lien avec toute la société dans laquelle il vit. L’Eglise catholique ne cherche pas à déraciner les gens. Au contraire. Elle a pour mission de les aider à vivre en harmonie avec leur conscience et leur société. En outre, dans le pays qui nous accueille, le Maroc, la loi interdit la reconversion à une autre religion. Il n’est pas question pour l’Eglise d’enfreindre les lois du Maroc.

Mais si vous aviez, légalement, la possibilité de reconvertir des Marocains, le feriez-vous ?
Ecoutez, la liberté de conscience veut dire que chacun doit être libre de choisir, en conscience, la religion musulmane, chrétienne ou même de se considérer sans religion. Il est important d’aider les personnes à entrer dans une dynamique de libertés de choix. Mon rôle est d’aider des personnes à cheminer sur leur chemin personnel, sur leur chemin de la découverte de Dieu dans le respect le plus total de la personne.

Sur cette question d’évangélisation des Marocains, plusieurs chiffres ont circulé. Qu’en est-il réellement ?
Il est vrai que certains journaux ont avancé des chiffres faramineux concernant le nombre de Marocains reconvertis au christianisme. Je n’ai sincèrement pas de statistiques sur ce sujet. Mais je crois que le nombre réel de Marocains de confession chrétienne est beaucoup plus faible que ce qui a été avancé, sinon nous en aurions tous rencontrés. A ce titre, je pense que les autorités marocaines sont bien mieux informées que nous sur cette question.

Si l’Eglise catholique au Maroc ne cherche pas à reconvertir des Marocains, qui le fait alors ?
Ce sont des églises évangélistes qui s’adonnent à ces pratiques en envoyant des missionnaires au Maroc. C’est ce que je lis dans les journaux marocains. Il est quasiment certain que ce phénomène connaît des influences politico-religieuses de certains pays, et cela n’est pas spécifique au Maroc. En tout cas, il n’y a aucune coordination entre l’Eglise catholique dont le chef suprême est le Pape et ces églises évangélistes qui agissent en totale liberté sans référence à une quelconque hiérarchie.

Mais est-ce que vous avez une quelconque influence, même morale sur ces églises évangélistes ?
Je n’ai absolument aucune autorité sur ces églises évangélistes, même pas morale. Ma relation avec les fidèles catholiques au Maroc est quotidienne, et j’ai à les accompagner sur leur chemin de foi, je dois les aider aussi à vivre dans le concret, la richesse de la rencontre humaine mais aussi la richesse de la rencontre inter religieuse. Nous nous enrichissons mutuellement à partir du moment où nous nous rencontrons, où nous nous écoutons et où nous nous respectons. Mais sur tous les autres Chrétiens je n’ai, sincèrement, aucune autorité.

Il paraît que certains Chrétiens marocains se réunissent dans des maisons, en cachette, pour prier. Trouvez-vous ceci normal ?
Le Maroc est signataire de la Charte universelle des droits de l’homme qui prévoit le respect de la liberté de conscience et de culte. Certes, cette Charte a été rédigée dans un contexte judéo-chrétien. Mais il est à mon avis temps d’internationaliser les principes de cette Charte pour qu’elle soit applicable à tous les peuples, et que nous puissions la comprendre dans tous les autres contextes religieux et politiques. Cela demande une grande réflexion, qui entraînera sans doute des changements dans beaucoup de domaines.

En refusant d’ouvrir les bras à un Marocain qui se déclare chrétien, enfreignez-vous les principes-mêmes de votre mission ?
Ma mission est de vivre ma foi et non pas d’essayer de convaincre qui que ce soit. Si j’arrive à vivre ma foi en respectant la foi de l’autre, je serai sur le chemin voulu par Dieu. Mais je n’oublie pas que je suis dans un pays qui m’accueille et je suis par conséquent tenu de respecter ses lois. Ce sera ma manière de le respecter. Pas plus tard qu’il y a deux semaines, j’ai reçu des demandes de jeunes Marocains qui souhaitaient se rendre à Cologne pour participer aux Journées Mondiales de la Jeunesse organisées du 16 au 21 août. Pour leurs visas, ils avaient besoin de ma signature.
J’ai refusé de la donner car d’une part, je ne connaissais pas ces jeunes, et ensuite parce que cela revenait à envoyer des Marocains à une manifestation où des messes, des prières et des catéchèses étaient organisées. Cela reviendrait à aller à l’encontre de ce que veut vivre l’Eglise au Maroc.

Justement, ne pensez-vous pas que cette évangélisation soudaine du Maroc attirerait beaucoup plus d’opportunistes que de personnes convaincues ?
Oui, peut-être que quelques-uns sont attirés par l’argent ou par autre chose. Mais fondamentalement, je pense que la majorité doit choisir le christianisme par conviction, il faudrait le leur demander.
De toute façon, la religion est un chemin vers Dieu, elle va avoir des conséquences sur notre manière de vivre dans la société. Mais de grâce ne faisons pas dire à la religion tout et son contraire, et n’instrumentalisons pas la religion pour faire passer des soucis personnels.

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