A en croire les auteurs du livre noir de l’UMT sur la CNSS, le conseil d’administration de la caisse serait au chômage technique. Cette instance, qui représente des bailleurs de fonds du régime, dispose de par la loi du pouvoir de décision et de contrôle de la gestion. Son autorisation préalable est obligatoire dans bien des cas. Or, pointe le livre noir, «que de fois le projet de budget, n’a été communiqué qu’en fin d’exercice», alors que le rapport annuel du contrôle financier «n’est jamais transmis».
Mais là n’est pas le moindre des griefs. Les fonds de réserve de la caisse, alimentent une grosse querelle entre la centrale syndicale et les gestionnaires de la caisse. En vertu du dahir du 27 juillet 1972, les fonds doivent obligatoirement être déposés à la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) et la CNSS n’a «aucun droit de regard» sur la gestion de la CDG, laquelle «n’a pas de conseil d’administration et n’est soumise à aucun contrôle démocratique».
Selon les auteurs du livre, au 31 décembre 2000, ces fonds déposés auprès de la CDG s’élevaient à 14,9 milliards de Dh, avec un rendement de seulement 3,15 pc. La CDG prélève à titre de frais de gestion, 1,25 pc «non pas sur le rendement, mais sur l’ensemble du fonds», auquel s’est ajouté depuis 2000, le prélèvement, jugé «illégal et contraire aux principes généraux du droit», de l’impôt sur les produits financiers, soit près d’un milliard de Dh.
Les rédacteurs du livre crient au scandale, estimant que les fonds de réserve de la CNSS s’élèveraient aujourd’hui à plus de 19 milliards de Dh, si la caisse les avait placés depuis 1989 en bons du trésor à 5 ans. Alors que la CDG «a prêté en toute aventure d’importantes sommes aux spéculateurs dans l’hôtellerie, a financé les cours de Golf et la gestion calamiteuse d’organismes tels que le CIH». De là conclure que «l’épargne sociale des travailleurs marocains a été et demeure, scandaleusement pillée», il n’y a qu’un pas, que l’UMT n’hésite pas à franchir. Ils attirent d’autre part l’attention sur le fait que les flux de trésorerie de la CNSS, quelque 10 milliards de Dh annuellement, doivent selon la loi, et sauf autorisation du ministre chargé des Finances, être déposés à la trésorerie générale du Royaume. Or, relèvent-ils, «la quasi-totalité des ressources de la CNSS (… ) sont affectées aux organismes bancaires privés». Sur des comptes, assurent-ils, qui ne sont pas rémunérés.
Au chapitre du recouvrement des cotisations, le tableau esquissé est tout aussi noir. Les auteurs rappellent les textes de 1959 et de 1972 qui prévoient une majoration de 3 pc par mois des cotisations non versées dans les délais. Or, le gouvernement décide en juillet 90 d’instituer une prescription anticipée des créances dues à la CNSS, puis le dahir de décembre 1993 réduit la majoration à 1%, ensuite survient en 1998 une loi d’amnistie sur les créances au titre de la période 1969-1996. Des manipulations, lit-on dans le livre, qui «font passer la créance brute due à la CNSS de 13,5 milliards de Dh au titre de la période 1969-1997 à une créance nette de 3 milliards de dh, dont seulement 47 millions de dh sont effectivement recouvrés, soit moins de 1%» .
Autre dossier chaud, le patrimoine immobilier de la CNSS. Les auteurs rappellent des textes de loi qui instaurent la règle de la double tutelle des départements de l’emploi et des finances pour autoriser, après avis du conseil d’administration de la caisse, les acquisitions, cessions et autres opérations du genre. Or, relèvent-ils, il s’avère qu’un nombre important de terrains, immeubles, villas et constructions diverses, ont pu être achetés par la CNSS «sans décision du conseil d’administration et sans documents fonciers régularisés et enregistrés», outre des infrastructures appartenant à la caisse qui ont «pu être cédés à des tiers sans décision du conseil d’administration et sans autorisation conjointe des tutelles du ministère de l’Emploi et du ministère des Finances».
C’est cependant le protocole d’accord de février 2000 entre les départements de la Santé et de l’Emploi, qui semble le plus exacerber les passions. L’accord prévoit à la charge de la CNSS, un appui matériel et logistique à la réalisation d’un centre de greffe de moelle au sein de l’hôpital Ibn Roch à Casablanca. La CNSS est tenue de mettre à la disposition du centre régional de transfusion sanguine la somme de 3 millions de Dh pour l’acquisition des technologies nécessaires à la mise en oeuvre du projet. De plus, une contribution annuelle de la CNSS à l’achat des consommables médicaux est prévue. En même temps, seul le centre régional a latitude d’établir le programme d’emploi des crédits. Tout cela étant, il est disposé que l’accès des patients orientés par les polycliniques vers cette infrastructure sera payant, selon la tarification en vigueur. Les auteurs s’interrogent comment est ce que la CNSS peut « engager ses ressources au profit de tiers qui ne sont ni cotisants, ni assurés sociaux et renoncer à tout droit d’appréciation, de programmation, de décision ou de contrôle sur l’usage de ces crédits».
Une autre question soulevée par l’UMT qui assombrit davantage le tableau noir de la CNSS. A moins que le prisme de la centrale ne soit un soupçon teinté.