Aujourd’hui Le Maroc : Quelle analyse faites-vous de la décision des Etats-Unis de mettre en place un commandement militaire en Afrique ?
Saïd Lakhal : Les Etats-Unis ont fixé deux objectifs à la mise en place de ce commandement. D’abord, ils visent à assiéger les mouvements terroristes basés dans la région du Maghreb arabe, ceux qui ont prêté allégeance à l’organisation d’Oussama Ben Laden (le Groupe salafiste pour la prédication et le combat, (GSPC), Algérie), et ceux, qui sont installés au Maroc et en Tunisie, qui se préparent à déclarer pour leur part leur allégeance à cette organisation. L’autre objectif escompté par les Etats-Unis consiste à freiner l’envahissement de l’Afrique par la Chine, qui cherche à tirer profit des ressources énergétiques du Continent noir et d’ouvrir les portes des marchés africains aux produits chinois.
Quel rôle pourra jouer le Maroc dans ce commandement ?
D’abord, le Maroc est obligé de s’associer à l’effort des Etats-Unis pour assiéger les mouvements terroristes, notamment ceux qui constituent le prolongement de l’organisation d’Al Qaïda dans la région d’Afrique du Nord. Le Maroc constitue la cible principale de ces mouvements pour des considérations essentiellement politiques, sachant que le Maroc a des rapports privilégiés avec les Etats-Unis et l’Europe, lesquels sont mal vus par ces mouvements qui considèrent les Etats-Unis et les Européens comme des pays impies. Le Maroc est également visé pour sa proximité de l’Europe et plus particulièrement du Détroit de Gibraltar, un important point de passage des bateaux de commerce et des navires de guerre. Nous savons que les cellules dormantes avaient pris à partie en 2002 plusieurs bateaux étrangers lors de leur passage en Méditerranée. Le Maroc est, par ailleurs, ciblé parce qu’il réunit des conditions sociales, politiques et culturelles favorables à l’action des mouvements terroristes. Sur le plan politique, le Maroc jouit d’une marge de liberté très significative, notamment en ce qui concerne la liberté de mouvement des personnes et la liberté de circulation des marchandises, l’échange d’idées, des livres et autres supports propices à la diffusion de l’idéologie intégriste, ajouter à cela qu’il n’y a pas de dispositions proprement dites strictes pour empêcher la propagation de cette idéologie. Dans le volet politique, il y a l’activisme des acteurs de la société civile qui défendent le « droit » de ces mouvements à propager leur idéologie et qui revendiquent la libération des détenus islamistes, ce qui donne à ces mouvements une sorte de couverture juridique et politique. Dans le registre culturel, il y a la liberté d’expression qui a permis à certains organes de presse de devenir une tribune pour les mouvements extrémistes, sans oublier le rôle des mosquées transformées en lieux privilégiés pour propager la pensée intégriste. En ce qui concerne le rôle que pourra jouer le Maroc au sein de ce commandement, il sera d’autant plus décisif que notre a accumulé une expérience importante sur le plan des Renseignements, ce qui lui permet non seulement de repérer le mouvement des groupes terroristes, mais aussi de les infiltrer.