Après la Chambre des représentants il y a quelques mois, c’est au tour de la Chambre des conseillers d’adopter le projet de loi sur les peines alternatives qui amorce une véritable révolution dans la politique pénale. Eclairages.
C’est le bout du tunnel pour les peines alternatives. Après une attente qui aura duré plusieurs mois, les conseillers parlementaires ont donné leur feu vert pour le texte très attendu. Dans les détails, la Chambre des conseillers a adopté à la majorité le projet de loi n° 43.22 relatif aux peines alternatives, lors d’une séance plénière tenue mardi. Présentant ce projet de loi, adopté par 36 voix pour et six abstentions, le ministre de la justice, Abdellatif Ouahbi, a affirmé que les peines alternatives constituent une étape rayonnante dans l’histoire de la politique pénale et sont devenues une principale option et l’un des piliers fondamentaux des politiques pénales modernes, ayant insufflé un changement profond dans la philosophie de la punition et ses fonctions, en renforçant ses objectifs en matière de réforme et d’intégration au détriment de la dimension de punition. Et d’ajouter que la majorité des systèmes pénaux modernes se basent largement sur le recours aux peines alternatives pour moderniser et développer leur politique pénale et surmonter les problématiques de la surpopulation carcérale et les lacunes des peines privatives de liberté de courte durée, jugées insuffisantes pour réaliser des programmes de réhabilitation et de formation et qui influent négativement sur les condamnés vu leur entrée en contact avec des détenus plus dangereux. Pour leur part, les conseillers ont souligné que le texte adopté présente un nouveau concept de la punition, comme il instaure une politique de punition renouvelée plus efficace en matière de réhabilitation et de traitement de la problématique de la surpopulation carcérale.
Réforme
Le ministre de la justice a souligné que l’introduction des peines alternatives dans le système judiciaire national, notamment la politique pénale et de réhabilitation, est devenue une principale revendication de nombreux militants des droits de l’Homme et des juristes, notant que cette question a été abordée à plusieurs reprises, notamment lors des travaux de l’Instance équité et réconciliation, le débat de Meknès sur la politique pénale et le dialogue national sur la réforme profonde et globale du système judiciaire, rappelant dans ce sens le discours adressé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI à l’occasion du 56ème anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple, dans lequel le Souverain a appelé à l’adoption d’un système des peines alternatives. Lors de l’élaboration de ce texte, la majorité des références, règles et normes internationales en la matière ont été prises en considération, notamment les principes généraux contenus dans les règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté, afin d’assurer un équilibre entre les droits des condamnés et des victimes, d’une part, et le droit de la société à la sécurité et à la prévention de la criminalité d’autre part, en élargissant le cercle des bénéficiaires, à l’exception des délits graves et les récidivistes et en prévoyant des mesures pour réparer les dommages causés par la criminalité, a fait valoir M. Ouahbi. Concrètement, le nouveau texte prévoit la notion du travail d’utilité publique comme peine alternative prononcée par le tribunal, à la place de la peine privative de liberté, si le condamné est âgé d’au moins quinze ans à la date du verdict. Par ailleurs, le tribunal peut appliquer la surveillance électronique comme alternative à la peine privative de liberté, en surveillant les déplacements du condamné par voie électronique en utilisant une ou plusieurs des méthodes de surveillance électronique agréées. Le lieu et la durée de la surveillance électronique sont déterminés par le tribunal, en prenant en compte la gravité du crime, la situation personnelle et professionnelle du condamné et la sécurité des victimes. Le troisième type de peine alternative prévu par le projet couvre les mesures de contrôle, de réparation ou de réhabilitation. Enfin d’autres peines alternatives sont prévues par le projet de loi. Il s’agit notamment de l’obligation du condamné à se présenter à des heures déterminées, soit à l’établissement pénitentiaire, soit à la préfecture de police, à la gendarmerie royale ou au bureau d’assistance sociale du tribunal. Le condamné pourrait également s’engager à ne pas s’approcher ou contacter les victimes par quelque moyen que ce soit, en plus de suivre un traitement psychologique ou contre une addiction. Le texte prévoit aussi la possibilité de l’indemnisation ou la réparation par le condamné des dommages résultant de son acte réprimé.
Equité
Les dispositions du projet de loi reposent, dans leur essentiel, sur le désistement des victimes et les situations de réconciliation, sous le contrôle de la justice, que ce soit lors de la détermination de la peine alternative ou du droit de le contester, pour corriger d’éventuels défauts, selon des procédures spécifiques et simplifiées pour davantage de flexibilité, a assuré le ministre de la justice, notant que ces peines seront appliquées d’une manière équitable peu importe la catégorie socioéconomique des individus, comme c’est le cas de la peine alternative liée à l’amende journalière.
Selon le ministre, le projet de loi garantit également le respect de la dignité des condamnés lors de l’application des peines alternatives, leur vie privée et la situation de certaines catégories spéciales telles que les femmes, les mineurs, les personnes âgées et les personnes handicapées, soulignant que ce texte vise à établir un cadre juridique complet pour les peines alternatives, conformément aux règles matérielles du droit pénal relatives à la punition et en établissant des mécanismes et des contrôles procéduraux, au niveau du Code de la procédure pénale destinés au suivi et l’exécution des peines alternatives.
Le texte vise également, a ajouté le ministre, à trouver des solutions à la petite délinquance selon une approche privilégiant la réhabilitation et l’intégration, au détriment de l’emprisonnement, tout en cultivant l’esprit de citoyenneté, de devoir et d’engagement, notamment à travers la peine alternative portant sur le travail d’intérêt général et en contribuant à réduire la surpopulation carcérale.
Organisation. La Chambre des conseillers a adopté à la majorité le projet de loi n° 10.23 portant organisation et gestion des établissements pénitentiaires, lors d’une séance plénière législative tenue mardi soir. Présentant ce projet de loi, qui a été approuvé par 31 conseillers, contre cinq abstentions, le ministre de la justice, Abdellatif Ouahbi, a affirmé que ce texte a été élaboré conformément aux Hautes Instructions de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, visant à protéger les droits de l’Homme et à les placer au cœur du projet sociétal démocratique et moderniste mené par le Souverain, dans le but de préserver la dignité des catégories vulnérables, comme les détenus des établissements pénitentiaires. Il s’inscrit également dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions de la Constitution de 2011, notamment l’article 23 qui stipule, pour la première fois, que toute personne détenue jouit de droits fondamentaux et de conditions de détention humaines, comme elle peut bénéficier de programmes de formation et de réinsertion, a indiqué le ministre. Une approche participative a été adoptée lors de l’élaboration de ce texte, en particulier dans le contexte de l’engagement du Maroc dans le système international des droits de l’Homme, a précisé M. Ouahbi, notant que l’ensemble des références, règles et normes internationales applicables au traitement des détenus ont été prises en considération. Parmi celles-ci figurent l’ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, l’ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement, le code de conduite pour les responsables de l’application des lois, ainsi que les règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus.