L’attitude à l’égard de l’intégrisme salafiste ne doit pas être conjoncturelle ni obéir aux impératifs partisans. Surtout en cette veillée électoraliste. Le phénomène, c’est prouvé aussi sous d’autres cieux, n’intéresse pas le seul Etat. Il est vrai que chez nous, les pouvoirs publics ont la charge de la recherche de l’équilibre entre les pensées théologiennes et l’Islam «populaire». En tant qu’expression de régulation et de direction de la société, il ne peut être délaissé dans son action de prévention et de «répression» de tout extrémisme violent. Le Roi du Maroc est dépositaire du legs religieux. Déjà un grand atout pour couper l’herbe sous les pieds des dévoyeurs de l’Islam, qui, par essence, est tolérant et accompagne la modernité. Ceci dit, la clarification reste de mise, au niveau du ministère des Affaires religieuses. Tant en ce qui concerne la stratégie du ministère de souveraineté que les aspects organisationnels liés à l’activité religieuse et de culte.
Mais l’affaire concerne toutes les composantes de la société marocaine. Le mal doit être diagnostiqué sérieusement pour se prémunir des ravages potentiels qui guettent toute société musulmane. Sans amplification du phénomène ni sa dramatisation. Car les deux attitudes, quoique contradictoires, aboutissent à des situations, dans tous les cas, favorables aux forces du mal. Les partis politiques, qui ont un rôle constitutionnel d’encadrement des citoyens et de contribution à leur bien-être, ne doivent pas oublier leur mission. Les élections ne doivent pas leur tourner la tête. Le danger réel serait l’instauration et la domination d’un mode de pensée minoritaire mais aux capacités de mobilisation gigantesques, surtout dans les milieux de la jeunesse désoeuvrée et des illettrés. Pas la perte de sièges parlementaires.
De la majorité gouvernementale à l’opposition (surtout le PJD), la clarification idéologique (stratégique et tactique) des rapports avec le wahhabisme est à l’ordre du jour. Maintenant, pas après les échéances électorales.
Car, côté majorité, si d’aucuns manifestent un rejet systématique des idées obscurantistes pour gagner les pans de citoyens hostiles à la nébuleuse intégriste, d’autres tablent sur la complaisance pour drainer la sympathie islamiste à la cause égalitaire.
Le débat pédagogique doit être lancé en profondeur sur «le programme» des wahhabites des temps modernes ou de leurs joint-ventures. Il faudra les amener à avouer leur modèle de société, des projets dont ils sont porteurs. Il faudra aussi mettre à nu les alliances conjoncturelles ou tacites avec eux. Les Marocains ont le droit de savoir et attendent des réponses sans aucune ambiguïté, ni dérobades. Le Parti de la Justice et du Développement est concerné au premier chef. Est-il d’accord avec les actes violents et «isolés» de «croyants qui veulent ramener les Musulmans à la pratique religieuse»?
Il doit dire publiquement la nature de ses relations et des liens qu’il nourrit avec la mouvance intégriste marocaine et étrangère. La fidélité aux institutions démocratiques doit encore plus se traduire par des gestes responsables et courageux, qui mettent fin à toute interprétation. C’est le minimum requis. Sans cela, chacun aura le droit de croire à l’ambivalence dévorant les esprits et le partage des tâches entre factions du même bord.
Côté opposition, il faudra rompre le silence tuant et l’attitude de spectateurs impuissants. Il ne s’agit pas d’une affaire entre croyants et athées. Le débat est ailleurs. C’est sur le devenir de la nation, sa pérennité, en tant qu’espace d’expression plurielle mais pacifiste. Tous ont le droit de l’occuper, sauf ceux qui prônent la violence pour s’opposer à l’«ordre établi». Se taire aujourd’hui équivaut à une démission fatale devant les défis lancés par la méthode du prosélytisme, qui, s’il n’est pas arrêté à temps, risque de se propager telle une gangrène.
La société civile a aussi un rôle important pour faire avorter dans l’oeuf les machinations maléfiques faites sous couvert d’assistanat social et de bienfaisance. Elle doit monter au créneau pour dire haut et fort son opposition à l’amalgame entre politique et religion, débusquer la réalité sous la propagande intéressée des prêcheurs en mal de puissance intellectuelle et mercantiliste.
Une attitude frileuse de sa part encouragerait l’extrémisme religieux à développer ses thèses obscurantistes et ses actes immoraux. Les médias à leur tour doivent s’impliquer activement, en multipliant les initiatives et les colloques sur le salafisme, que beaucoup de Marocains ignorent. Un rôle primordial revient aux médias audiovisuels dans l’accompagnement de la démarche explicative de ce phénomène socio-religieux. Une bonne partie des émissions télévisuelles pourra être consacrée à cette question de l’heure.
D’autre part, que signifie l’ouverture de colonnes de journaux à des salafistes notoires (du calibre du cheik Mohamed Abdelouahab Rifki, Alias Abou Hafs, ou encore le maroco-saoudien Hassan Kettani) pour dire, à voix basse et voilée, que l’affaire est une pure manipulation de la majorité gouvernementale destinée à affaiblir les capacités électorales des islamistes. Et que si délit il y a, cela relève des seules personnes impliquées et qui n’auraient pas reçu l’aval des cheikhs …
Tous ces impératifs doivent permettre le passage à la thérapie. Là, ce sont les milieux les plus défavorisés qui se prêtent à l’aventure intégriste. Le péri-urbain et les quartiers populaires demeurent un terroir pour l’émergence et l’épanouissement de toutes les folies qu’on pourrait commettre au nom de l’Islam. Des réponses sociales, démocratiques et culturelles sont le seul remède pour éviter la pandémie. Il ne s’agit pas tout simplement d’en prendre conscience. Il faudra organiser la parade pour immuniser le corps sociétal, proie facile entre les mains des démagogues de tout bord.
• Mohamed Khalil