ALM : Quelles sont les raisons qui vous ont incité à demander une réunion avec le ministre des Affaires islamiques, au niveau du Parlement ? Fatéma El Moudden : Nous avons demandé une réunion avec le ministre des Affaires islamiques, parce que nous estimons que son département a une grande part de responsabilité dans ce qui s’est passé à Casablanca, le 16 mai dernier. Cette responsabilité se manifeste à travers la politique menée, particulièrement, à l’égard du plan d’intégration de la femme dans le développement. Car, nous avons remarqué une sorte de complicité de la part du ministère avec les courants intégristes. C’est donc un atout dont nous disposons et qui nous a permis de saisir le nouveau ministre pour connaître son point de vue à ce sujet. Car, à travers ses conférences et discours, l’ancien ministre faisait part d’une connivence manifeste avec les intégristes, comme cela se confirme à travers la nature des conférenciers qu’il invitaient de l’étranger, particulièrement de l’Orient. Notre demande avait pour objectif d’interroger le ministre concerné sur sa philosophie et son programme d’action. S’agit-il donc d’une réaction par rapport aux attentats terroristes qui ont secoué le Maroc, et plus, particulièrement, la Ville de Casablanca ? Il est évident que ces crimes terroristes nous ont mis devant de grands défis portant sur l’organisation et la réglementation du champ religieux au Maroc ; et ce, aussi bien en ce qui concerne l’aspect de théorisation et de jurisprudence. Car, depuis fort longtemps, nous constatons que les érudits de la religion ne fournissent plus d’efforts notables en ce qui concerne la « mise à niveau » du discours religieux et son adaptabilité aux exigences des temps modernes. La fonction de la ligue des Oulémas se limite souvent à des rôles de conseillers secondaires sinon à la résistance contre les vagues de changement et de démocratisation de la société, comme cela s’est illustré à l’occasion de la confrontation autour du Plan de l’intégration de la femme au développement. Est-ce que vous insinuez comme quoi, l’Etat n’a pas assumé son rôle d’encadrement de la religion et de neutralité positive à l’égard de l’action politique partisane ? Depuis le début des années quatre-vingt, le ministère a été dépourvu du devoir de bâtir des mosquées. Cette tâche, qui revenait donc aux particuliers, a balisé le terrain à la prolifération des courants intégristes et à leur hégémonie sur le domaine religieux. Dans toutes les ruelles et tous les quartiers de nos villes, nous constatons que des garages et sous-sols se sont transformés en salles de prières qui dissimulaient en fait d’autres pratiques de proxénétisme fanatique et extrémiste, au vu et au su des autorités et du ministère de tutelle. Nous remarquons, également, une pauvreté criante à ce niveau chez l’USFP et l’ensemble des partis de la gauche. Comment expliquez-vous ce fait ? Le secteur féminin était depuis longtemps la voix la plus distinguée au sein de l’USFP, à poser la question religieuse et celle du statut personnel de la femme. Nous n’avons jamais cessé de défendre une approche éclairée de l’Islam et appelé à la mise en place d’un dispositif moderne relatif au statut personnel de la femme. Mais, force est de constater que la rénovation théorique dans ce domaine et dans d’autres domaines également reste timide et ne capte pas encore l’intérêt des idéologues démocrates. Comment vous voyez les perspectives d’avenir ciblant le champ de l’encadrement religieux ? Nous préconisons l’adoption d’une approche tridimensionnelle. D’abord, en direction d’une révision de la gestion des mosquées, notamment à travers la formation des prêcheurs. Ensuite, par la mise en place d’une nouvelle stratégie médiatique à même de tenir tête à la concurrence étrangère dans ce domaine. Enfin, l’intégration de cette stratégie dans le projet de modernité et de démocratie évoqué et soutenu par SM Mohammed VI. Qu’en est-il de la Commission de consultation royale chargée de la Moudawana ? Il faut reconnaître que le travail de cette commission trébuche et ne va nullement dans le sens positif. Le blocage que connaît la commission témoigne de la pression qui s’exerce sur ses membres. Néanmoins, il y a lieu d’espérer un changement au niveau de sa composition, notamment au vu des dernières donnes de la conjoncture. Cela dit, il est temps que l’élite du pays, ses représentants et ses Oulémas entament le débat sur quel Islam nous voulons et comment adapter nos valeurs religieuses avec le projet de démocratie et de modernité que nous édifions et dont la société a besoin.