ALM : A quelques jours de la reprise du dialogue social, quelles seront vos principales revendications ?
Miloudi Moukharik : Les revendications de l’UMT ne sont pas ponctuelles ni périodiques mais sont plutôt constantes et permanentes. A la veille du 1er mai, le gouvernement va nous convier à des séances dites de dialogue social que l’UMT a d’ailleurs toujours remis en cause, car nous préférons des négociations car le dialogue social reste une notion abstraite. Les salariés dans tous les secteurs attendent de ces rencontres avec le gouvernement l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail. Concernant nos revendications, nous allons demander de revaloriser e d’augmenter les salaires à travers l’adoption de l’échelle mobile des salaires puisque le pouvoir d’achat des fonctionnaires ne cesse de s’effriter. Nous revendiquons également la baisse de la pression fiscale sur les salaires. En dépit de la baisse de l’IR opérée par l’ancien gouvernement, les salaires des travailleurs de tous les secteurs demeurent toujours fortement fiscalisés. Mais notre grande revendication concerne les libertés syndicales qui sont l’âme du syndicalisme. Malheureusement, dans plusieurs unités de production et dans plusieurs administrations, ces libertés sont bafouées. Le fait d’exercer un droit syndical prévu par la Constitution devient un délit qui provoque le licenciement du bureau syndical dont les membres sont parfois poursuivis en justice en vertu d’un sinistre article du code pénal qui est l’article 288. Malgré l’arsenal juridique dans notre pays et les conventions internationales ratifiées, le droit syndical est toujours bafoué au su et au vu des autorités publiques.
Est-ce que vous avez senti que le nouveau gouvernement est prêt à répondre à vos revendications à travers vos premières rencontres?
L’UMT reste pratique et pragmatique. Il ne suffit pas de bonnes intentions ou de bons discours. Nous jugeons à travers le changement des conditions de vie et de travail des salariés. Or, depuis l’investiture du gouvernement, nous vivons au quotidien soit des licenciements, soit des fermetures d’entreprises et nous avons dans ce sens deux exemples caractéristiques, à savoir les Autoroutes du Maroc où 1100 salariés vivent dans la précarité depuis de longues années malgré les écrits et les protestations ainsi qu’une société maritime où 1500 emplois sont menacés. Les engagements valent ce que vaut leur exécution sur le terrain. Malheureusement, dans la vie des salariés, tous secteurs confondus, nous ne voyons pas venir la concrétisation de ces discours. L’on peut accorder des circonstances atténuantes parce que le gouvernement n’est en place que depuis 100 jours et on peu comprendre que le gouvernement était plus préoccupé par la préparation de la loi de Finances. Nous allons donc attendre à ce que des mesures concrètes soient prises au profit des salariés sachant que certaines mesures ne demandent pas de l’argent.
Tous les syndicats dénoncent le retard de la concrétisation des l’accord du mois d’avril 2011. Qu’en pensez-vous ?
Le chef de gouvernement Abdelilah Benkirane s’est engagé, lors de notre dernière réunion, à concrétiser l’accord signé entre le mouvement syndical et le gouvernement sortant en avril 2011. Nous avons pris acte de cet engagement et nous allons bien sûr suivre la concrétisation de cet accord. Nous croyons d’ailleurs en la continuité de l’Etat et il est de ce fait hors de question de faire table rase pour recommencer dès le début. Bien mieux, nous pensons que cet accord doit être amélioré par des additifs et amendements en faveur des salariés.
La loi de Finances vient d’être adoptée par les parlementaires. Quel regard portez vous sur les mesures notamment sociales prévues par cette loi ?
Nous aurions aimé voir dans la loi des Finances des mesures qui intéressent directement les travailleurs et les salariés. Nous aurions aimé voir une révision de la fiscalité sur les salaires pour que les salaires de 6000 dirhams ne soient plus taxés. Nous aurions souhaité que le gouvernement adopte notre proposition qui a été acceptée par le gouvernement sortant, consistant à défalquer les frais de scolarité des enfants de l’assiette imposable. Nous aurions souhaité voir dans la loi de Finances une enveloppe budgétaire qui sera consacré à la mise en place de l’indemnité pour perte d’emploi qui figure dans l’accord d’avril 2011. Nous souhaitons voir dans la loi de Finances notre proposition acceptée par l’ancien gouvernement pour la mise en place d’une indemnité de recherche du premier emploi pour aider les jeunes diplômés à s’insérer dans le milieu professionnel. C’est donc une loi de Finances comme les précédentes mis à part l’institution d’une Caisse de solidarité mais il va falloir éviter de rééditer une Caisse de compensation bis.
La loi de Finances intervient dans un contexte marqué par une crise économique à l’international, une campagne agricole nationale assez moyenne mais également une montée des grèves dans certains secteurs au point que des ministres menacent de recourir à des retenues sur salaire. Comment vous avez accueilli ces menaces ?
Concernant la crise, nous pensons à l’UMT que le Maroc est un pays riche ayant 3500 Km de côtes des plus poissonneuses ainsi que des ressources minières importantes qui vont du phosphate dont nous sommes les premiers producteurs et exportateurs, au cobalt et magnésium en passant par les mines d’argent et de l’or. Malgré la saison pluviale difficile, nous avons tout de même une agriculture structurée notamment grâce au travail du ministre de l’agriculture ces dernières années dans le cadre du Plan Maroc Vert. Et nous avons les plus grandes ressources, à savoir les ressources humaines. Le Maroc est donc un pays riche mais les richesses sont mal réparties au profit d’une poignée de privilégiés.
L’exemple le plus criant est celui de la Caisse de compensation qui est initialement destinée à aider les pauvres mais les grands bourgeois en bénéficient également à hauteur de 60%. C’est par l’impôt que doit s’opérer la redistribution des richesses au profit des Marocains. Concernant les grèves, il faut rappeler qu’elles sont les conséquences d’une situation. Il faut rechercher les causes ayant entraîné ces grèves. Il ne faut pas croire que les syndicalistes recourent aux grèves pour leur propre plaisir. Si vous prenez le secteur privé, les statistiques officielles du ministère de l’emploi disent que 63% des grèves ont pour cause la violation du Code du travail, des lois sociales et de la non immatriculation à la CNSS, ainsi que la violation des conventions collectives et des protocoles d’accord. Il faut donc agir sur les causes pour éliminer les effets.
Des ministres ont déclaré qu’ils feront recours à des déductions des journées de grève. L’UMT dit non. Nous sommes contre cette mesure. Au lieu d’agir sur les causes des grèves, ils veulent envenimer davantage les relations professionnelles dans les administrations publiques. Le recours à la grève est le résultat d’un déficit en matière de dialogue social et les positions figées de l’administration. L’exemple le plus frappant est celui des collectivités locales où nos camarades ne cessent depuis plusieurs années d’alerter les autorités sur leur situation et revendiquent un statut particulier. Pour sa part, le ministère de tutelle continue de faire la sourde oreille.
Pensez-vous que l’adoption des lois sur la grève et les syndicats pourra apaiser le climat social ?
Non. Nous ne pensons pas que ces lois pourront assainir le climat social. Il faut savoir que la grève a une signification immense. La grève a été utilisée dans la lutte pour l’indépendance et les syndicalistes ont payé de leurs vies et de leurs libertés sous le protectorat pour revendiquer l’indépendance du pays. C’est pour cela que toutes les Constitutions du Maroc depuis 1962 ont réaffirmé ce droit constitutionnel. L’initiative du gouvernement pour débattre du droit à la grève nous pousse à se poser des questions. Trois mois après son investiture, est-ce qu’une loi sur les grèves est une priorité gouvernementale et nationale? Nous pensons que ce n’est pas une. Que le gouvernement aille d’abord faire respecter la législation du travail dans les entreprises qui ne paient même pas les cotisations de la CNSS et ne respectent pas le SMIG. Maintenant, s’il doit y avoir une loi organique, elle devrait protéger ce droit constitutionnel et non pas le restreindre par des procédures longues pour finalement l’interdire. En ce qui concerne la loi sur les syndicats, ce n’est pas une revendication pour l’UMT en tout cas. Nous estimons que le Code du travail adopté en 2OO4 a réservé tout un chapitre de la Constitution aux syndicats jusqu’à la dissolution et parle également de la représentativité. Je ne vois pas donc l’utilité d’une loi qui viendrait s’ajouter à d’autres.
Vous parliez de priorités, l’un des dossiers prioritaires concerne la réforme des caisses de retraite. Pourquoi cette réforme traîne toujours?
L’UMT accorde une attention particulière à la réforme des caisses de retraite. Notre syndicat avait attiré l’attention du gouvernement Jettou sur le risque de la faillite de la Caisse marocaine de retraite en lui signifiant que l’Etat employeur n’a pas payé ses cotisations ou sa part patronale depuis 1960. Même la part des fonctionnaires était utilisée dans le budget de fonctionnement de l’Etat. Si la CMR sera en déséquilibre à partir de cette année, qui est responsable ? En tout cas, ce ne sont pas les fonctionnaires. C’est l’Etat qui a failli à ses engagements. Il a fallu faire pression sur le gouvernement Jettou pour que le volume des pertes soit enfin calculé. Les responsables ont affirmé à l’époque que les dettes de l’Etat envers la CMR s’élevaient à 11 milliards de dirhams mais nous pensons que ce chiffre est plus important. Admettons qu’il s’agit du chiffre exact, si ce montant avait été bien investi et rentabilisé, la CMR ne sera pas en difficulté. Aujourd’hui, il est vraiment regrettable que la commission nationale sur la réforme ne se soit réunie qu’une seule fois sous le gouvernement Jettou alors qu’elle ne s’est jamais réunie durant tout le mandat du gouvernement El Fassi. Dans tous les cas, l’UMT est contre la solution consistant à résorber la CMR au détriment des autres caisses notamment celles du secteur privé. Cette solution proposée par un cabinet qui a fait cavalier seul sans aucune consultation avec la commission nationale, consiste à détruire tous les systèmes de retraites pour créer le RBU (Régime de base unifié).
Vous avez une vision pour la réforme?
Lorsque la CMR sera en cessation, l’Etat devra mettre la main à la poche parce que l’Etat gère directement cette caisse qui est plutôt une annexe du ministère des finances. D’ailleurs, nous ne sommes pas représentés en tant que bailleurs de fonds au conseil d’administration. Nous pensons que chaque caisse doit s’auto-équilibrer à sa manière de toutes les façons, l’ensemble des caisses connaîtront des problèmes dans le futur. C’est le cas de la CNSS qui rencontra des difficultés en 2023. Par contre, le Régime collectif d’allocations de retraite ne connaîtra jamais de difficultés parce qu’il s’agit d’une caisse très avare. Son mode de calcul de la pension est faut puisqu’il prend la moyenne du salaire touché par le fonctionnaire durant toute sa vie pour lui servir à la fin une pension minorée.
Pourtant, la norme internationale prend la moyenne des huit dernières années. Nous pensons que la réforme de la RCAR est également une priorité. Concernant l’âge de la retraite à 65 ans, l’UMT dit qu’il doit être facultatif et non obligatoire pour les fonctionnaires.
Est-ce que vous avez commencé les préparatifs pour les prochaines élections?
Bien évidemment, nous nous préparons pour les prochaines échéances mais il y a déjà un problème avec les pouvoirs publics. Les élections professionnelles ont eu lieu en 2009. La fin des mandats des délégués est ainsi prévue en 2015. Il n’est pas nécessaire de faire des élections professionnelles pour les salariés puisque c’est le même corps électoral des délégués du personnel qui va voter pour le renouvellement des députés à la deuxième chambre.
Le ministère de l’intérieur et celui de l’emploi devraient réfléchir sur cette question parce que l’organisation des élections dans toutes les entreprises et les administrations nécessite une énergie immense alors qu’aucun texte ni loi nous oblige à renouveler ces élections.
Mais une circulaire a été envoyée par le ministère de tutelle invitant les syndicats à se préparer…
Cette circulaire n’engage que le ministre qui l’a éditée. Cette circulaire a été faite sans concertation alors qu’aucune loi ni décret nous oblige à renouveler les élections des délégués élus en 2009 et dont le mandat court jusqu’en 2015. Si ces derniers doivent renouveler leurs représentants à la deuxième Chambre, il n’est pas nécessaire de refaire des élections professionnelles. Nous allons le signifier à qui de droit pour les alerter sur la situation.