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Mohamed Soual : «Le Conseil ne peut pas être un lieu de surenchères corporatistes»

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ALM : Dans le neuvième discours du Trône, SM le Roi Mohammed VI a annoncé la mise sur pied du Conseil économique et social. Quelle est l’opportunité de cette initiative ?
Mohamed Soual : De prime abord, rappelons que l’article 93 de la Constitution, adoptée en 1996, dispose qu’il est institué un Conseil économique et social. L’article 94 stipule que le Conseil économique et social peut être consulté par le gouvernement, par la Chambre des représentants et par la Chambre des conseillers sur toutes les questions à caractère économique ou social. Il donne son avis sur les orientations générales de l’économie nationale et de la formation.
Et enfin, l’article 95 précise que la composition, l’organisation, les attributions et les modalités de fonctionnement du Conseil économique et social sont déterminées par une loi organique.
Dans le Maroc d’aujourd’hui en pleine mutation, un dialogue permanent et constructif entre les institutions et la société civile organisée devient plus que jamais nécessaire.
La politique a pour rôle fondamental d’être à l’écoute de la société, d’anticiper ses besoins et de préparer son futur en dégageant les lignes force de l’intérêt général et en évitant le recours à la violence dans la gestion des conflits d’intérêts. Voilà l’essentiel de ce qui me semble fonder l’opportunité de cette initiative royale.

À quoi servira le Conseil économique et social ?
Le Conseil économique et social (CES) est une assemblée constitutionnelle consultative placée auprès des pouvoirs publics. Par la représentation des principales activités économiques et sociales, le Conseil favorise la collaboration des différentes catégories professionnelles entre elles et assure leur participation à la politique économique et sociale du gouvernement. Il assure une triple mission. Conseiller le gouvernement et participer à l’élaboration de la politique économique et sociale du pays. Favoriser à travers sa composition le dialogue entre les catégories socioprofessionnelles dont les positions, différentes à l’origine, se rapprochent dans l’élaboration de propositions d’intérêt général. Et, enfin, contribuer à l’information des assemblées politiques. Éclairé par l’expertise pertinente et reconnue, il se libère des clivages politiques.

Le Conseil économique et social va-t-il se substituer à la Chambre des conseillers ?
A priori ce sont deux assemblées ayant des natures et des finalités différentes même si, pour une raison ou une autre, on peut y trouver des représentants issus des mêmes catégories socioprofessionnelles. Je rappelle que dans tous les pays qui disposent d’un Conseil économique et social, il y a également une Chambre haute (un Sénat), c’est-à-dire l’équivalent de notre Chambre des conseillers. Ce qu’il faudrait probablement, c’est de revoir ses prérogatives pour améliorer la productivité du travail législatif, de lui ôter le pouvoir de censurer le gouvernement et sans doute de revoir les modalités relatives à l’élection de ses membres pour éviter la «notabilisation» excessive de cette Chambre.

Quel sera le profil requis du président de ce Conseil ? Et qu’en est-il des autres membres ?
Il ne m’appartient pas de déterminer le profil de son président. En général, le CES rassemble en son sein des représentants du monde des entreprises, des représentants syndicaux, des personnes issues des milieux de l’économie solidaire et/ou sociale comme les coopératives, des représentants des concitoyens résidant à l’étranger et des personnalités qualifiées dans le domaine économique, social, scientifique ou culturel. Sans esquiver votre question, permettez-moi de dresser un parallèle avec l’histoire de l’institution similaire en France, un pays qui de par nos liens historiques et culturels inspire parfois nos modes de pensées. En France c’est un décret du 16 janvier 1925, largement inspiré par la CGT qui institua le Conseil national économique. C’est l’ancêtre direct du Conseil économique et social. Il se composait de 47 membres tous désignés par les organisations les plus représentatives de la vie économique et réparties en trois groupes représentant inégalitairement le capital, le travail et la consommation et la population. Après la Seconde Guerre mondiale, la position du Conseil au sein des pouvoirs publics a été confortée. Et c’est la Constitution de la IVème République du 27 octobre 1946 qui donne un statut constitutionnel à cette assemblée, statut confirmé par la Constitution de la Vème République. C’est Léon Jouhaux, secrétaire général de la CGT, qui en a été le premier président et il l’est resté jusqu’à son décès en 1954. Émile Roche, grand journaliste et homme politique du parti radical, lui a alors succédé jusqu’en 1974. De même que Jean Mattéoli, ancien résistant, ancien ministre du Travail et ancien commissaire à la reconversion industrielle de la région Nord, fut un grand président de cette institution. Aujourd’hui, le président du CES français est Jacques Dermagne, un chef d’entreprise choisi dans la catégorie de représentation des personnalités qualifiées dans le domaine économique, social, scientifique et culturel. Cet exemple montre des personnalités de premier plan, mais issues d’horizons différents.

Dans la pratique, comment cette institution devrait accomplir sa mission dans un contexte socio-économique en pleine mutation ?
Aujourd’hui, le gouvernement et les assemblées politiques travaillent sous la pression du temps, des contraintes externes et internes, et ne disposent pas toujours du recul pour préparer le futur qui lui-même est soumis aux aléas des mutations socio-économiques rapides et changeantes. Un des outils qui peut agir comme instrument d’éclairage et d’aiguillon est précisément le Conseil économique et social. De par ses modes de représentation réunissant des catégories socioprofessionnelles aux intérêts a priori différents et éclairés par l’expertise pertinente et reconnue qu’apportent les personnalités qualifiées dans les différents domaines objet de la compétence du CES, le dialogue, la concertation et la négociation sont les voies et moyens qui permettent de conseiller par des avis pertinents le gouvernement et le Parlement. Je rappelle que le CES est une Assemblée consultative et non législative ou exécutive.

Comment cela se passe-t-il ailleurs ?
Deux institutions supra nationales excitent mon intérêt. Le Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC) le CES de l’Union européenne. L’ECOSOC qui, par exemple, dans sa session de fonds de 2005, demande aux secrétaires exécutifs de la Commission économique pour l’Afrique et de la Commission économique pour l’Europe de continuer à participer activement au suivi du projet de la liaison fixe Maroc-Espagne et de faire un rapport au Conseil, à sa session de fonds de 2007. L’ECOSOC a également prié le secrétaire général d’apporter un appui formel, et dans la mesure où les priorités le permettent, des ressources nécessaires dans le cadre du budget ordinaire, à la Commission économique pour l’Europe et à la Commission économique pour l’Afrique afin de leur permettre de mener à bien les activités susmentionnées.
L’autre institution est le CES de l’Union européenne dont les avis impactent souvent notre politique de voisinage avec cette région du monde, notre principal marché d’approvisionnement et de débouchés. Plus près de nous, le CES espagnol est aussi digne d’intérêt. Ces lieux sont en général des instances où s’élaborent des recommandations pour le développement économique et social soutenu et pour la répartition équitable des richesses entre les individus et les territoires.

Quelles sont les conditions de la réussite du CES au Maroc?
À mon avis, l’éclairage de l’expertise pertinente et reconnue permet de rapprocher des positions à l’origine divergentes au service de l’intérêt général. Ensuite, il faut que les membres considèrent que cette assemblée est un lieu de réflexion et d’élaboration de proposition et non une instance de démonstrations oratoires ou de surenchères corporatistes.

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