ALM : M. le président, si on devait fixer une image de cette fusion SNI-ONA, c’est, selon vous, un tremblement de terre ou un tsunami ?
Mouatassim Belghazi : Rires (…) Les tsunamis et autres catastrophes naturelles évoquent la destruction. Or, si je devais fixer une image, ce serait celle du renouveau ! à travers l’union de deux entités qui aspirent à une nouvelle vocation commune, celle d’une holding d’investissement qui accompagne le développement de sociétés de taille, initie des projets structurants, et leur offre la liberté de prendre leur envol, une fois leur maturité atteinte.
Les raisons que vous avancez pour expliquer la fusion sont toutes en rapport avec l’évolution du marché et votre environnement financier, — vous parlez même de l’intérêt de la Bourse!— mais vous n’avancez aucune raison sur les limites du mode de gouvernance de vos holdings ces dernières années, alors que vous avez consommé ou usé beaucoup de présidents?
Je peux m’exprimer sur la base de ma modeste expérience à la tête de l’ONA pour vous avouer que de par sa vocation, sa taille et la qualité de son actionnariat, le Groupe ONA est un vaisseau amiral dont le pilotage n’est pas de tout repos. En effet, son organisation actuelle, qui avait un sens il y a quelques années, est devenue un frein pour le développement de certains métiers. Ainsi, le pilotage en direct de métiers matures s’avère dans la pratique contre-productif car générateur de lourdeurs administratives qui altèrent la responsabilité et l’autonomie du management des filiales concernées. Ainsi, les synergies et les services offerts par la holding aux filiales en terme de conseil et de support peinent à compenser les freins concrets auxquels sont confrontées ces dernières en terme de contraintes et de marge de manœuvre (lourdeurs administratives, difficultés de financement eu égard aux ratios prudentiels des banques, etc). Par ailleurs, le pilotage opérationnel direct de sociétés matures aux côtés de métiers en développement disperse les énergies de la holding et altère l’efficacité de son accompagnement des métiers en construction, qui demeure sa mission première.
Si vous devez exprimer une autocritique dans un élan de transparence que mérite, selon vous, le marché, vous l’articulerez sur quels points? Management erratique et instable? Erreurs stratégiques? Insuffisance de communication ? Incompréhension du marché?
Je parlerai de remise en cause ! je parlerai de renouveau ! Et nous assumons ce renouveau. Concrètement, il s’agit de l’inadéquation entre la mission du Groupe d’accompagner le développement de projets structurants, de jouer le rôle d’incubateurs dans des métiers stratégiques pour l’économie nationale et les lourdeurs administratives inhérentes à la structure d’un groupe multi-métiers.
Après une politique d’endettement «volontaire» qui a atteint son point critique avec une baisse réelle de la rentabilité du Groupe, après les rotations d’actifs avec la SNI, la fusion avec cession de contrôle n’est-elle pas un nouveau gadget de consultant financier pour sauver les meubles ?
Je vous remercie de poser cette question. le Groupe présente aujourd’hui un niveau d’endettement confortable et des indicateurs de rentabilité satisfaisants. Les résultats 2009 du Groupe démontrent la bonne résilience du Groupe face à des perturbations importantes du contexte économique. Mais nous ne tombons pas dans la facilité de l’autosatisfaction car l’opération qui nous intéresse aujourd’hui ne peut être explicitée par une approche purement financière, il s’agit bien au contraire d’un tournant stratégique. La réorganisation reflète ainsi l’évolution de la vocation du Groupe qui passe d’un groupe multi-métiers à une holding d’investissement. La rotation d’actifs avec la SNI en 2003 et qui avait été une véritable réussite, avait déjà permis de créer deux entités aux rôles bien distincts, celui de groupe intégré multi-métiers pour l’ONA, et celui de holding d’investissement pour la SNI. Le Groupe centre aujourd’hui sa vocation sur un métier unique, celui d’actionnaire professionnel, d’où la fusion des deux entités. S’agissant du contrôle des métiers matures, il s’inscrit dans la stratégie d’investissement de la nouvelle entité qui, en tant qu’holding d’investissement appliquant une gestion dynamique de son portefeuille, n’aura plus vocation, une fois que ses participations ont atteint un rythme de croisière, d’en garder le contrôle.
La volonté de sortir de la production : lait, huile, sucre, distribution, etc. dans le cadre d’une holding de participation pour aller vers une holding d’investissement est-elle une exigence de votre actionnaire de référence dont la justification serait davantage politique?
Chaque fois que l’on évoque le Groupe ONA, on est tenté de mélanger les genres ! Je ne vois pas le rapport entre la politique et des secteurs totalement libéralisés tels que les produits laitiers, l’huile ou la distribution. Les sociétés Centrale Laitière, Lesieur, Cosumar et Bimo sont aujourd’hui matures, solides et disposent d’un management de qualité. En garder le contrôle n’est tout simplement pas compatible avec notre nouvelle vocation de holding d’investissement. Par ailleurs, en céder le contrôle ne veut pas nécessairement dire désengagement total. Enfin et pour ce qui est de la distribution, des télécoms ou de l’immobilier, les sociétés concernées sont en plein développement. Il n’est donc pas question à court terme d’en céder le contrôle au marché. A terme, la question se posera mais elle me semble prématurée à ce stade.
Le métier d’actionnaire professionnel demande une versatilité «anglo-saxonne», une liberté d’action, sur le marché que votre holding fusionnée ne maîtrise peut-être pas encore. Qu’en pensez-vous ?
Il s’agit en effet d’un métier nouveau au Maroc, mais que nous avons déjà l’occasion d’exercer à travers nos participations au niveau de la SNI. Ce métier a vocation à se développer au Maroc, comme cela a été le cas dans les marchés développés où l’implication d’actionnaires professionnels au sein des organes de gouvernance apporte un accompagnement qualitatif en terme de pilotage stratégique au management de ces sociétés..
Ne pensez-vous pas que le poids «institutionnel et symbolique» attaché à l’histoire de votre holding va réduire, surtout au début, vos marges de manœuvres et contrarier votre nouvelle vocation d’actionnaire professionnel sans états d’âme?
En ce qui concerne la marge de manœuvre et d’action, je peux vous assurer : nous l’avons et elle n’a de limites que celles posées par la loi et le respect des bonnes pratiques universellement reconnues en la matière. Cette marge de manœuvre et les conditions nécessaires pour jouer pleinement le rôle d’actionnaire professionnel sont garanties justement par le nouveau schéma de fonctionnement qui sera mis en place. En cédant le contrôle des entités matures, nous remettons le gouvernail aux mains du management des sociétés qui est responsable devant le marché et ses différents actionnaires. Notre rôle à nous, d’actionnaire professionnel, nous l’exercerons, comme c’est le cas ailleurs, à travers le Conseil d’administration et les organes de gouvernance qui en découlent.
Vous dites que SNI-ONA représentait 30% de la capitalisation boursière alors que votre poids dans l’économie est de 3%. Pensez-vous que la méconnaissance de cette donnée a pu, parfois, brouiller l’image de votre Groupe ?
En effet, au-delà d’une attention médiatique démesurée, cette confusion pouvait être source de pression pour le management et d’attentes déraisonnables de la part de certains observateurs et même de la part de ceux qui ne sont pas concernés par le business de manière générale et l’ONA en particulier.
Pensez-vous que la fin de la double cotation boursière holding-filiales va plus améliorer vos performances financières que votre image ?
Je ne vois pas le lien. Le retrait des deux holdings tout en maintenant les filiales en Bourse, vise avant tout à neutraliser la cotation simultanée de la mère et des filles, qui fausse la représentativité de l’ensemble sur la cote. Elle conférera par ailleurs au holding, issue de la fusion de l’Ona et la SNI, la souplesse et la réactivité nécessaires au bon exercice de sa mission.
La cession au marché boursier à 70% du contrôle majoritaire de vos filiales va générer de ressources nouvelles, à quoi vont-elles servir ? Au désendettement ou à l’investissement ?
Essentiellement au financement de l’OPR afférente au retrait de la cote de l’ONA et la SNI.
Actuellement vous avez un système de co-gestion des cadres, que va devenir ce système avec la cession au marché et la nouvelle gouvernance qu’il va induire ?
Ce système de gestion, dans le cadre d’un groupe multi-métiers, a montré ses limites dans la mesure où nous sommes présents dans des métiers relativement différents, nécessitant des expertises sectorielles spécifiques. Aussi, ce qui pouvait paraître un avantage compétitif, l’est de moins en moins ces dernières années, d’autant plus que le marché de l’emploi permet aujourd’hui de trouver des compétences formées localement ou à l’étranger, attirées par les opportunités que présente le Maroc dans la dynamique économique actuelle.
Que veut dire le pilotage stratégique par la nouvelle holding des ex-filiales si dans les faits la propriété vous échappe, c’est le marché qui est majoritaire, et si la gouvernance est autonome?
Je trouve que c’est très sain comme approche. Les managements respectifs de ces sociétés seront responsables de leur stratégie et de leur gestion devant les organes de gouvernance (Conseil d’administration et comités qui en découlent). C’est dans ce cadre que nous challengerons le cap, les trajectoires et les réalisations de ces dernières; et demanderons aux côtés des autres actionnaires des corrections si nécessaire.
Si une ex-filiale livrée au marché rencontre de graves difficultés et perd la pérennité de son développement, est-ce qu’un retour dans votre giron est possible ? Et quelles sont ses modalités de ce retour ?
Si nous cédons le contrôle d’une société au marché, c’est parce que nous estimons que cette dernière est suffisamment mature et qu’elle dispose de la taille, des ressources et du management à même de lui permettre de voler de ses propres ailes. Envisager un retour en arrière en cas de difficulté serait nous conférer un rôle de « pompier », mission incompatible avec la vocation de toute holding d’investissement privé qui se respecte. Ceci dit, nous gardons à l’esprit l’obligation morale de suivre rigoureusement l’ensemble de nos participations afin de leur éviter de marquer un quelconque retour en arrière.
Sans conteste la cession au marché du contrôle majoritaire de vos filiales va animer la place boursière. Pensez-vous que la place est suffisamment mûre et stable pour «absorber» ces opérations sans risque pour vous ?
Le marché est fortement demandeur de papier : nous souffrons aujourd’hui d’un marché peu liquide et ce, notamment du fait de la faiblesse du flottant des sociétés cotées. Que de fois nous a-t-on demandé de remédier à la faible liquidité du titre Centrale Laitière, fortement apprécié par les intervenants boursiers mais peu liquide. Notons par ailleurs que ces deux dernières années n’ont pas vu de nouvelles introductions en Bourse, alors que le marché avait très bien accueilli la dynamique des introductions de taille des années précédentes. Ces opérations représentent une belle occasion de redynamiser le marché et nous sommes convaincus qu’elles seront très bien accueillies.
La holding SNI-ONA fusionnée sera dirigée par qui ? Plus par les gens de la SNI ou plus par les gens de l’ONA?
A l’issue de la fusion, les deux équipes Ona et SNI seront réunies au sein de la nouvelle entité. Cette structure sera évidemment allégée et recentrée en vue de répondre aux besoins de la nouvelle vocation du Groupe. Quant à l’identité du nouveau président, c’est mon collègue et ami Hassan Bouhamou qui assurera la fonction de P-DG du nouvel ensemble. Et je suis sincèrement engagé pour l’accompagner jusqu’à la passation finale de l’ONA vers la nouvelle holding durant les prochaines semaines.
Que ressent Mouatassim Belghazi en tant que Président de l’ONA à la veille de cette fusion? La fierté de réussir une opération unique par son volume et par son genre, ou le regret de voir la bonne vieille ONA disparaître ?
Je réponds sans hésiter : une immense fierté d’avoir participé à un événement que je considère comme majeur pour le paysage économique et financier de notre pays. Un événement qui s’inscrit en faveur de la modernisation de l’environnement économique et boursier. Cette opération consacre la naissance d’un nouveau schéma de fonctionnement, plus en phase avec le contexte économique actuel, avec la nouvelle vocation du Groupe qui se donne les moyens de jouer un rôle d’accompagnement dans l’émergence de champions nationaux ou régionaux autonomes, régis par les règles du marché. (songeur)… J’ai la satisfaction du devoir accompli. Bon vent au nouvel ensemble ONA/SNI !