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Notre jeunesse est-elle islamiste ?

Peut-on se contenter de dire que la jeunesse marocaine est déboussolée, en manque de repères et d’ancrages identitaires ? Peut-on aussi dire que ses problèmes relèvent uniquement de la situation économique grave ? Des questions à profusion et peu de réponses pour s’expliquer surtout ce revirement de la jeunesse marocaine vers les formes d’intégrismes les plus opposées à la culture de convivialité et de cohabitation propre aux Marocains.
En fait, c’est le résultat d’un processus de dépolitisation couplé à un arsenal de pratiques qui bloquaient toute initiative des jeunes, toute tentative d’émancipation de la jeunesse marocaine. Cela en plus d’un travail d’embrigadement effectué par les trafiquants en tout genre. Un cocktail dont on commence à peine à avoir conscience. Les dernières législatives ont montré non seulement à quel point les islamistes sont profondément implantés, notamment en milieu urbain et péri-urbain, mais aussi et surtout l’incapacité des partis traditionnels à pouvoir encadrer et mobiliser, autour de projets sociaux viables, une jeunesse vivace, enthousiaste, mais dont le risque de dérapage est tellement grand et les possibilités de les intégrer dans les entreprises les plus aventureuses est si présent, qu’il y a vraiment péril en la demeure, au regard des risques que de telles dérives comportent.
Les résultats du 27 septembre avec la montée en puissance du Parti de la justice et du développement (PJD) est à interpréter dans le sens d’un rejet des partis traditionnels et ne constitue pas forcément un acquis pour le PJD. Si c’était réellement le cas, avec ce que cela suppose comme encadrement et comme organisation, ce serait finalement rassurant, étant donné que cette formation est de plus en plus acquise au pragmatisme politique qui en fait une composante intégrée dans le paysage national.
Mais, les risques se situent aux marges de cette organisation, elle-même prise au dépourvu par son propre succès électoral. Tout le monde, y compris au sein du PJD, reconnaît les possibilités d’infiltration d’organisations intégristes et jusqu’au-boutistes, style la jeunesse islamiste de abdelkrim Motii ou encore les récents groupes de Salafiya Al Jihadiya et Assirat Al Moustakim. Pire encore, les pro-Ben Laden ne sont pas à exclure et les Afghans marocains sont une expression d’un intégrisme dont on ne peut prévoir les dérives et qui prospèrent à l’ombre de mouvements et d’associations affichant une « normalité » de piété et de charité…
Tout cela est le résultat, entre autres, de deux facteurs essentiels. Le premier a trait aux politiques socio-économiques des gouvernements marocains depuis l’adoption du programme d’ajustement structurel en 1983. Un programme reconduit depuis et dont l’une des conséquences directes est la dépolitisation de la vie publique, compte tenu de l’exacerbation des phénomènes du chômage et d’un enseignement en panne, l’aggravation des problèmes de paupérisation. Les budgets alloués aux secteurs sociaux et de l’éducation se réduisaient comme peau de chagrin et les filets sociaux se sont tous effilochés, les uns après les autres, comme une pelote qui se dévide.
Dans la même foulée, les budgets alloués aux maisons de jeunes sont devenus tellement dérisoires qu’un chaise cassée n’est plus remplacée et les associations culturelles ne disposent plus d’aucune ressource.
Le deuxième facteur, c’est le manque d’ouverture politique, conséquemment à l’interdiction de fait de l’Union nationale des étudiants du Maroc conjuguée au blocage du mouvement associatif, y compris les ciné-clubs pendant presque une décennie (1984/1992) ont fait que les jeunes marocains n’ont pratiquement plus aucun recours. C’est normal donc qu’ils soient travaillés par l’un des deux courants en vogue.
Le premier, celui des trafics et de l’immigration clandestine. Un courant qui répond vite aux besoins urgents des jeunes en matière d’argent et de statut social. Sauf que généralement, c’est ou la taule en pays étranger ou la mer qui les engloutit alors qu’ils s’apprêtaient à regagner la rive nord de la Méditerranée.
Le deuxième tout aussi dangereux que le premier sinon plus, n’est autre que l’intégrisme. On a vu comment Abou Hafs de Fès a viré aux prêches incendiaires. On voit maintenant le procès des présumés membres d’Al Qaida, on voit comment des illuminés islamistes font régner la terreur y compris parmi leurs proches… La liste est longue. Cela donne froid au dos.
Quand on a vu proliférer les télé-boutiques, les islamistes avaient vite fait de financer l’achat des cartes pour le compte des chômeurs du coin. Ils revendaient les unités aux usagers des téléphones publiques et le gain est partagé. Un réseau de chaînes islamiques a vu ainsi le jour. Quand les imprimeries islamistes ont inondé le marché marocain de livres dont la plupart n’ont d’islamique que le nom, c’est un réseau de vendeurs ambulants, en majorité des intégristes potentiels qu’on a mis en place. Peut-être sans en avoir conscience. Les cassettes audio, un marché florissant avec des gains substantiels et un vivier de kamikazes potentiels…
La presque démission de l’Etat de secteur social, la montée intégriste dans le monde, les effets de la révolution iranienne, les massacres en Palestine et la place qu’occupe Hamas dans la lutte anti-israélienne, tous ces ingrédients ont fait que la jeunesse marocaine a été vite rattrapée par l’islamisme. Pour combien de temps ? Est-elle vraiment convaincue ? Sera-t-elle à même de se ressaisir pour reprendre sa place en tant que force de premier plan pour une démocratie bien en marche ? Les partis politiques sont-ils en mesure de revoir leur stratégie et apurer leur passif vis-à-vis de jeunes ? Ce sont là des questions auxquelles on doit réfléchir. L’avenir du Maroc et de ses choix en dépend.

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