Aujourd’hui Le Maroc : Quelle est votre réaction à l’égard de la grève observée actuellement par les boulangeries au Maroc ? A votre avis, est-elle justifiée ?
Mohamed Benkadddour : La grève est un droit garanti par la Constitution. Elle n’est pas contestable en soi. Mais les raisons qui y ont abouti sont discutables. Ce qui est dommage, c’est que le consommateur risque d’en payer le prix. Un prix que le commun des Marocains ne pourra pas supporter vu le pouvoir d’achat limité des ménages, dont une bonne partie est formée de familles nombreuses qui consomment le pain en grandes quantités. En effet, ce dernier demeure un produit de première nécessité par excellence. A cette raison s’ajoute une autre, d’ordre économique. Des investigations et des contacts que nous avons menés auprès des différentes boulangeries que compte la ville d’Oujda ont démontré que le coût de revient d’un pain de 200g, et toute composantes comprises, est de l’ordre de 0,90 centime. Cela revient à dire que la marge de bénéfices est garantie. D’autant que le poids du pain ne dépasse guère 170 à 180g ce qui équivaut à un prix de revient de 0,80 centime. La hausse revendiquée des prix ne se justifie pas et n’a donc pas lieu d’être. Il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas que le pain qui est vendu dans ces boulangeries, mais aussi la pâtisserie. La marge de bénéfices dans cette dernière tourne généralement autour de 300%. Dans certains cas, comme celui des « Mille-feuilles » dont le prix de revient à l’unité ne dépasse pas 0,35 centime et qui sont vendus à 2 DH l’unité, cette marge peut augmenter de façon significative.
Les boulangeries font valoir leurs droits. Mais qu’en est-il des normes de qualité auxquelles elles doivent se tenir ? Sont-elles respectées ?
Les boulangeries sont tenues, de par la loi, de fournir au moins deux formes de pain : un premier à base de farine de luxe et un deuxième à base du blé national, subventionné et vendu à 140 DH/qx. En dehors de ces deux catégories de pain, tout le reste est sujet à la loi sur la concurrence et à la liberté des prix. A une condition près, celle que les composantes doivent être communiquées et les prix indiqués. Si l’on devait appliquer la loi en matière de qualité, plus de 80% des boulangeries que compte le Maroc devraient fermer. Et pour cause. Non seulement on triche sur le poids réglementaire d’un pain, qui n’est dans les faits que de 180g tout au plus au lieu d’être de 200g, mais il est également rare que le pain à base de blé national soit disponible, sachant que la loi stipule qu’il le devrait. Certaines boulangeries utilisent le blé subventionné même dans la pâtisserie. Chose qu’elles n’ont pas le droit de faire. Il faut également voir dans les régions frontalières, comme Oujda par exemple, où les boulangeries utilisent un blé de contre-bande provenant de l’Algérie.
Finalement, à qui profitent les subventions de l’Etat ?
La subvention de la farine coûte à l’Etat quelque 200 milliards de centimes par année. Mais cette subvention ne bénéficie qu’aux minotiers. Au lieu de 200 DH/qx, ceux-ci vendent cette farine à 280 DH/qx aux boulangeries. Sachant que l’objectif principal de cette subvention était de profiter au monde rural. Ni les boulangeries, ni les consommateurs ne bénéficient de cette subvention. Il y a donc lieu de se poser sérieusement la question. La réponse est bien simple, ce sont les minotiers qui tirent parti de cet «avantage».
Quelles sont les solutions possibles pour remédier à cette situation, pour le moins anormale ? Et vers quoi s’achemine-t-on si jamais cette hausse des prix est appliquée ?
L’Etat peut directement faire bénéficier les boulangeries de cette subvention en les fournissant directement. Mais cela suppose une transparence de la part des boulangeries quant à leurs comptes et leurs besoins réels en farine. Aussi, d’autres moyens d’aide peuvent être mis en place. Au lieu de subventionner la farine, l’Etat peut faire baisser les prix sur l’eau et l’électricité des boulangeries, ou intervenir par le biais d’une baisse des tarifs fiscaux appliqués à ces dernières. L’expérience, au Maroc mais aussi ailleurs dans le monde, comme c’était le cas en Tunisie ou en France, a démontré qu’à chaque fois qu’il y a hausse des prix du pain, les gens sortent dans la rue. Le pain, c’est une composante incontournable de chaque repas que prend un Marocain. C’est aussi une partie de la culture de ce pays et de ces habitants. Faire augmenter ces prix, c’est se heurter à la colère des citoyens.