ALM : Le discours de Sa Majesté le Roi du 20 août 2008 met l’accent sur la création de l’Instance centrale pour la prévention de la corruption et sur l’activation du Conseil de la concurrence. Que pensez-vous de cette initiative ?
Rachid Filali Meknassi : Ce qu’il faut retenir c’est que l’audience royale accordée aux présidents des deux instances est un message politiquement fort adressé à la fois au gouvernement et à toutes les autres parties pour qu’ils appuient le travail de ces deux instances. D’autant plus que le Roi a mis l’accent dans son discours du 20 août sur la spéculation qui découle de la concurrence déloyale et sur la corruption, en soulignant l’impact qu’elles ont sur le pouvoir d’achat, en particulier des populations pauvres dans un contexte social difficile marqué par la rentrée scolaire et le mois sacré de Ramadan ainsi que par le renchérissement des produits de base.
C’est bien de faire la différence entre création et activation. Car en effet le texte qui organise le Conseil de la concurrence a été prévu par la loi de 2000. A l’époque on avait nommé Othmane Demnati (ancien ministre de l’Agriculture), mais faute de moyens, ce dernier avait fini par démissionner. Le conseil n’avait pas obtenu les moyens dont il avait besoin, mais en plus, il n’avait aucun pouvoir décisionnel, et sa mission se limitait à donner des avis consultatifs. Quant à l’Instance de lutte contre la corruption, elle avait été créée par le décret du 13 mars 2007 qui ne fût publié que le 2 avril de la même année. On aurait pu nommer immédiatement les présidents et les membres.
Quel sera l’impact de ces deux instances sur l’investissement au Maroc ?
On ne peut parler d’un réel impact que si les moyens suivent et que ces instances soient immédiatement ou le plutôt possible fonctionnelles. Pour l’instant, ce qu’on peut en attendre est relativement limité, car ces deux instances n’ont pas par exemple le pouvoir d’investigation ou celui de déclenchement des poursuites…Prenant l’exemple de la politique de l’Etat concernant l’habitat et précisément cette histoire des promoteurs immobiliers qui a fait un scandale et où les règles de la concurrence n’ont pas été respectées. L’Etat devait consulter le Conseil de la concurrence lequel devait dire si la décision était bonne ou pas
Comment se présentent les mandats des deux instances?
Concernant l’Instance centrale pour la prévention de la corruption, elle est d’abord composée en moitié des représentants des principaux ministères concernés et pour l’autre moitié, des représentants de la société civile notamment les Ordres professionnels, les Chambres de commerce et d’industrie, des représentants des ONG, des syndicats…Ces personnes sont nommées par le Premier ministre pour une durée de 4 ans. Quant au mandat du président, il est de six ans renouvelable. Le président doit être reconnu pour son intégrité, son expérience et sa compétence.
Quelles sont et quelles devraient être les attributions de l’Instance centrale pour la prévention de la corruption ?
L’Instance de la corruption se doit d’étudier la situation de la corruption au Maroc, recevoir et traiter les informations relatives aux faits liés à la corruption et en saisir, s’il y a lieu, la justice. Elle est appelée à entretenir une base de données sur le phénomène de la corruption, développer la coordination et la consultation entre les administrations concernées, définir les stratégies de communication et mettre en œuvre des campagnes de sensibilisation de l’opinion publique. L’instance se doit également d’élaborer et de publier un rapport annuel sur l’état de la corruption au Maroc ; lequel doit comporter des recommandations pour le gouvernement.
On ne peut pas préserver une dynamique du marché, si on ne met pas un frein aux abus du pouvoir économique de l’Etat et s’il n’y a pas un minimum de transparence dans le fonctionnement des marchés. Dans d’autres pays, ces instances sont indépendantes et veillent sur la fluidité du marché et la loyauté des transactions.
Etes-vous pour l’autonomie de ces instances?
Dans tous les pays du monde, ces instances ne relèvent pas de leurs gouvernements. Elles sont autonomes et dotées de beaucoup de moyens d’investigation et du pouvoir de sanction. Elles sont soit dotées de pouvoir de répression directe, constatent les fraudes et sanctionnent, soit elles ont le pouvoir de saisir le tribunal ce qui n’est pas le cas chez nous. Les prérogatives de ces instances sont très limitées.
Quelles sont les compétences du Conseil de la concurrence?
Il est paritaire et se constitue de six représentants de l’administration et six personnalités nommées par le Premier ministre. La durée du mandat du président n’est pas fixée par la loi, celle des membres est par contre limitée à 5 ans renouvelable une fois. Il est précisé que le président exerce ses fonctions à plein temps. Le Conseil de la concurrence est sollicité pour ses avis par les commissions permanentes du Parlement, le gouvernement et les collectivités locales. Cette instance pourrait être saisie par les juridictions compétentes lorsqu’elles doivent se prononcer sur des pratiques anti-concurrentielles.
Quelles sont les situations où le gouvernement est appelé à demander l’avis du Conseil de la concurrence ?
Elles sont au nombre de quatre: lorsque le gouvernement compte apporter des restrictions à l’exercice d’une profession ou à l’accès à un marché, lorsqu’il établit des monopoles ou des droits exclusifs sur le territoire ou une partie du territoire, lorsqu’il veut imposer des pratiques uniformes en matières ou de conditions de vente, et enfin lorsqu’il veut donner des aides de l’Etat, des collectivités locales, ou des entreprises.