ALM : L’ex-directeur de la BNDE vient d’être interpellé. S’agit-il, selon vous, d’un nouveau scandale qui se profile à l’horizon ?
Rahou El Hilaâ : Absolument. Connaissant « la maison » de l’intérieur, je sais qu’il existait des irrégularités, notamment lors de la période d’attente du passage de l’établissement à la privatisation. Cela a beaucoup trop duré, avec une absence totale de contrôle. D’ailleurs le rapport de l’Inspection générale des Finances (IGF), établi depuis plus d’un an et demi, a relevé un nombre flagrant d’irrégularités. Malheureusement l’intervention de l’IGF n’a eu lieu qu’après que le mal a fait son effet. J’ai comme l’impression que cette banque a été assassinée.
Pourquoi ? La BNDE constituait-elle un modèle de gestion économique et financière ?
C’était un modèle par excellence, notamment en ce qui concerne les études de financement de projets. C’était un organisme très spécialisé. Malheureusement la mauvaise gestion et la période d’attentisme l’ont réduit à néant. La BNDE était un organisme financier spécialisé créé pour une mission particulière: le financement de projets dans le secteur industriel. Elle a participé à la création de près de 6.000 entreprises dans plusieurs secteurs de l’industrie et du transport. Elle avait capitalisé un savoir-faire de haut niveau dans la technologie financière. C’est certainement pour cette raison qu’elle a toujours été enviée par d’autres établissements bancaires, pour lesquels la BNDE maintenait le monopole dans sa spécialité. Dommage que l’on ne lui ait pas laissé de chance de continuer de vivre, car sa mission n’était pas terminée. Les PME et PMI ont toujours besoin de la présence d’un organisme de la trempe de la BNDE. Le genre d’établissement qui ne juge pas que la rentabilité lors de l’étude des projets.
Pourquoi ce scandale est-il soulevé en ce moment alors que l’enquête de l’IGF est achevée depuis près d’un an et demi ?
D’abord parce que c’est le climat général qui sévit dans notre pays. Nous vivons une période d’assainissement. Un peu lente peut-être, mais c’est un fait. Le laisser-aller ne peut durer éternellement. Le terme « impunité » est massivement utilisé, ces derniers temps. Il faut que les personnes impliquées répondent de leurs méfaits à l’égard des dilapidations des deniers publics. Quand la justice se saisit de l’affaire, cela signifie investigations, enquêtes et conclusions. Les coupables doivent payer. Et ceux qui n’ont rien à se reprocher ne seraient pas inquiétés. Mais il est temps de mettre un terme au laisser-aller.
Comment concevez-vous l’attitude de l’institution parlementaire dans ce genre d’affaire ? Cette passivité et cette non-implication comme si les représentants du peuple n’étaient pas concernés?
Je crois que les parlementaires ressentent une amère déception. Après que plusieurs commissions d’enquête ont fait leur travail, et ont présenté leurs rapports et leurs conclusions d’investigations, il n’y a jamais eu de suivi de la part du pouvoir exécutif. L’opinion publique a tendance à déduire qu’il n’existe pas vraiment une volonté pour faire aboutir ces enquêtes. En plus, l’on se trouve devant une sorte d’enchevêtrement de par la nature de la composition du gouvernement ainsi que celle de l’opposition.
Souvent on se trouve devant une situation où un membre de la majorité gouvernementale est obligé de jouer le rôle (ou encore combler le vide) de l’opposition. Il faudrait que chacune des deux institutions, (gouvernement et Parlement) soit totalement indépendante vis-à-vis de l’autre. La réalité prouve que nous sommes encore loin de nous débarrasser de cet enchevêtrement traditionnel. Or constitutionnellement, chaque institution est dotée d’un rôle qui lui est propre. En principe, c’est le Parlement qui contrôle l’action du gouvernement et non le contraire, comme on a l’impression de le vivre. Le Parlement a soulevé tous ces soi-disant scandales, mais les choses n’ont jamais évolué et ce n’est pas à cause d’une quelconque nonchalance de la part de l’institution parlementaire. Les choses n’ont pas besoin davantage d’explications. En plus, lorsque la Justice se saisit d’un dossier, le Parlement n’a pas à intervenir avant que la Justice ne finisse son travail. Si après il s’avère que la Justice n’est pas allée si loin, alors le Parlement peut intervenir. En tout état de cause, il existe de nombreux établissements publics qui sont assujettis à des contrôles, voire à des enquêtes, tellement les malversations y sévissent.