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Réforme de la compensation : Réalisme ou pure démagogie?

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La réforme de la compensation est prête et n’attend que le feu vert du chef de gouvernement. C’est en tout cas ce que déclarait il y a quelques jours le ministre en charge de ce dossier, Najib Boulif. A croire ce dernier, l’on se dirige vers une décompensation progressive sur plusieurs années des produits. En lieu et place de cette décompensation, le gouvernement a vraisemblablement retenu le schéma des aides financières directes de manière à cibler de manière plus précise les ménages qui sont le plus dans le besoin. A ce jour, Najib Boulif n’a pas encore dévoilé officiellement son dispositif, mais on parle d’ores et déjà, entre autres nouveautés, d’une aide de 1.000 DH par mois versée à quelque 2 millions de ménages. Selon le ministre, ce système d’aides directes devrait permettre à l’Etat d’économiser 24 milliards DH. Sur papier, le schéma peut paraître séduisant certes, mais la mise en application sur le terrain ne peut pas être si évidente et peut même présenter quelques dangers.
D’abord, pour commencer, si le gouvernement parle d’économiser 24 milliards DH, cela suppose nécessairement qu’il devra décompenser progressivement les produits aujourd’hui subventionnés. En d’autres termes, il devra augmenter leurs prix publics. Théoriquement, les ménages devraient accepter ces hausses de prix du moment que l’Etat a versé par ailleurs des aides directes. Mais dans la réalité, un ménage à revenu modeste, quand bien même il recevrait 1.000 DH par mois, accepterait-il de payer sa bombonne de butane de 12 kg à 122 DH ? Pas si sûr. Ceci est encore plus improbable pour la petite bombonne de 3 kg très utilisée dans le monde rural et dont le prix réel devrait être de 31 DH au lieu de 10 DH aujourd’hui. La subvention du gaz butane à elle seule coûte à l’Etat 13 milliards DH par an. Le danger, in fine, serait que les ménages, même en recevant les aides directes, refusent les hausses de prix des produits en estimant que ces aides sont un revenu acquis qui n’a strictement aucun lien avec les prix à la consommation. Ceci est loin d’être une hypothèse farfelue car certaines expériences venant d’autres pays l’ont clairement démontrée. Et même chez nous, au Maroc, les cas d’amalgame dangereux de ce type existent. Celui qui illustre parfaitement la situation est le microcrédit. …./….
…./….Si en 2008 et 2009, les associations distribuant le microcrédit ont été submergées par les impayés, c’est parce que tout simplement leurs clients, en majorité des personnes à revenus faibles et dans le monde rural, ont estimé qu’ils étaient parfaitement en droit de ne pas rembourser en considérant que, vu leur état de pauvreté, il ne s’agissait pas de crédits remboursables mais de dons.
Autre question importante relative, elle, au fuel ONE qui coûte chaque année à l’Etat entre 3,7 et 4 milliards de dirhams Il faut savoir que c’est grâce à cette subvention que les tarifs d’électricité ont été maintenus à des niveaux bas. Si demain, on devait décompenser le fuel ONE, et vu l’état actuel des finances de cet office, cela devrait nécessairement se traduire par une hausse des tarifs d’électricité. Ce n’est pas la hausse en soi qui pose problème mais la manière avec laquelle l’Etat compte l’appliquer. On a vu ce qui s’est passé récemment à Sidi Youssef Ben Ali dans la région de Marrakech à cause des factures d’électricité. Le gouvernement prendra-t-il ce risque ? On parle depuis plusieurs années de réviser la grille tarifaire d’électricité de manière à ce que les ménages aisés ne profitent plus des tranches inférieures fortement subventionnées. Mais le projet est dans le pipe depuis plus de dix ans et il n’est pas près de voir le jour. La hausse des prix du fuel ONE, et par ricochet des tarifs d’électricité, pose également un autre problème : quid des tarifs appliqués aux entreprises ? On sait que le secteur privé, depuis plusieurs années, se plaint déjà des coûts de facteurs de production trop élevés au Maroc, notamment de l’énergie, ce qui grève fortement la compétitivité de nos produits par rapport à leurs concurrents d’autres pays. Comment le gouvernement compte-t-il alors compenser la décompensation de sorte à ce que la production nationale ne soit pas davantage pénalisée ?
Maintenant, contrairement au cas très délicat du butane, il faut dire que pour certains produits comme le super  sans plomb et, dans une moindre mesure le gasoil, l’Etat pourra plus facilement décompenser en rajoutant quelques dirhams aux prix à la pompe. Mais malgré tout cela, des difficultés techniques vont subsister. Car, quand on dit décompenser, cela suppose que les prix devront forcément suivre la tendance des cours du baril. Par conséquent, cela voudra dire que les sociétés de distribution devront mettre en place un système qui leur permette de changer les prix du litre à chaque fois que les cours changent. Comment procéderont-elles ? Comment seront fixés les prix et qui en aura la responsabilité ? Comment l’administration veillera-t-elle au contrôle sur le terrain dans tout le réseau des stations-service à travers le Maroc ?
Et enfin, une dernière problématique et non des moindres. Les aides publiques devraient théoriquement bénéficier à certains ménages et pas d’autres. Qui, alors, décidera de l’éligibilité ou non d’un ménage à l’aide de l’Etat ? Sur la base de quels critères ? Comment seront organisés sur le terrain le recensement et l’identification des bénéficiaires ? Comment recevront-ils aussi leurs aides? Ne risque-t-on pas de dupliquer des schémas dangereux qui pourraient donner lieu à de la corruption à grande échelle ?
Ce ne sont pas là de simples questions d’ordre technique mais de vraies problématiques de fond qui, si elles ne sont pas cernées avec rigueur et précision, constitueront de véritables dangers pour le pays.

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