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Timitar enflamme Agadir

© D.R

Quand le chanteur Lotfi Bouchenak se lança dans la récitation d’un poème sur l’Irak, le public frissonna. Le chanteur tunisien savait que l’éloge de l’arabité, de l’honneur, de la dignité ou du sang versé allait faire mouche. Ce mardi 5 juillet 2005 au théâtre de Verdure d’Agadir, les gens avaient surtout la tête à la fête, mais Lotfi Bouchenak jouait avec eux comme un chat joue avec une souris. La voix est celle d’un virtuose, l’ascendant est celui d’un maître, le répertoire, souvent emprunté, est connu et le cabotinage est celui d’un authentique chanteur arabe. Un peu de nationalisme panarabe, un zeste de démagogie et un talent certain. Souvent il invite le public à chanter à sa place. Une sorte de communion qui rassure le chanteur sur son emprise artistique et qui confirme le public, ravi, dans un statut d’initié. La magie du festival de Timitar opère à fond. Car, en effet, ce jeune festival a la particularité, par son éclectisme volontaire, de mettre à nu les nerfs les plus éprouvés. Sa programmation universelle fait un ravage dans les esprits, les nuits d’Agadir font le reste, c’est-à-dire elles attendrissent délicieusement les cœurs.
Sur trois lieux différents, trois scènes, trois ou quatre artistes par soir des quatre coins du monde livrent leurs secrets. Des dizaines de milliers de Gadiris occupent chaque  soir ces espaces, tranquilles, souvent en famille, déterminés  à profiter de ces moments de bonheur que le festival de leur ville leur offre avec générosité. Place El Amal, la scène maîtresse, en plein cœur de la ville, offre au plus grand nombre un plateau professionnel dans des conditions techniques internationales. Quand Raul Paz, un jeune chanteur Cubain au talent incontestable, enflamme la place, il ne savait plus probablement où il était. Les gens d’Agadir non plus. La rencontre a dû se faire à une hauteur artistique universelle où seule l’émotion compte et où seul le plaisir règne. Les corps bougeaient sans retenue, une masse compacte et chaude. Raul offrait le sien – son corps – à un rythme syncopé que seuls les Cubains peuvent produire quand ils sont heureux.
De l’autre côté de la place, Lotfi Bouchenak continuait à officier au théâtre de Verdure. Il doit, probablement, entre deux chansons syro-andalouses faire un discours sur la Palestine en attendant de se lancer dans un chant qui vante les charmes perdus de Grenade, de ses filles et de sa puissance. Mais à la place Bijaouane, les jeunes présents en masse ne l’entendent pas de cette oreille. Eux, leur truc c’est le rap de préférence marocain. Et cette place est dédiée à la jeunesse. Alors, ils ne boudent pas leur plaisir. Une quinzaine de «d’jeunes»  s’en donnent à cœur joie. Leur public les suit à la trace. «Matkish Bladi» lance le leader, des drapeaux marocains se hissent sur scène et la machine s’emballe.
La «racaille» a une fibre patriotique solide et donne une leçon iconoclaste de marocanité qui laisse assez pantois. «Yo, yo» répondent en chœur désordonné les autres complices du gang. Tout le monde lève la main et c’est reparti pour un hommage à la maman qui comme dit le chanteur nous a portés pendant neuf mois dans son ventre. Cette redécouverte «biologique» a l’air d’agir sérieusement sur la prestation des artistes et sur les réactions en chaîne du public.
La nuit continue à tracer son sillon. Raul Paz, qui a fini son show a rejoint la place Bijaouane. Mêlé au jeune public, il danse encore. Quelques fonctionnaires locaux  pris dans le tourbillon de la fête lancent des « Yo, yo » approximatifs mais réglementaires. Timitar agit de plus en plus sur les esprits. Lotfi Bouchenak, lui, sort le grand jeu. Il attaque avec ferveur le répertoire d’Oum Kalthoum. Le théâtre de plein air chante à l’unisson. Ce sont les filles qui prennent les choses en main. Sur « Sirat El Hob », un groupe de jeunes Sahraouies en habit traditionnel pète les plombs. Une vraie émeute des sens. Deux jours auparavant, elles se sont faites distinguer successivement sur le concert d’Isamël Lô, sur la fusion soussi-catalane et sur une mémorable soirée de Guedra. On ne sait pas ce qu’elles feront en fin de semaine sur les concerts de Faudel et d’Alpha Blondy. Quand «Arouh Limin» arrive, Lotfi fait le fier. Il a emballé tout ce qui est emballable, même son cachet, et s’en réjouit en public. Un comble de raffinement. Il lance, pour la deuxième fois, «Lamouni li gharou mini.» Et le tour est joué.
Vers deux heures du matin, les bus de la ville font leur apparition. Il achemineront les festivaliers d’un soir vers leurs quartiers. Cela se fait tranquillement. Le service d’ordre est irréprochable. Le plaisir de  dizaines de milliers de Gadiris en fête, sortis de leur torpeur par un festival dont ils sont fiers, cela se remarque. Les gens d’Agadir sont sûrs de compter désormais dans la géographie des grands festivals nationaux. Leur ville méritait cela. Et, maintenant, c’est fait avec panache et cœur.     

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