C’est un des grands psychodrames dont Bernard Kouchner, la plus précieuse « prise de guerre» enlevée par Nicolas Sarkozy aux socialistes, devient coutumier. A l’approche de chaque échéance électorale, le sémillant ministre des Affaires étrangères du gouvernement François Fillon se tâte la chevelure et s’interroge à haute voix sur l’identité de la liste qu’il allait soutenir ou de la personnalité pour qui il allait voter. Et comme à chaque fois, tollé général à gauche comme à droite, déclarations indignées, menaces voilées, avant que l’intéressé ne rentre dans le rang et soit contraint à une discipline de groupe politique.
Bernard Kouchner vient de secouer la galaxie UMP en faisant connaître ses hésitations à voter pour la liste Barnier-Dati pour les européennes en Ile-de-France, sous le prétexte fort ironique qu’il n’a pas encore lu les programmes. Ce à quoi, dans une posture qui déborde d’humour noir, Michel Barnier a répondu qu’il a fait porter à Bernard Kouchner «le projet de la majorité présidentielle».
Bernard Kouchner n’est pas à sa première démangeaison qui met à mal l’ouverture voulue par Nicolas Sarkozy. Déjà lors des dernières élections municipales, il s’était fait distinguer en déclarant qu’une victoire du socialiste Bertrand Delanoë à la mairie de Paris «ne lui déplairait pas». Ce qui lui avait valu à l’époque une réponse cinglante de Pierre Lellouche, actuel envoyé spécial de Nicolas Sarkozy au Pakistan et en Afghanistan : «ce qui en déplairait pas, c’est que M. Kouchner s’occupe uniquement de politique étrangère».
Bernard Kouchner a été forcé à clarifier sa position. Après avoir «lu» le programme que lui a envoyé Michel Barnier et trouvé la conception de l’Europe qu’il a toujours défendue, il s’est fendu d’un communiqué qui sent la clarification contrainte en donnant ouvertement son soutien à la liste Barnier : «C’est naturellement celle que je soutiens aujourd’hui et celle que je soutiendrai le 7 juin».En se prononçant aussi clairement pour la liste UMP, Bernard Kouchner croyait avoir clos la polémique qui, en pleine campagne électorale, fait boule de neige.
Les socialistes ont saisi cette occasion pour tenter de marquer des points contre l’UMP et Nicolas Sarkozy. Tandis que Benoit Hamon, le porte-parole du PS, se veut glacial dans son exécution de Bernard Kouchner: «Il est membre du gouvernement, il est ministre des Affaires étrangères, et il ne veut même pas voter pour le programme élaboré par Nicolas Sarkozy et ses amis notamment en Ile-de-France», Harlem Désir, un autre socialiste, s’essaye à la métaphore potache comparant Bernard Kouchner à «un concessionnaire qui hésiterait à vous accompagner dans la voiture qu’il vous vend».
Avant de l’obliger à choisir son camp, la famille UMP a eu deux types de réactions qui en disent long sur la férocité des débats internes sur l’utilité électorale de l’ouverture politique prônée par Nicolas Sarkozy.
D’abord celle de Xavier Bertrand, secrétaire général de l’UMP qui a tenté de retourner le fer contre ses adversaires dans l’opposition: «Pour Bernard Kouchner, qui vient du Parti socialiste, ne pas avoir envie de voter pour le Parti socialiste, c’est un camouflet de plus pour le Parti socialiste. Il n’a jamais été membre de l’UMP». Puis il y a eu la réaction qui résume l’atmosphère générale à droite, celle de l’ancien Premier ministre Alain Juppé : «quand on est membre du gouvernement, il y a un principe fondamental qui est la solidarité gouvernementale».
Deux hypothèses circulent sur le sens politique de la sortie de Bernard Kouchner.
La première voudrait qu’en créant un grand buzz autour de la liste de Michel Barnier, la majorité présidentielle sort cette liste de l’apathie dans laquelle l’absence de charisme de Barnier et la nonchalance affichée de Rachida Dati l’ont plombé. La seconde hypothèse voudrait qu’à l’approche d’un remaniement gouvernemental inévitable, Bernard Kouchner voudrait se payer un coup de visibilité médiatique toujours le bienvenu, qui rajouterait de la valeur à sa présence au sein du casting gouvernemental. Avec au passage l’idée de souligner que le pouvoir de la République n’a pas entaché son indépendance d’esprit.