Faisant campagne pour son projet de réconciliation nationale, le président algérien Abdelaziz Bouteflika devait tôt ou tard se rendre en Kabylie. Un rendez-vous à haut risque pour l’artisan de la «concorde civile», vu que c’est dans cette région où avait éclaté la révolte du «printemps noir» en avril 2001. Un soulèvement ayant fait quelque 125 victimes kabyles tous tombées sous les balles des forces de l’ordre. Prôner la réconciliation à Kabylie s’annonçait d’être une mission difficile voire impossible pour Bouteflika dont le projet continue à faire alimenter la polémique en Algérie. Depuis 2001, cette région est devenue une véritable zone rebelle.
La majorité des Kabyles n’ont pas uniquement perdu la confiance en le pouvoir algérien mais plus encore, ils ne sont pas prêt à oublier le préjudice causé par ce dernier.
Lors de sa visite, la première depuis son avènement en 1999, Bouteflika a tenté de panser la blessure en prenant le risque d’approfondir la plaie.
En effet, les Kabyles sont loin de tolérer son message bourré de mots comme le pardon, la réconciliation ou encore la concorde. Pour eux, pas question de tourner la page sans la lire. Pas étonnant que son discours, prononcé lundi à Tizi Ouzzou, a pu irriter des jeunes à point de les pousser à incendier le drapeau algérien. Cette image reproduite par la presse algérienne reflète la colère ressentie par la population de Kabylie. Selon le quotidien algérien "Liberté", des centaines de citoyens Tizi Ouzou, cantonnés d’abord à l’extérieur du stade du 1er Novembre, ont pu forcer le cordon de sécurité et défoncer le portail pour accéder ensuite à une partie des tribunes. Le journal ajoute que tout le long du discours de Bouteflika, des slogans hostiles au pouvoir central, du genre : pouvoir assassin, Ulac Smah Ulac (non au pardon)…; n’ont cessé d’être scandés à gorge déployée au point d’étouffer les hourras et les applaudissements de l’assistance.
La presse algérienne a relevé aussi les réactions très mitigées à propos du contenu du discours de Bouteflika dans lequel il évoque la question de la langue amazighe. Fidèle à sa maladresse, Bouteflika s’est contenté simplement de dire que personne avant lui n’a osé considérer cette langue comme langue nationale. Il a ajouté que s’il avait recouru au référendum pour son officialisation, le peuple algérien l’aurait rejeté.
Quelques instants après avoir quitté le stade du 1er novembre, il a été signalé que le programme de la visite a été chamboulé.
Craignant des débordements, les services de la présidence ont préféré annuler la visite du président à l’université Mouloud Mammeri, où l’attendaient de pied ferme un grand nombre d’étudiants, et aussi l’inauguration du pont du carrefour du 20 avril (inauguré déjà par le ministre des Travaux publics) à quelques mètres de l’université, rapporte le quotidien algérois El Watan.
La crise kabyle était née des émeutes qui avaient éclaté après la mort, en avril 2001, d’un lycéen dans une gendarmerie de Béni Douala, près de Tizi Ouzou. Leur répression par les gendarmes, devenus indésirables en Kabylie, avait fait 126 morts et des milliers de blessés.
Restées sporadiques, les émeutes éclataient à la moindre occasion sous la férule des aârchs (tribus kabyles), fer de lance de la contestation, revendiquant un programme de développement économique de leur région montagneuse et pauvre et la reconnaissance de tamazight (berbère) comme langue officielle.