Que tous les regards convergent vers Annapolis pour scruter les petites phrases et les grandes postures d’un casting de rêve est déjà en soi un exploit en cette période de vaches maigres pour la diplomatie américaine. Les Israéliens se trouvent face aux Palestiniens pour accoucher, au minimum, d’une entente cordiale sous le regard envieux et protecteur des Saoudiens et des Syriens. Cette image pleine de symboles et d’espoir était impossible à imaginer il y a à peine quelques semaines. Et c’est l’œuvre incontestable de Condoleezza Rice, la secrétaire d’Etat américaine qui considère que ce meeting reflète clairement l’évolution de l’approche américaine d’une participation passive à une diplomatie active. Depuis que George Bush avait lancé cette idée, Rice avait fait de la tenue de cette rencontre un challenge personnel.
Pour Condoleezza Rice, il s’agissait de prendre acte pour l’avenir. Après avoir endossé, malgré elle et en compétition directe avec le vice-président américain Dick Cheney, le rôle de mauvaise conseillère, de mauvais esprit à l’influence néfaste sur la présidence, elle s’est lancée à corps perdu dans une recherche de compromis entre Palestiniens et Israéliens dans le but manifeste de terminer en beauté.
Quand le reproche de vouloir absolument tenir cette conférence juste pour la Photo-Op événementielle si chère aux diplomates et aux communicateurs lui est adressé, Condoleezza Rice adoptait un air sérieux et tranchant : «Ce sera une conférence sérieuse et substantielle qui avancera la cause de l’établissement d’un Etat palestinien. Franchement, nous avons mieux à faire que d’inviter les gens à Annapolis si c’était simplement pour la photo».
De nombreux éditorialistes, sans doute gavés par les échecs répétés de nombreuses rencontres aux sommets et de multiples forums de négociations traitent Annapolis avec méfiance et suspicion. Et s’il s’agissait d’une simple opération de charme destinée à faire reluire le bilan diplomatique catastrophique d’une administration républicaine à bout de souffle ?
Pour bien en marquer l’instant dramatique et solennel, Georges Bush n’hésite pas à cadrer le sens de son «engagement personnel» en faveur de «deux Etats démocratiques, Israël et la Palestine, vivant côte-à-côte dans la paix et la sécurité (…) Israéliens et Palestiniens attendent depuis longtemps que cette vision devienne réalité».
Mais le grand exploit de Condoleezza Rice n’est pas uniquement d’avoir convaincu Palestiniens et Israéliens de se mettre autour de la table des négociations, mais aussi d’avoir permis la participation de deux grands au lourd poids politique et sécuritaire dans la région : l’Arabie Saoudite et la Syrie.
Annapolis constituera la première occasion où un dirigeant saoudien, en l’occurrence le ministre des Affaires étrangères, Saoud Al Fayçal, va s’asseoir publiquement à la table des Israéliens. Le Royaume d’Arabie avait longtemps refusé une telle voie, affirmant dans une célèbre initiative politique lancée au sommet de Beyrouth en 2002, que la normalisation avec Israël avait un prix politique. Le président iranien Ahmadinejad, dont le pays s’oppose fermement à Annapolis, a souligné le danger qu’il y avait pour Riyad de participer à cette rencontre : «Je souhaite que le nom de l’Arabie Saoudite ne fasse pas partie de ceux des pays participants à la conférence d’Annapolis (…) Les pays arabes devraient être vigilants envers les complots et les tromperies de l’ennemi sioniste».
Mais si l’Iran sermonne avec autant de fermeté l’Arabie Saoudite, les observateurs s’interrogent sur les mots que le président Ahmadinejad a utilisés avec son allié le président syrien Bashar El Assad dont le pays «a accepté l’invitation en dépêchant une délégation officielle conduite par le vice-ministre des Affaires étrangères», Fayçal Mekdad, un ancien ambassadeur aux Nations unies. En obtenant cette photo inédite de Mahmoud Abbas et de Ehud Olmert entourés de pays qui, jadis refusaient jusqu’à adresser la parole aux Israéliens, Condoleezza Rice aura sérieusement dégagé la voie vers une normalisation des relations entre Israël et les pays arabes et ce, quels que soient les résultats immédiatement obtenus par la conférence d’Annapolis.