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Document : La face cachée de l’«empire» Khalifa

«Le maintien en vie du groupe ne peut s’expliquer que par un soutien financier extérieur et/ou par des activités autres que celles officiellement mentionnées.», rapporte la DGSE. Depuis plusieurs semaines, Rafik Abdelmoumène Khalifa défie la chronique en France.
En moins de cinq ans, cet homme d’affaires algérien de 36 ans a construit ce qu’il aime à appeler «le premier empire privé d’Algérie». Une success story qu’il jure «partie de rien» et affiche aujourd’hui banque, compagnie aérienne, sponsoring avec son nom sur les maillots de l’OM, virées à Alger avec les Depardieu et Deneuve, et bientôt une chaîne de télévision pour laquelle son groupe distribue déjà des antennes paraboliques en kit dans les quartiers populaires de la capitale algérienne… Les démêlés de son «ami» Gérard Depardieu avec le député vert Noël Mamère sur son ascension fulgurante et l’origine de sa fortune ont toutefois quelque peu écorné l’image de celui qu’Alger présente comme l’icône d’une nouvelle génération d’entrepreneurs qui veulent réussir. Et qui réussissent. Mais qui n’aiment pas répondre aux enquêtes des journalistes et notamment à ceux de Libération. Qui se cache en effet derrière cet «empire» qui, curieusement, perd beaucoup plus d’argent qu’il en gagne ? Pour la rue algérienne, la réponse ne fait pas de doute et entraîne dans les ténèbres du pouvoir militaire : là où se «blanchissent» les milliards de dollars de la rente pétrolière et gazière. Si Rafik Khalifa semble surtout être lié au «clan» du président Abdelaziz Bouteflika, la réalité pourrait être plus proche d’une tentative de redorer le blason d’un régime militaire mis à mal par dix ans de «sale guerre». Quitte à utiliser aussi le groupe pour quelques opérations financières rentables liées aux futures privatisations en Algérie.
Ce serait un groupe «immense, puissant, comme celui de Bill Gates», avec une compagnie d’aviation, une banque, une chaîne de télé, explique à Washington un diplomate algérien. A sa tête, il y aurait «un type formidable, un jeune qui fait rêver, qui prouve qu’en Algérie tout est possible pour qui veut réussir. Un peu comme Bernard Tapie», raconte en France un homme d’affaires d’Oran. Ce serait beau comme le Festival de Cannes, avec des stars partout, des Patrick Bruel, des Gérard Depardieu ou des Claudia Schiffer. Ce serait enthousiasmant comme un Mondial de football, avec le sponsoring de grands clubs, comme l’Olympique de Marseille. Ce serait féerique comme Disneyland, avec une ville, Sidi Abdallah, surgie de la pierre et des broussailles à 130 kilomètres d’Alger et qui deviendrait, d’ici à 2005, la nouvelle capitale. Ce serait «l’icône de l’Algérie nouvelle», ouverte sur le monde. Et comme par magie, dans ce pays à genoux après dix ans de guerre et près de 200 000 morts, où plus rien ne fonctionne pas même le réseau d’eau potable, là où trouver une place d’avion nécessite des relations de ministre, «un jeune entrepreneur de 36 ans, Rafik Abdelmoumène Khalifa, a réussi à créer en moins de dix ans le premier empire privé diversifié du pays», explique son dossier de presse. Rideau.
Maire de Bègles, le député vert Noël Mamère a été le premier à écorner publiquement le conte de fées, le 27 septembre, refusant d’assister «pour des raisons politiques» à un match de l’équipe de rugby de Bègles, dont Khalifa vient de devenir un des sponsors. «Il est l’allié des généraux algériens avec lesquels il a fait sa fortune, l’allié de ce pouvoir algérien qui contribue à la barbarie, qui assassine et torture». Il a demandé une enquête parlementaire sur le groupe Khalifa.
Selon une note confidentielle du gouvernement français, rédigée depuis que le groupe cherche à s’implanter dans l’Hexagone, ce serait surtout le montant des pertes de l’«empire» Khalifa qui serait exceptionnel: 500 millions d’euros par an. Chiffre toutefois «invérifiable», précise le texte. A la DGSE, les services de renseignements extérieurs, même étonnement. «Les financements et passe-droits dont profite Khalifa pour asseoir sa stratégie de croissance, alors même que les avis répétés d’experts du transport aérien lui prédisent une faillite prochaine, laissent perplexes. (…). Le maintien en vie et même la bonne santé apparente du groupe ne peuvent donc s’expliquer que par un soutien financier extérieur et/ou par des activités autres que celles officiellement mentionnées. (…). Le groupe ne compte que sept actionnaires, tous issus de la famille Khalifa. Ces derniers ne disposent cependant pas de la réalité du pouvoir et ne servent que de prête-noms», détaille un document interne.
«Nous sommes arrivés au moment où sonne le douzième coup de minuit, estime un policier des renseignements généraux (RG). Juste avant de savoir si le carrosse va se transformer en citrouille.»

I- Khalifa Airways «La Compagnie des fils et des filles de…»
Dès le départ, le carrosse a pourtant étrange allure. En 1999, un an après sa création en Algérie, Khalifa Airways débarque en France, sollicitant un agrément pour desservir l’aéroport Charles-de-Gaulle auprès du ministère français des Transports. Tous ceux qui approchent le groupe racontent le même choc. «Quand quelqu’un se présente pour une société avec une telle surface, on s’attend à une équipe costaud», raconte ce consultant français à qui Khalifa demande ses services. Rendez-vous dans l’un des restaurants les plus chers de Paris. «Ils sont arrivés à six. Le plus âgé n’avait pas 30 ans. Aucun n’a parlé affaires. La seule chose qui les intéressait, c’était un carnet d’adresses, décrocher des appuis. Une question revenait sans cesse : « Et au ministère de l’Intérieur ou à la présidence, vous avez une touche ? » Ils m’ont raconté avoir payé un intermédiaire 50 000 francs pour un rendez-vous avec Gayssot (le ministre des Transports de l’époque, ndlr). J’étais soufflé par leur méconnaissance totale de l’aérien : quand on démarche pour un agrément, on obtient de toute façon un rendez-vous.»
Plusieurs fournisseurs français se lancent dans l’aventure. Tout fonctionne dans l’urgence, sans facture, sans bon de commande. L’un d’eux relève : «Ces jeunes gens semblent savoir mieux dépenser de l’argent qu’en gagner.» Des hôtesses jusqu’aux directeurs, toutes les grandes familles algériennes ont casé là leur descendance. Du coup, on surnomme Khalifa «la Compagnie des fils et des filles de…». Mais dès qu’il s’agit de se faire payer, plus personne. Au bord de la faillite, un créditeur proteste. «Je vais appeler « Moumène » (le surnom du patron, ndlr)», lui répond un des jeunes gens. Il revient quelques jours plus tard. «Vous me devez 2 000 francs pour le coup de fil.»
Au-delà de ce premier cercle, ceux du second «se reconnaissent au même manteau de cachemire», poursuit un autre. «Des cadres compétents mais le turn-over est vertigineux.» Un chef de service algérien relève: «Dans cette entreprise, aucune hiérarchie n’est possible. Dès qu’on signale un manquement, on est cassé.»
En 1998, à bord d’un jet privé pour Alger, un entrepreneur français se souvient d’avoir remarqué «un jeune type, vêtu de la marque GAP du pantalon à la casquette. Pas mondain, il ne s’exprimait pas facilement». Il lui est présenté : «le président» Rafik Abdelmoumène Khalifa. A l’époque, son passeport, plein de visas des pays du Golfe et du Maroc, le domicilie à Vitrolles (Var).
Quand on arrive à l’aéroport Houari-Boumediene, à Alger, «le plus frappant, ce sont les avions Khalifa « bétonnés », c’est-à-dire rangés au sol. Or un long courrier doit voler de quinze à dix-huit heures par jour pour être amorti. Là, ils en sont très loin», explique un spécialiste. Pour les lignes intérieures et européennes, le coefficient moyen de remplissage est inférieur à 65 %, sous le seuil critique des 70 %. Là encore, l’argent fonctionne comme un étrange alliage.
Parfois, il semble couler à flots. Plusieurs petits avions de courrier domestique viennent ainsi d’être achetés à Eads. Cash, ce qui n’est pas commun. Parfois, il sert juste de paravent. En 2000, Khalifa claironne une commande de 18 Airbus pour 1,6 milliard d’euros. Mais l’avionneur affirme que, depuis la lettre d’intention, «aucune commande ferme n’a été passée».
Un policier français des RG poursuit : «Chaque fois que Khalifa doit fournir des informations sur une de ses sociétés, il montre un contrat de location de bureau, le nom de dix directeurs et des autorisations ou plutôt des demandes d’autorisation. Bref, des dossiers de 3 tonnes mais jamais aucun chiffre. Comme un décor de théâtre.»

II- Khalifa Bank : Une coquille vide… mais très «protégée»
Dans la banque, même fonctionnement. En France, Khalifa Bank n’a pas déposé de demande d’agrément auprès de la Banque de France, se contentant d’ouvrir un «bureau de représentation» à Paris, non soumis à autorisation. Simple structure de liaison, il n’a pas le droit d’exercer une activité bancaire : sa seule obligation est de se déclarer à la tutelle. Ce qui n’a toujours pas été fait. En Algérie, Khalifa Bank revendique 700 000 clients et 74 agences, un record quand la Banque nationale d’Algérie (BNA) n’en compte qu’une centaine. Mais aucun nom d’actionnaire, aucun bilan en cinq ans : «fonctionnement absolument opaque», souligne la DGSE.
«En Algérie, l’inefficacité économique est remarquablement organisée : l’Etat ne contrôle rien, sauf lorsqu’il s’agit de sanctionner ou de couler quelqu’un. Dans ce cas, le fisc et les lois sont utilisés dans un rôle inquisitorial de nuisance, explique un expert. Notre pays est aussi le meilleur des paradis fiscaux, même si les étrangers l’utilisent peu faute de confiance dans le système. On peut déposer 10 millions sans en déclarer la provenance.» Dans ce paysage, Khalifa Bank concède, à la tête du client, des prêts à court terme à des taux exorbitants. Là aussi, «sans les perfusions de la Banque centrale, Khalifa Bank aurait explosé depuis longtemps», poursuit l’économiste, tandis que le rapport de la DGSE avance : «Ce soutien pourrait en expliquer le financement mystérieux.»
En Algérie, la rue ne parle évidemment que de ça. Mais avec 40 % de chômeurs, qui a les moyens d’être regardant ? Une phrase revient sans cesse : «Peu importe d’où vient l’argent, lui au moins n’oublie pas son pays.» Depuis son apparition, le groupe fait figure de loterie nationale. «Quand on le voit arriver, c’est le gros lot. L’espoir fait vivre, non ?», rigole un garagiste. En moyenne, les salaires y sont trois fois plus élevés qu’à Air Algérie ou dans les banques nationales. Le mythe est entretenu avec soin. Quelques opérations ciblées, largement diffusées sur la chaîne publique, le confortent. En juin 2001, l’«empire» offre, «un bus à l’équipe nationale de football, un avion spécial et prospecte à travers son réseau relationnel pour conclure des matchs amicaux», se félicite El-Watan. Dix millions de dinars sont distribués après les inondations de Bab el-Oued, il y a un an. Et pour le prochain ramadan, des restaurants ont été loués pour l’opération «F’tour (repas de rupture du jeûne, ndlr) pour tous».
«Il est amusant de voir comment une société aussi endettée et mystérieuse s’échine à se rendre la plus visible possible, note un banquier algérien. Comme si leur première bataille était celle de l’image et des apparences.» L’affaire de Khalifa TV (KTV) est, à cet égard, significative (lire Une chaîne de télé mise sur orbite à la hussarde).

III- Une famille liée aux militaires «Pour situer le fils, cherchez le père»
En Algérie, Khalifa affiche 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, 200 millions de bénéfices et 12 000 employés. Pourtant, ce fleuron national, «symbole de l’avenir du pays», loue absolument tout, jusqu’à ses bureaux d’Alger. «Comme s’il voulait pouvoir plier boutique du jour au lendemain», note un économiste. Quelle que soit la manière dont on tente d’agencer les pièces du puzzle, il y en a toujours une qui ne colle pas. Et l’éblouissante aventure plonge soudain dans les rouages secrets du pouvoir algérien.
Dans sa version officielle, un mot est sans cesse brandi pour éclairer la saga Khalifa : la chance.
L’hagiographie du jeune homme, publiée l’an dernier (1), raconte ainsi une succession abracadabrante de miracles qui lui auraient permis de décrocher autorisations bancaires ou aéronautiques là où «d’autres n’ont plus d’ongles à force d’essayer d’entrouvrir la porte d’un puissant», selon les termes d’un cadre algérien.
Car la construction de l’empire conduit dans la pénombre des antichambres du pouvoir où l’élite algérienne ne se renouvelle que par cooptation. «Pour situer le fils, cherchez le père.» Celui de Rafik s’appelle Laroussi et on pénètre avec lui dans une dimension qui va bien au-delà de la simple réussite financière. Il va lui léguer quelque chose qui, en Algérie, n’a pas de prix : plus qu’un nom, une appartenance.
Car Laroussi est l’un des organisateurs de ce qui deviendra, après l’indépendance, la Sécurité militaire (SM), la toute-puissante police politique, ce cercle fermé qui constitue toujours la colonne vertébrale du régime. Pendant la guerre, on le retrouve en effet à Tripoli, en Libye, où est basé le Malg (ministère de l’Armement, des Liaisons générales et des Communications), l’ancêtre des «services» algériens. Il y devient directeur de cabinet d’Abdelhafid Boussouf, le «patron» du Malg, l’un des hommes forts des appareils militaires qui vont présider aux destinées de l’Algérie. A Tripoli, Khalifa père dirige aussi l’Ecole des cadres, d’où sortiront les chefs de la SM, surnommés les «Boussouf’s Boys». «La rapide croissance de Khalifa illustre la puissance du réseau constitué par les anciens du Malg», résume la DGSE.
Dans les premières lueurs de l’indépendance, à l’été 1962, alors que militaires et politiques se déchirent, Laroussi garantit son avenir. Il choisit son camp : les militaires, emmenant avec lui les meilleurs des «Boussouf’s Boys». Après avoir négocié le statut des futures concessions pétrolières, il devient ministre de l’Industrie, puis patron d’Air Algérie. Sa carrière se termine par deux ans de prison : tentative de coup d’Etat manqué en 1967. A la tête des putschistes: le colonel Tahar Zbiri, qu’on retrouve aujourd’hui «comme un des protecteurs du groupe Khalifa», note la DGSE.
Quand Laroussi meurt en 1990, on ne lui connaît pas de fortune. Mais il est vrai que la culture du silence voilait, dans l’Algérie «démocratique, populaire et socialiste», tout ce qui touche aux affaires. Que l’argent ne doive pas s’afficher, ne signifie toutefois pas qu’il soit absent. Officiellement, le père ne laisse en tout cas au fils qu’une pharmacie dans un quartier aisé d’Alger, officine qui va prendre une place considérable dans l’histoire officielle de l’«empire».
La fable paraît grosse. D’où vient cet argent, flambé en champagne et jets privés, «distribué» en retentissantes opérations de prestige ou caritatives ? Sans hésiter, la rue répond : «Les généraux», ce petit cercle qui détient la réalité du pouvoir. «Nous sommes un peuple des plus pauvres dans un des pays les plus riches, s’amuse un étudiant. Aussi étrange que cela puisse paraître, on se sent presque soulagé de savoir enfin, avec Khalifa, où passent les dollars.»

IV- Une façade de modernité Une tentative de lifting des circuits de corruption
Mais en Algérie, depuis que le pétrole est pétrole, les circuits ne manquent pas pour blanchir la rente de l’or noir et du gaz. «Les généraux possèdent hôtels et immeubles à Paris – place des Ternes, avenue Marceau. En Suisse. A Monaco», énumère un des meilleurs économistes algériens. «Une gestion dans la pierre, à la paysanne. Ils disent: « Quand j’ai un peu d’argent, j’achète une brasserie. Quand j’en ai plus, j’en achète deux. »» L’idée d’avoir besoin de Khalifa pour recycler la rente fâcherait même les hauts gradés.
Face à cette rumeur insistante, l’un d’eux a récemment explosé : «Depuis le temps, on a l’habitude quand même. On n’a pas attendu un jeune de 36 ans pour ça.»
La sortie de l’économie socialiste dans les années 90 a posé un problème plus inédit. Si les circuits et leur contrôle basculent du public au privé, «comment va-t-on transmettre le pays à nos enfants ?», soupirait un responsable militaire. En Algérie, où tout est importé, depuis les grands hôtels livrés clés en main jusqu’aux oranges, la fin du monopole d’Etat sur le commerce extérieur a fonctionné comme l’esquisse de privatisations. Un premier dispositif a été mis en place avec la loi 78/02 : pour importer, vers l’Algérie, les entreprises étrangères ne peuvent pas faire appel à ce qui est pudiquement appelé «les intermédiaires extérieurs». Autrement dit, non agréés par le régime.
«Cela permet une gestion centralisée de la corruption, chaque secteur, des céréales aux médicaments, se retrouve ainsi sous la coupe d’une ou deux petites sociétés très contrôlées, qui servent d’interface, explique un spécialiste. Qui ne passe pas par ces réseaux voit ses marchandises bloquées en douane.» Même si elle ne fait encore que s’ébaucher, cette libéralisation suppose des circuits plus larges, d’autant qu’Alger réclame à cor et à cri la venue des investisseurs étrangers. «Les partenaires étrangers du régime lui ont donc conseillé de changer au moins de méthodes, de soigner les apparences et de créer une tête de pont plus crédible, plus acceptable à l’extérieur, explique un policier français du «renseignement». On ne peut plus gérer un pays comme une salle de jeu clandestine.»
Cette tentative de lifting s’appelle-t-elle Khalifa ? Derrière la façade clinquante de la modernité, pas un bilan réel n’est disponible pour aucune des sociétés du groupe. Le trou noir. Pas même le nom des actionnaires. «La compagnie est présentée soit comme une société uninominale, propriété de Rafik Khalifa, soit comme une société mixte de sept actionnaires, tous issus de la famille Khalifa (…). Mais ces derniers (…) ne servent que de prête-nom», estime la DGSE. Dans ce contexte, le choix du fils Laroussi est «un coup de génie», affirme un policier français. «Quand l’entreprise a commencé à vouloir s’implanter en France, nous avons demandé des renseignements. Mais pour enquêter sur un Algérien, nous passons par les services là-bas. Or comment récolter du sérieux sur quelqu’un qui est en quelque sorte « de la maison », puisque son père est un ancien du Malg ? En entendant le nom « Khalifa », les types d’Alger sont déjà morts de trouille. Dans ce dossier, nous n’avons même pas eu une fuite.»

V- Les généraux en embuscade Une entreprise de «blanchiment d’image»
Derrière ce théâtre d’ombres émergent pourtant quelques figures et se dessinent des pistes. «Le vrai numéro 2 de la compagnie n’est autre que Abdelghani Bouteflika, frère du Président» et avocat, dét aille la DGSE. Ou Saïd, «un autre de ses frères, affairiste notoire». A la fois «ancien du Malg» et très lié au président Bouteflika, Abdelkhader Koudjiti, richissime homme d’affaires est «associé également au capital du groupe». Considéré comme le parrain du régime, le général Larbi Belkheir est «lié à certains des projets» de l’«empire». Il y a quelques mois, un déjeuner à la présidence algérienne, où se trouvait également Gérard Depardieu, avait placé Rafik Khalifa à côté de Larbi Belkheir. «Il ne bougeait pas une oreille. Face à lui, il avait l’air d’avoir 12 ans», se souvient un des hôtes.
Tous ces noms tracent les contours d’un des clans du pouvoir algérien, même si cela n’exclut pas les réseaux annexes. Par exemple, les vieux amis du père, comme le général Attaïllia, en qui les services français voient «un des militaires les plus corrompus d’Algérie et un des actionnaires réels principaux». Mais, au-delà, «Khalifa est surtout et aussi une arme de guerre pour préparer la deuxième candidature de Bouteflika en 2004», estime un responsable français. L’indéfectible alliance qui soude les généraux pour préserver la pérennité du système n’empêche pas une concurrence féroce. Indice qui indiquerait que Khalifa se trouve au milieu de cette lutte d’influence, les déclarations du général Mohamed Touati, ennemi juré du «clan présidentiel» en dépit de son statut de «conseiller à la présidence». Acceptant pour la première fois une interview télévisée le 24 octobre, il loue, sur TV5, Khalifa, «jeune chef d’entreprise dynamique». Avant de planter une banderille assassine : «Certains craignent que ce succès rapide ne soit pas durable en raison d’aspects qui leur échappent. Ils aimeraient bien être éclairés sur cette question.»
Tout bien compté, il ne s’agit pas seulement d’argent avec Khalifa. «A l’échelle des sommes gigantesques brassées par les hydrocarbures ou les circuits de corruption classique, Khalifa paraît bien médiocre, si ce n’est pour des profits ou du blanchiment à la marge», constate un économiste. Là, l’aventure industrielle tourne au roman noir. «Plus que du blanchiment d’argent, il y a un souci immédiat de blanchiment d’image», poursuit cet économiste. Les accusations d’exactions portées contre l’armée inquiètent sérieusement le régime. Il y a deux ans, le général Nezzar fut contraint d’écourter précipitamment une visite dans la capitale française en raison de plaintes pour «tortures» déposées contre lui. Si celles-ci débouchèrent finalement sur un non-lieu, l’ancien homme fort d’Alger fut à son tour débouté d’une plainte contre un sous-officier, qui témoignait des «massacres» de l’armée, après un effrayant déballage public sur les méthodes des militaires algériens devant un tribunal parisien. «Cette vieille génération qui tient tout, le pouvoir, le pétrole, se retrouve soudain frappée du syndrome Pinochet. Alors, elle se demande : « Mais où va-t-on mourir ? », raconte un juriste algérien. Les vieux réseaux de la guerre de libération et les moyens traditionnels de l’Etat algérien ne suffisent plus à redorer son blason et à mobiliser des soutiens extérieurs. Vous pensez que s’ils invitaient Catherine Deneuve à dîner, elle viendrait ?»
Pour Khalifa, elle est venue. C’était à l’occasion d’un match de l’équipe nationale algérienne contre l’OM, dont l’«empire» est devenu sponsor en juin 2001. Aujourd’hui, les rapports, les rumeurs de plus en plus insistantes, la demande d’une commission d’enquête, ont voilé les sunlights. Une fête qui s’annonçait somptueuse fin octobre à Paris a été annulée. «Et si ça tournait mal ?», s’inquiète un proche du régime lors d’une réunion sur ce dossier à Alger. Un gradé : «En France, il peut faire toutes les bêtises. En Algérie, s’il bouge de travers, il est mort. Après tout, le commerce, c’est privé. Il prend ses risques.».

(1) Histoire d’un envol, biographie écrite par la journaliste canadienne Denyse Beaulieu.
Libération du mercredi 30 octobre 2002 (Enquête de Florence aubenas, jose garçon, renaud lecadre et cedric mathiot)

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