Les Frères musulmans et d’autres mouvements d’opposition ont chargé dimanche l’opposant Mohamed ElBaradei de «négocier» avec le régime du président Hosni Moubarak, alors que les manifestations se poursuivaient au Caire au 6e jour d’une révolte qui ne semble pas faiblir. Devant les violences qui ont fait au moins 125 morts et des milliers de blessés depuis mardi, les Etats-Unis se préparaient à évacuer leurs ressortissants d’Egypte. La secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, tout en assurant qu’il n’était pas question de suspendre l’aide à l’Egypte, principal allié des Etats-Unis dans le monde arabe, a plaidé pour «une transition en bon ordre» et estimé que le processus en était «à peine au début». «Moubarak dégage!», scandaient encore des milliers de manifestants dimanche à la mi-journée à Midan Tahrir, la place de la Libération, dans le centre de la capitale qui vit depuis mardi au rythme d’une contestation jamais vue en 30 ans de pouvoir du président Moubarak. L’armée a bouclé le centre-ville avec des chars d’assaut, et des avions de chasse ont survolé la capitale à basse altitude dans l’après-midi. Et la chaîne satellitaire al-Jazeera, qui fait trembler certains gouvernements arabes par sa couverture des protestations, a été interdite dimanche en Egypte. M. Moubarak a visité dans la matinée le centre opérationnel de l’armée, au lendemain de la nomination d’un vice-président, le premier en 30 ans, Omar Souleimane, et d’un nouveau Premier ministre, Ahmad Chafic. Les Frères musulmans, principale force d’opposition dans le pays, ont cependant rejeté ces deux nominations, dénonçant «une tentative pour contourner les revendications du peuple et pour faire avorter sa révolution». Peu après, la Coalition nationale pour le changement, qui regroupe plusieurs formations d’opposition, dont les Frères musulmans, ont chargé M. ElBaradei, ancien chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), de «négocier avec le pouvoir». La protestation ne se limitait pas au Caire. Ainsi à Mansoura (delta du Nil), 5.000 manifestants ont afflué vers le siège du gouvernorat, réclamant le départ du président sur des pancartes signées des «Jeunes d’Egypte».
Dans la nuit, des émeutes ont éclaté dans plusieurs prisons. Plusieurs milliers de détenus se sont évadés dans la prison de Wadi Natroun, à 100 km au nord du Caire, selon une source au sein des services de sécurité. Des dizaines de corps gisaient sur la chaussée près d’une autre prison de l’est du Caire. Un journaliste de l’AFP a vu 14 corps apportés dans une mosquée proche, mais selon les habitants, il y en aurait «beaucoup d’autres». Le mouvement a en partie paralysé le pays: de nombreux distributeurs de billets étaient vides, les banques et la Bourse, qui a enregistré de fortes baisses mercredi et jeudi avant le congé hebdomadaire, sont restées fermées. Après de nombreux pillages au Caire, soumis tout comme les grandes villes d’Alexandrie et de Suez au couvre-feu 16h00 à 8h00, l’armée semblait plus présente et plus ferme dimanche dans les rues. Et des comités de quartiers remettaient les pillards aux forces armées. Dans le chaos ambiant, deux momies de l’époque pharaonique entreposées au Musée égyptien au Caire, ont été endommagées lors d’une tentative de vol. Cette révolte qui a commencé le 25 janvier, onze jours après la fuite du président de l’ex-président tunisien Zine El Abidine Ben Ali sous la pression de la rue, continuait à susciter l’inquiétude. L’ambassade des Etats-Unis au Caire a annoncé qu’elle se préparait à évacuer ses ressortissants à partir de lundi. La Libye et la Turquie ont prévu des avions pour faire de même. Destination touristique très prisée en cette saison, l’Egypte voyait aussi ses touristes déserter le pays, la plupart des voyagistes ayant choisi d’annuler les départs. En Israël, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a affirmé que son pays voulait préserver la paix avec l’Egypte, seul pays arabe avec la Jordanie à avoir signé un traité de paix avec l’Etat hébreu. Le mouvement islamiste palestinien Hamas, qui contrôle la bande de Gaza, a annoncé la fermeture du terminal de Rafah, à la frontière avec l’Egypte, au motif que les fonctionnaires égyptiens auraient quitté leur poste. Au Soudan, des milliers d’étudiants ont bravé les forces de sécurité pour répondre à un appel à manifester sur le modèle de l’Egypte. Et à Damas, une quarantaine de personnalités de l’opposition ont salué les révoltes populaires en Tunisie et en Egypte, affirmant que le peuple syrien aspirait lui aussi «à la justice et à la liberté».