Alors que la bataille des Roms faisait rage, que la principale garde rapprochée de Nicolas Sarkozy s’excitait pour entretenir le spectacle et les écrans de fumée, un homme est resté étrangement silencieux pendant toute la pause estivale. C’est François Fillon, Premier ministre. On le disait recroquevillé dans une méditation intérieure pour préparer sa reconversion, son départ de Matignon n’étant qu’une question de courtes semaines. Mais voilà, quand l’heure de la rentrée a sonné et que le locataire de Matignon a pris la parole, il a surpris tout le monde avec un autre discours différent de celui, pyromane et guerrier, entonné par une partie de son gouvernement pour traduire dans les faits le virage sécuritaire de Grenoble. L’homme qui parle de la «tradition humaniste de la France», appelle à ne pas «instrumentaliser» l’immigration, à agir «avec fermeté, continuité et justice, sans laxisme ni excès». La posture de François Fillon fut si démarquée de l’ambiance gouvernementale dominante sur le sujet des Roms, que les indices d’un divorce entre les deux têtes de l’exécutif paraissent évidents aux yeux de nombreux observateurs. Ce qui renforce cette impression est que cette positon originale, presque de rupture du Premier ministre, fut exprimée par voie de communiqué dont les mots et les intonations sont froidement pesés. Plusieurs hypothèses tentent de décoder cette sortie presque solitaire du Premier ministre sur une problématique explosive autour de laquelle Nicolas Sarkozy voulait, pour qu’elle soit efficacement vendue aux Français, établir le plus large des consensus. La première est que, sentant que sa parenthèse à Matignon allait bientôt être fermée, François Fillon se serait senti libéré de cette pesante tutelle des hommes de l’Elysée. L’heure est à l’émancipation et à l’expression de la différence. Le tout dans une perspective de prise de rendez-vous avec les échéances à venir. Il ne sera pas dit que François Fillon ait cautionné, pendant son mandat, la politique qui a donné à la France cette image de pays xénophobe, rompant brusquement avec ses traditions et son patrimoine. La petite musique de sagesse, de retenue, de clairvoyance, c’est le Premier ministre qui l’aura jouée quand d’autres se sont laissés envahir par leurs pulsions les plus primaires et les moins politiques. Dans le CV d’un homme qui ne s’apprête pas à prendre sa retraite, cette ligne vaut toutes les distinctions. La seconde raison de cette posture de François Fillon a trait sans doute avec les profonds dégâts que cette politique a causés à l’aura et à l’image de la France. Alors que son modèle d’intégration était cité en exemple, voila que la France est mise à l’index, sous la vindicte internationale. La pression interne et externe a dû être suffisamment forte pour débuter une opération de rétropédalage qui exclurait les voix extrêmes et impulsives pour laisser place à la modération et à la raison. Dans tous les cas de figure, François Fillon tire intelligemment son épingle du jeu. Ce virage sécuritaire devait renforcer Nicolas Sarkozy à droite, affaiblir la gauche et séduire l’extrême droite, le voilà, pris à revers qui renforce le Premier ministre. Son départ de Matignon logiquement programmé pour octobre devient sinon difficile du moins politiquement anachronique.