La polémique était suffisamment forte pour qu’elle prenne une place enviable dans les préoccupations du moment, entre le froid glacial qui enveloppe le bitume français et les grandes manifestations qui courent le pavé parisien pour protester contre les massacres de l’armée israélienne à Gaza : Il s’agit du retour précipité à son activité de ministre de la jeune maman Rachida Dati, cinq courtes journées seulement après avoir accouché par césarienne de Zohra. Une grande prouesse autant physique que politique alors que le congé maternité en France pour un salarié est de seize semaines, six avant la naissance et dix après. Pour bien mesurer l’ampleur du débat qui agite la société française sur le sujet, le plus simple serait de comptabiliser le nombre de forums lancés par les grands médias pour inviter leur audience à se prononcer sur le bon choix de Rachida Dati de se priver d’un congé maternité traditionnel et le nombre d’éditoriaux et de commentaires consacrés à cette question. Le phénomène tourne à l’obsession.
Il faut dire que Rachida Dati a sorti le grand jeu pour épater ses fidèles et en mettre plein la vue à ses détracteurs. Alors qu’on la décrivait frêle maman, alitée parce que supportant difficilement une césarienne, la voici, fraîche et pimpante sur le perron du Conseil des ministres, tout de noir amincissant vêtue, perchée de manière provocatrice sur de fines talons aiguilles comme si elle sortait d’un gala de bienfaisance. Le sourire est toujours aussi resplendissant et la captation des objectifs toujours aussi magnétique. Cela avait suffi pour lancer une des plus vives polémiques du moment. Les plus virulentes furent les associations féministes pour lesquelles la démarche de la garde des Sceaux augure une régression des droits de la femme. Maya Surduts du collectif des droits de la femme ne mâche pas ses mots : «C’est un scandale (…) Les employeurs peuvent s’en servir, faire une pression intolérable sur les femmes». Tandis que pour Florence Montreynaud, présidente de l’association «Les chiennes de garde», l’attitude de Rachida Dati est inexcusable car outre qu’elle divise les femmes en «superwoman» et «mauviettes» rappelle «l’exploit monstrueux des ouvrières des années 20 dont 20% accouchaient dans l’usine». Le gouvernement Sarkozy-Fillon n’était pas mécontent de la tournure que semble prendre ce débat. Et pour cause. Le retour aux allures héroïques de Rachida Dati lui offre un inestimable vecteur de communication sur la disponibilité des ministres et autres grands serviteurs de l’Etat en ces temps de crise où l’inquiétude, l’angoisse et la peur de l’avenir semblent paralyser l’humeur des Français. Le porte-parole du gouvernement Luc Chatel donne dans la récupération à gros sabots : «Rachida a toujours dit qu’être maman c’était le plus grand des bonheurs, mais en même temps qu’elle avait des fonctions importantes qu’elle continuerait à exercer, ce qui est tout à fait légitime». Mais c’est pour Rachida Dati elle-même, sa carrière, son destin et ses ambitions que cette performance de retour précipité devant les caméras a de vrais enjeux. Alors que son étoile palissait au fil des multiples disgrâces de l’Elysée, alors qu’on la disait exclue du premier cercle du pouvoir, plus proche de la sortie que de la promotion, un congé maternité classique aurait signé l’éjection assurée de la garde des Sceaux du casting gouvernemental, surtout à un moment où les démons du changement démangent sérieusement Nicolas Sarkozy. Le retour précoce de Rachida Dati, sa préférence tactique à garder les Sceaux plutôt que Zohra, pour reprendre le trait d’humour du «Canard enchainé» lui offre un bonus inattendu. La voilà qui subitement incarne la mère courage, prête à sacrifier sa vie privée pour servir. On la dit même disponible à tenter une candidature aux élections européennes en Iles-de- France, le même poste et les mêmes responsabilités qu’avait refusé l’autre symbole de la diversité Rama Yade au risque de provoquer l’une des colères les plus noires de Nicolas Sarkozy. Si avec tout cela, le retour d’affection n’est pas assuré, c’est à désespérer de tous les vaudous de la communication.