Il y a actuellement une personnalité politique socialiste qui tire son épingle du jeu avec une subtilité et une finesse qui confinent à l’excellence stratégique, c’est Laurent Fabius, un des éléphants historiques du PS, plus connu jadis sous le sobriquet du plus jeune Premier ministre que François Mitterrand ait donné à la France. Après avoir raté les primaires socialistes qui l’ont opposé à Dominique Strauss-Kahn et à Ségolène Royal, Laurent Fabius était donné pour politiquement mort tant il semblait à lui seul toutes les raisons qui avaient poussé les militants socialistes à plébisciter Ségolène Royal.
Après avoir traversé un désert douloureux, assistant impuissant au spectacle glorifiant de sa rivale, Laurent Fabius traine aujourd’hui sur les plateaux de télévision, avec un bonheur non dissimulé, son sourire de bébé rassasié et sa calvitie distinctive. Il est sans conteste au sein de l’opposition socialiste, celui qui formule contre Nicolas Sarkozy les réquisitoires les plus construits et les critiques les plus pertinentes. Il faut dire que cette posture vient seulement d’atteindre une forme de maturité. Déjà dans l’An I de l’ère Sarkozy, Laurent Fabius a été celui qui avait porté contre le nouveau président les coups les plus coûteux. C’est lui qui dès le début de cette présidence avait opportunément dénoncé la «TVA sociale» mettant Nicolas Sarkozy et François Fillon dans un embarras sans nom. C’est lui aussi qui a développé au cours de ses nombreuses interventions un des plaidoyers les plus durs contre «le paquet fiscal» décrit comme un cadeau de Nicolas Sarkozy fait aux classes aisées.
Aujourd’hui, quand Laurent Fabius dénonce «l’ego présidence», après que la parenthèse «Bling-bling» soit fermée, c’est pour mieux se poser en challenger crédible à Nicolas Sarkozy. Sur tous les sujets d’actualité, il évente une analyse sans concession comme si le but était avant tout d’être l’opposant frontal à la gouvernance de Nicolas Sarkozy. Sur le fameux plan de relance de Nicolas Sarkozy, Laurent Fabius le mouche d’une formule efficace «une maxi-crise et il y a de mini-décisions». Sur la crise de la Guadeloupe, il se permet le luxe de lancer cet appel tout de suite suivi d’un constat : «Il faut que l’Etat revienne rapidement dans le jeu…Le problème, c’est que le gouvernement qui a cafouillé, est tétanisé». Sur le retour programmé par Nicolas Sarkozy au sein du commandement militaire de l’Otan, Laurent Fabius adopte une posture gaulliste et se pose en défenseur de l’indépendance de la France : «Nous sommes alliés des Américains pas vassaux» et en veut à Nicolas Sarkozy qui rêve, suprême dégradation du point de vue de l’opposition, de camper la position de «meilleur élève de la classe atlantiste».
Au fil des jours, Laurent Fabius, l’homme qui avait semblé rater un coche important en se rangeant parmi ceux, extrême droite et extrême gauche, qui avaient voté non au référendum du 29 mai 2005 sur la Constitution européenne, cisèle un nouveau personnage. Il faut dire qu’il profite à fond d’un contexte favorable fait de trois séquences distinctes.
La première est le crêpage de chignons quotidien entre les deux icônes du PS que sont Martine Aubry et Ségolène Royal. Les deux femmes se paralysent mutuellement et y laissent des plumes en terme de crédibilité politique.
La seconde est l’incapacité de l’appareil socialiste à produire des opposants à la hauteur de Nicolas Sarkozy. Benoit Hamon, le nouveau porte-parole pèche par un excès de jeunesse, et le député Arnaud Montebourg par des attitudes sanguines exagérées qui déforment son discours et discrédite ses charges. La troisième séquence qui rend le personnage de Laurent Fabius audible et attractif concerne son concurrent de toujours au sein des rangs socialistes, Dominique Strauss-Kahn, qui à cause d’histoires de harcèlement sexuel au sein du FMI, est en train de perdre tout espoir de retrouver un jour un rôle politique de premier plan en France. Laurent Fabius, l’homme qui a permis à Martine Aubry de prendre le contrôle du PS, nie avoir d’autres ambitions que celle d’exprimer son point de vue. Devant son regain d’activisme au sien de l’Assemblée, les observateurs lui ont prêté l’intention de prendre la place de Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS au Palais Bourbon. Laurent Fabius répond avec une timidité d’adolescent : «Non, je ne suis pas candidat à présidert le groupe, en revanche je suis candidat à m’exprimer dans les grands débats… je suis député, c’est une très belle fonction».