L’Union européenne et la Turquie ont officiellement lancé les négociations d’adhésion à Luxembourg. L’Union a ainsi évité de justesse d’ajouter aux crises constitutionnelle et budgétaire qui la paralysent déjà une nouvelle crise interne entre les Vingt-Cinq et externe avec la Turquie.
Un succès historique qu’Ankara attendait depuis plus de quarante ans. «Nous avons franchi un tournant historique,» a salué le chef de la diplomatie turque Abdullah Gül, en marge de la cérémonie symbolique de lancement des pourparlers dans la nuit de lundi à mardi à Luxembourg.
L’accord arraché in extremis illustre parfaitement la difficulté qu’ont éprouvée les Vingt-Cinq à parvenir à un compromis sur le mandat de négociations avec Ankara. Ce qui témoigne du caractère ultrasensible du dossier et des vives interrogations des opinions publiques et d’une partie des dirigeants européens.
L’Autriche, principale avocate de l’adhésion de Zagreb, a finalement renoncé à son veto sur la Turquie. Sans doute, par la perspective de voir l’UE ouvrir dans la foulée des négociations d’adhésion avec la Croatie. Vienne, confortée par une opinion publique très largement hostile à l’entrée de la Turquie, réclamait que l’UE envisage une "alternative" à l’intégration d’Ankara, par exemple un "partenariat privilégié".
Avec 72 millions d’habitants, à plus de 95% musulmans, la Turquie est un poids lourd et son entrée éventuelle au sein de l’UE, dans une perspective de dix à quinze ans, est un défi géopolitique, économique, financier et institutionnel.
«C’est une situation dans laquelle tout le monde est gagnant et le monde entier en sortira également gagnant (…), une situation qui ajoutera à la diversité de l’Europe,» a déclaré Abdullah Gül.
Pour sa part, Jack Straw, le chef de la diplomatie britannique a salué "un jour véritablement historique pour l’Europe et pour l’ensemble de la communauté internationale". Mais, il a aussi souligné, "ceci est le début d’un processus de négociations et la route sera longue".
Jack Straw a affirmé qu’Ankara avait désormais "une longue route devant elle" d’ici à une entrée effective dans l’UE qui, selon le cadre fixé pour les négociations, n’est pas garantie.
Pour la Turquie, ces négociations couronnent un processus lancé en septembre 1963 avec la signature d’un accord d’association avec la communauté européenne.
Mais il a fallu d’âpres tractations pour que les ministres des Affaires étrangères des Vingt-Cinq surmontent les réticences de l’Autriche, qui souhaitait proposer une alternative à l’intégration pure et simple de la Turquie, et se mettent d’accord sur un mandat de négociations avec Ankara.
Après une nuit et une journée d’un intense ballet diplomatique, qui a vu la secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice intervenir par téléphone, Vienne et Ankara ont accepté in fine un texte qui maintient l’objectif de l’adhésion, fixé par les dirigeants européens en décembre 2004.
Vienne a accepté que la formule de "partenariat privilégié", alternative à une admission pleine et entière soutenue par de nombreux partis conservateurs et chrétiens démocrates d’Europe occidentale, ne figure pas dans le cadre des discussions.
En retour, les Vingt-Cinq réaffirment que l’éventuelle entrée de la Turquie sera conditionnée à la "capacité d’absorption" de l’Union européenne d’un pays qui serait le plus peuplé et absorberait entre 16 et 28 milliards d’euros de fonds européens par an en 2025.