L’invasion du Koweït par les troupes irakiennes de Saddam Hussein, il y a 20 ans, reste une plaie ouverte malgré les efforts des deux voisins de surmonter ce que l’on considère à Bagdad comme la «plus désastreuse erreur» de l’ancien dictateur. L’agression du 2 août 1990 a eu des conséquences jusqu’à nos jours: Elle a entraîné une riposte internationale qui a bouté hors de l’émirat les forces irakiennes et a conduit indirectement 13 ans plus tard à l’invasion de l’Irak par une coalition conduite par les Etats-Unis. Depuis, Bagdad ploie sous le poids des réparations de guerre à son voisin alors que les différends frontaliers demeurent. «C’est l’une des décisions les plus épouvantables qu’il (Saddam) a prise», déclare à l’AFP le ministre irakien des Affaires étrangères Hoshyar Zebari. «L’Irak continue à en souffrir, comme par exemple les sanctions ou les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU. Durant ces sept années, je me suis battu sans cesse pour faire revenir mon pays à l’avant 2 août», dit-il. Depuis la mise en place en 1994 par l’ONU d’un fonds pour les réparations de guerre, l’Irak a déjà versé au Koweït 30,15 milliards de dollars et lui doit encore 22,3 milliards. En effet, 5% sont ponctionnés sur tous les revenus pétroliers et gaziers de l’Irak. En outre, l’Irak est débiteur de 8 milliards de dollars au Koweït et est tenu de verser un milliard de dollars dans le cadre d’un contentieux entre les compagnies aériennes des deux pays. Le pays croule sous les dettes alors qu’il doit remettre sur pied son économie et ses infrastructures ruinées par des années de violences et les sanctions internationales. «Les blessures sont encore très profondes et tant qu’il n’y aura pas en Irak un gouvernement capable d’imposer les orientations de sa politique étrangère à toutes les composantes politiques (…), nos relations seront sujettes à controverse», estime Mme Maasouma al-Moubarak, présidente de la commission des Affaires étrangères du Parlement koweïtien. «Il est très difficile pour nous d’oublier mais nous essayons de tourner la page», dit-elle. Le principal problème en suspens est la délimitation des frontières maritimes et terrestres tracées par l’ONU. Alors que Saddam Hussein avait accepté le tracé entériné en 1993 par la résolution 833, l’actuel gouvernement est réticent à le ratifier car il le considère comme inique. «J’espérais résoudre le problème avant la fin de l’année», assure M. Zebari. «C’était une décision politique et le gouvernement avait le sentiment qu’elle ne serait pas bien reçue par la population avant les élections (du 7 mars). Nous avons décidé de laisser ce dossier au prochain gouvernement». Mais selon un diplomate en poste en Irak qui a requis l’anonymat, Bagdad croit pouvoir user cette carte dans ses négociations avec son voisin. «Le Koweït est radicalement opposé à toute révision du tracé des frontières et la réticence actuelle de l’Irak renforce sa défiance», estime-t-il. Toutefois, les deux pays coopèrent sur la question des disparus et la restitution au Koweït de biens et d’archives qui lui ont été volés. Selon le Comité international de la Croix-Rouge, depuis les années 1990, l’Irak a remis les corps de 215 Koweïtiens et 15 Saoudiens alors que le Koweït a rendu les dépouilles de 85 Irakiens, dont trois en décembre 2009. Le CICR fait état d’un millier de disparus de part et d’autre. L’acceptation par Bagdad du tracé des frontières est cruciale si l’Irak veut voir aboutir sa demande de sortir des sanctions et du chapitre VII de la charte de l’ONU, concernant les pays menaçant la stabilité du monde. Et le dernier mot revient au Conseil de sécurité. «Actuellement, la tendance est effectivement de faire sortir l’Irak du chapitre VII mais pas aux dépends de la sécurité du Koweït», assure ce diplomate.
Prashant Rao (AFP)