Accusé d’avoir ouvert des comptes bancaires au nom de l’Etat sans en signaler l’existence lors de sa passation de service, soupçonné d’atteinte à la sûreté de l’Etat et à la défense nationale, l’ancien Premier ministre sénégalais, Idrissa Seck, est au bord du précipice. «Le fils adoptif de Wade» comme l’appelle certains organes de presse en opposition au fils naturel, Karim Wade, vient d’être exclu du Parti démocratique sénégalais (PDS), actuellement au pouvoir, au grand dam de ses partisans.
Le puissant maire de Thiès, ville peuplée, située à 70 km au Sud de Dakar, devait comparaître hier devant la Commission d’instruction mise en place auprès de la haute Cour de justice, une juridiction d’exception chargée de juger le président de la République et les membres du gouvernement en cas de délit ou de crime dans l’exercice de leurs fonctions. Idrissa Seck sera entendu séparément en compagnie de Salif Bâ qui, jusqu’à mardi, était ministre du Patrimoine bâti, de l’Habitat et de la Construction.
Ces deux personnalités fortes du gouvernement de l’Alternance sont impliquées dans des irrégularités entourant les chantiers entrepris à Thiès en 2004 pour la cérémonie officielle de la fête de l’indépendance. Mais déjà, le collectif assurant la défense de Seck a laissé entendre qu’il pourrait exiger la comparution du président de la République à titre de témoin. De son côté, l’Union de la magistrature sénégalaise s’est fendue d’un long communiqué contre toute tentative «de subordination»de la justice.
L’affaire fait la une des journaux du pays. Les Sénégalais voient derrière le battage médiatique fait autour du procès, le début des grandes manœuvres pour les législatives de 2006, voie obligée vers les présidentielles de 2007. Idrissa Seck serait-il l’obstacle redouté à la reconduction du président Wade à la tête du pays ? Les relations entre les deux hommes jadis exemplaires, le deuxième aurait financé les études du second, sont tendues à l’image des affrontements physiques entre leurs partisans. Dans ce combat acharné, tout y passe. Des membres influents du PDS ont essayé d’éplucher le curriculum vitae de Idrissa Seck. L’Université américaine de Princeton, qui compte dans ses lauréats une certaine Condolezza Rice, aurait reçu plusieurs sollicitations des proches de Wade. Une note qui circule actuellement à Dakar mentionne que l’ancien dauphin de Wade n’est pas diplômé de Princeton, mais aurait, en tant qu’étudiant visiteur, fréquenté l’institution entre septembre 1989 et septembre 1990. De son côté, Idrissa Seck ne se contente pas de rester sur la défensive.
En homme versé dans la théologie, il s’est fendu d’un long pamphlet, il y a deux semaines, à travers les ondes d’une radio locale. Le texte qui fait référence largement à la vie du Prophète Mohammed, Messager de Dieu, circule à Dakar sous forme de CD. En résumé, c’est un plaidoyer de l’ancien Premier ministre, et ancien numéro deux du PDS qui revient sur ses rapports avec l’homme fort du Sénégal. Et-ce l’inspiration religieuse qui a poussé quelques cercles en orbite autour du Khalife général des Mourides, à faire du lobbing pour réconcilier les anciens alliés.
En tout cas, l’affaire des chantiers de Thiès fait les jeux de l’opposition. Requinqué, le Parti socialiste, battu aux élections de 2000 par Wade, prépare minutieusement les législatives de 2006 à la tête d’une coalition de dix partis d’opposition. Un pacte bien fragile aux yeux des observateurs qui notent que le G-10 aurait fait des pieds et des mains pour une alliance stratégique avec Idrissa Seck. Des manœuvres qui n’inquiètent guère le camp Wade, qui compte toujours sur une popularité, somme toute, intacte du père de l’Alternance sénégalaise. Toujours adepte des bains de foule, le président Wade et son Premier ministre actuel ont profité d’un méga-meeting des ressortissants du Nord du Sénégal, tenu ces derniers jours à Dakar, pour faire une démonstration de force. Sous les cinq ans de l’Alternance, Dakar est devenue un véritable chantier. Constat que le président sénégalais, attendu ce 17 août au Palais Jamai de Fès (il prononcera un discours à l’Université Al Akhwayn d’Ifrane), confirmera sans peine en sa qualité de premier avocat de l’Alternance.