ALM : des déclarations, comme celles d’Abdelilah Benkirane à propos de Mohamed Achâari, faussent parfois le jeu. N’est-il pas temps de vous éloigner de ce genre de sorties ?
Lahcen Daoudi : C’est vrai que si on prend ces déclarations de manière isolée, on peut les interpréter d’une certaine façon. Mais si on les lie au contexte, à l’action de ce ministre pour ce qui est du livre islamique, on ne retrouvera que la réaction des gens qui disent, assez souvent : «Trop c’est trop !». Abdelilah Benkirane est contacté par beaucoup de monde et il se fait l’écho des gens qui contestent les pratiques de M. Achâari. Il ne faut pas oublier qu’Abdelilah Benkirane est député et qu’il y a une certaine sensibilité dans la société marocaine qu’il faut bien que quelqu’un exprime, sinon Benkirane ne remplirait pas bien ses engagements. Mon souhait est que la raison doit être le chemin et la ligne directrice pour tout le monde que toutes les sensibilités doivent se retrouver dans une foire du livre car, en fin de compte, c’est le marché qui sanctionne. Le temps de l’interventionnisme et de la censure est dépassé. Il faut une compétition par la qualité. J’espère qu’on va dépasser cette situation dans l’avenir et que la compétition soit au niveau des programmes et des solutions que chacun peut apporter aux problèmes que vit notre pays.
Vous venez de nouveau, à Fès, de déclarer la guerre à l’USFP et au Parti de l’IstiqlalI. Est-ce que cela augure de nouvelles tensions entre vos partis ?
Pour moi, il s’agit d’un événement à caractère local parce que tous les dirigeants des partis que nous avons contactés ont condamné ce genre de pratiques. L’incident est clos au niveau national, mais il aura des prolongements au niveau local. Des actes comme cela (une tentative, selon le PJD, d’agression contre Abdelilah Benkirane, NDLR) ne peuvent pas rester impunis. On cherchera d’abord à savoir qui est derrière cet incident et qui en tirait les ficelles. De toutes les manières, on aimerait que ce soit un acte isolé et un dérapage.
Est-ce que l’Islam sera au cœur de votre programme électoral pour 2007 ?
L’Islam n’a jamais été une dominante dans notre programme. Il s’agit, en tout, de quelques petites pages qui y sont consacrées, sur un total de plusieurs centaines de pages. Nous sommes très conscients que les Marocains nous attendent au tournant. Nous serons jugés au cas où nous assumerions une quelconque responsabilité au niveau des solutions socioéconomiques que nous serions capables d’apporter et non pas sur la hauteur des minarets. Il faut savoir qu’au PJD, un imam par exemple n’a pas le droit à la carte d’adhérent et n’a pas non plus le droit de se présenter aux élections au nom du parti. La mosquée est un espace collectif d’exercice du culte et elle doit le rester. Cela est valable pour toutes nos bases et c’est pour cela que nous sommes restés un petit groupe pour bien maîtriser nos troupes. Le secrétariat général de notre parti filtre d’ailleurs toutes les candidatures. Que nos adversaires se rassurent et se calment un peu ! Cela dit, aucun Marocain ne peut nier son islamité, mais aucun membre du PJD ne dit aux gens : si vous ne votez pas PJD, vous irez en enfer !.
Vous parlez des musulmans. Et si un Marocain de confession juive veut-t-il intégrer votre parti ?
Il sera le bienvenu s’il adhère aux principes du parti. On ne demande pas de carte confessionnelle aux Marocains. Il faut juste se conformer aux standards. Pour le moment, aucun Marocain de confession non musulmane ne s’est présenté au PJD alors qu’en 2002, nous avons pu le vérifier, des juifs marocains ont voté pour notre parti. Pour nous, ce sont des citoyens marocains à part entière et ils doivent jouir de tous les droits. Cela fait d’ailleurs 15 siècles que l’Islam et le judaïsme vivent en symbiose et ce n’est pas aujourd’hui qu’on va remettre cela en cause. Maïmounide était professeur à la célèbre université Qaraouiyine, puis médecin personnel de Saladin en Egypte. De toutes les manières, nous ne sommes pas un parti religieux.
Il semble qu’une participation au gouvernement vous poserait problème. Qu’en est-il exactement ?
On a toujours posé des problèmes à ceux qui ont peur de perdre leurs places, mais la société marocaine qui vote PJD est très contente que ce parti soit là. Tant pis pour les gens qui risquent de perdre leurs places ! Il faut qu’ils soient démocrates, qu’ils acceptent de jouer le jeu et qu’ils renoncent à la logique: «J’y suis, j’y reste». Il faut qu’ils se rendent compte que les sièges deviennent éjectables quand les résultats de la gestion de la chose publique sont défaillants comme c’est le cas pour l’actuel gouvernement. Ce dernier n’existe pas en tant que majorité. On l’a vu à travers l’élaboration du code électoral où la logique du «chacun pour soi» a dominé. Pire encore, à plusieurs reprises, on a reporté le vote relatif au projet de loi sur l’urbanisme, ou la célèbre loi 04-04, présentée par Toufik Hejira et qui est catégoriquement rejetée par une bonne partie de la majorité. Allez savoir pour quelles raisons !
Dans le cas d’une participation de votre parti au prochain gouvernement, quels seraient les portefeuilles ministériels que vous vous jugez plus aptes à en assumer la responsabilité ?
Le problème n’est pas celui de départements, mais de la bonne gouvernance et d’homogénéité du gouvernement. Il y a d’abord l’horizontale, ce qui est commun à tout le gouvernement – un programme mobilisateur, la volonté de lutter contre la corruption dans toutes ses formes – puis vient la gestion de tel ou tel autre département où le technique l’emporte sur le politique. Le problème est donc plus global. Quand la médiocrité plane à l’horizontale, elle finit par s’imposer au niveau vertical, soit au niveau des départements. Et puis, il faut qu’on puisse déboucher sur un gouvernement plus cohérent que ce que l’on a actuellement. Que les Marocains sachent, une fois pour toutes, les ministères qui existent. Je suis sûr qu’il y a même des ministres qui ne connaissent pas tous les départements existants. On supprime et on crée à tout-va, alors que les organigrammes ne sont jamais prêts à temps comme s’il fallait faire plaisir aux partis politiques et non aux Marocains. Mais, en ce qui nous concerne, nous sommes prêts à gouverner.
Disposez-vous des compétences nécessaires pour une telle expérience ?
Nous avons les compétences nécessaires si l’on procède par comparaison avec les autres partis. L’idéal n’existe pas malheureusement. Toutefois, nous avons ce plus que nous garantissons : l’intégrité comme on l’avait garanti lors du scrutin du 8 septembre 2006 pour le renouvellement du tiers des sièges de la Chambre des conseillers.
La majorité des grands partis affirme qu’elle n’a aucune intention de s’allier avec le vôtre. Allez-vous vous contenter des Forces Citoyennes et, éventuellement, de l’Alliance des libertés ?
On ne va pas faire comme cette vieille fille – avec tout mes respects pour les vieilles filles– qui, chaque fois qu’on tape à la porte, pense qu’on vient demander sa main. On ne forcera la main à personne. Nous faisons confiance aux urnes et à la sagesse des Marocains. Le PJD symbolise le changement et je suis sûr que beaucoup prendront le train le moment venu. La tendance du changement, on semble l’oublier, est irréversible. Les Marocains ne veulent plus regarder dans le rétroviseur, mais veulent regarder de l’avant.
Vous avez également protesté contre le découpage électoral proposé par le ministère de l’Intérieur. Un tel découpage va-t-il contre vos plans pour les élections ?
Cela rappelle le célèbre découpage de la fin des années 1950 en France. Ce gouvernement ne travaille qu’avec le rétroviseur et ne veut pas aller de l’avant. Ce bricolage n’empêchera pas sa sanction par les Marocains. C’est peut-être pour ce gouvernement le dernier recours. Il essaie de se rattrapper, mais c’est peine perdue. Pour vous donner un exemple concret, à Al Fahs-Anjra, on a réservé un siège pour 48.000 habitants, alors qu’on retrouve, à l’intérieur de Tanger un siège pour 190.000 âmes. Apparemment, ce gouvernement ne sait pas compter. Il va falloir lui trouver une calculette qui soit fiable en plus !
Est-il vrai qu’une bonne partie de votre électorat se recrute également au sein des troupes d’Al Adl Wal Ihssane ?
Les gens d’Al Adl Wal Ihssane appellent au boycott des élections et ne s’inscrivent pas sur les listes électorales. Que nos adversaires politiques soient rassurés de ce côté-là également et qu’ils s’agitent moins ! Le PJD, assez grand et majeur, saura se débrouiller tout seul. En plus, on est un parti politique et non pas une association.
Qu’en est-il alors pour vos liens avec le Mouvement Unicité et Réforme ?
On a beau dire que les décisions du PJD sont totalement indépendantes du MUR, mais on peine à nous croire. La vérité est que chacune des structures travaille indépendamment de l’autre. On ne peut pas obliger les gens à le croire, mais c’est la réalité. Nos adversaires cherchent toujours quelque chose à nous reprocher : la Salafiya Jihadiya par-ci, les trafiquants de drogue par-là et j’en passe…
Le PJD est dans l’oeil du cyclone de tous ses adversaires politiques, loin de toute éthique. C’est dommage pour notre pays, car c’est notre image à tous qui est en cause. Est-il besoin de consigner cela également dans les accords de libre-échange avec l’Europe comme cela avait été le cas pour les droits de l’Homme et les libertés ?
Mon souhait est que tous les partis, tous les Marocains soient contre ceux que j’appelle les «escobars», contre la corruption et pour la démocratie.
Bio-express
Lahcen Daoudi est un vieux routier du PJD dont il est d’ailleurs présenté comme l’une des Eminences grises. Né à Béni Mellal en janvier 1947, Lahcen Daoudi est professeur d’économie. Actuellement, il est troisième vice-président de la Chambre des représentants. Après une expérience, sans lendemain, avec la création d’un parti en 1993, il est l’un des principaux architectes de ce qui allait devenir le PJD. C’est lui d’ailleurs qui assume les fonctions de directeur du PJD entre 1996 et 1998 sous la présidence du docteur Khatib. Actuellement, M. Daoudi est secrétaire général-adjoint du PJD, poste qu’il occupe depuis le dernier congrès de ce parti. Marié, il est père de deux enfants, une fille et un garçon.