Société

À 12 ans, elle vole pour se marier

C’est en 1990 que Fatna est née à Haha, dans la province d’Essaouira. Aucune précision sur le mois et le jour. À la campagne, les gens n’enregistrent pas encore leurs enfants à temps dans le livret d’état civil. Ils le font uniquement quand ils y sont obligés par l’administration, par exemple lorsqu’ils veulent inscrire leurs enfants à l’école. Cependant Fatna n’a jamais mis les pieds à l’école. Elle est restée analphabète, en train de courir les champs.
-« Je connais une famille qui habite à Mohammedia et qui m’a demandé de leur chercher une fille d’une famille sérieuse pour travailler chez elle et j’ai pensé à Fatna », dit une femme du douar à la mère de Fatna. -« Mais elle n’a que huit ans », répond la mère.
« Et que va-t-elle rester à faire chez toi ? Elle est en âge de se débrouiller pour vous aider, regarde la fille de (…) et la fille de (…), elles aident leurs familles. Pourquoi pas ta fille ? En plus, la famille qui l’adopte est généreuse…Que dis-tu ? »
-« Je dois aviser son père d’abord».
Le père pense aux 500 dirhams qui viendront garnir son portefeuille et accepte. Fatna accompagne la femme à Mohammedia, rejoint la famille qui occupe un appartement à la rue Al Assil, commence à apprendre tout ce qui intéresse les travaux domestiques ; les courses, la vaisselle, le linge…etc. Elle devient pratiquement un des membres de la famille, mais elle n’oublie jamais qu’elle est bonne à tout faire.
Mi-novembre 2001. L’employeur de Fatna se rend à Casablanca, avenue Hassan II, pour passer le ramadan chez ses parents.
Fatna est toujours la bonne, soit chez ses employeurs soit chez leurs parents. Là aussi, elle fait la vaisselle, lave le linge, sort pour faire les courses quotidiennes.
Elle connaît les environs de l’avenue Hassan II, car ce n’est pas la première fois qu’elle y passe le mois sacré.
C’est sa quatrième année. Mais c’est la première fois qu’elle rencontre ce jeune qui la drague de temps à autre à la rue Lieutenant Berger, donnant sur l’avenue Hassan II.
Larbi, dix-neuf ans, vient d’arriver de son douar natal des environs de Tiznit. Il rejoint son père qui occupe une chambre à derb T’your dans l’ Ancienne Médina, commence à l’aider dans le gardiennage de voitures à la rue Berger.
-«Vraiment, tu me plais, laisse-moi te parler…»
Le coeur de Fatna est plein de joie. C’est la première fois qu’elle intéresse quelqu’un. Elle sourit, se tourne vers vers Larbi, s’arrête. «Que veux-tu ?»
«Rien ma belle, tu me plais… Vraiment tu me plais avec ta beauté et ton charmant sourire…et je veux établir une relation avec toi…»
Fatna écoute, se tait et sourit avant de retourner chez elle.
Le lendemain, comme si était déjà tombée dans les filets de Larbi, elle passe par la même rue. Elle le rencontre.
«Une petite seconde ma gazelle…» Fatna s’arrêtenet : «qu’est ce que tu veux au juste ?» Elle se comporte comme une adulte.
«Je t’aime…oui je t’aime… mon coeur bat lorsque je te vois passer devant moi et j’ai commencé à penser à toi depuis que je t’ai vue pour la première fois… ».
C’est la première fois qu’elle entend ces expressions mielleuses, son coeur bat la chamade. Et bientôt, elle commence à rêver de Larbi, se rend chez lui au parking de temps à autre.
«Je t’aime Larbi…».
Larbi s’assure qu’elle est piégée, lui demande d’entrer de temps à autre dans une voiture, lui touche les seins, les cuisses, l’embrasse, lui apprend les abc de l’amour.
« Je veux me marier avec toi, Fatna, mais j’ai besoin d’argent », lui dit-il un jour.
«Moi aussi je t’aime et je ne pense même pas à m’éloigner de toi»
«Si tu veux rester avec moi toute ta vie et te procurer l’argent pour financer notre nuit de noces, il faut que tu voles les bijoux de ton employeuse pour les revendre…».
Comme si elle était prête, Fatna ne perd pas de temps. Elle sait où son employeuse met ses bijoux. Elle subtilise trois bagues et deux chaînes en or et les remet à son amoureux.
Larbi empoche les bijoux.
Le lendemain, vers 18h, il se rend près du complexe commercial Ben Omar au quartier Maârif, rencontre un homme qu’il ne connaît pas, lui vend les bijoux contre 2.000 dirhams.
Larbi s’adresse le surlendemain à une auto-école paie, commence à apprendre les leçons de conduite, passe l’examen et réussit.
Les jours passent sans que l’employeuse se rende compte de la disparition de ses bijoux.
C’est en février 2001 qu’Aïcha découvre leur disparition. Elle appelle Fatna, l’interroge. Innocente, celle-ci avoue.
L’employeuse dépose plainte. Le 21 février Larbi est arrêté, déféré devant la Chambre Correctionnelle près le tribunal de première instance de Casablanca-Anfa pour vol.
Mardi dernier, Larbi a été condamné à trois mois de prison ferme. Quant à Fatna, elle est une mineure détournée, que la loi protège. Mais il reste à savoir si elle restera chez son employeuse où si elle retournera dans sa famille à Haha. Pour l’instant, elle est encore chez Aîcha, son employeuse.

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