Nous sommes à la veille de la publication du rapport de l’Instance Equité et Réconciliation (IER). Tout le monde s’impatiente pour prendre connaissance des faits qui seront révélés par cette instance, aussi bien en ce qui concerne la réparation des injustices, les dédommagements et la réhabilitation de la mémoire nationale. Les familles des victimes de disparitions forcées vivent particulièrement mal ces ultimes moments d’attente. En fait, cette dernière ligne droite est vécue sous le signe d’une tension accrue chez ces familles.
Chez la famille Manouzi, l’attente dure depuis plus de trente ans, depuis 1972 plus exactement, date à laquelle Houcine Manouzi est enlevé. Depuis, « à chaque fois que quelqu’un frappe à la porte de notre maison, nous croyons que c’est lui qui est de retour», nous confient, d’une voix émue, les parents du disparu.
Le père de Houcine a 92 ans, sa mère en a 83, et ils résistent toujours. Pour eux comme pour le reste de la famille Manouzi, ces derniers jours, la tension est montée de plusieurs crans. «C’est une torture psychologique continue», révèlent-ils.
Ce n’est pas uniquement l’approche de la date de publication du rapport qui est à l’origine de cette situation. En fait, il existe une autre raison en cause. L’Instance Equité et Réconciliation a, en effet, décidé d’informer les familles des disparus du sort de leurs membres par courrier. «Sincèrement, ce fut un choc pour nous. Nous nous attendions en fait à ce que les procédures soient plus humaines».
Le frère de Houcine, Abdelkrim Manouzi, est plus que surpris de cette décision. «Cela pourrait être tolérable s’il s’agissait d’envoyer par courrier les informations concernant les dédommagements. Mais c’est tout à fait inadmissible dans le cas précis du sort des disparus. C’est en fait très difficile à accepter».
Les Manouzi espéraient sincèrement, comme ils en avaient convenu auparavant avec l’IER, qu’il y aurait une rencontre directe avec l’instance : «l’IER promettait de rencontrer chacune des familles des disparus à part et de lui dévoiler toutes les informations et les résultats des investigations.
Et c’est aux familles à ce moment-là de décider si elles veulent ou non rendre ces informations publiques». Il n’en est pourtant rien et les Manouzi vivent actuellement cette attente comme «une torture psychologique continue. Une torture particulièrement aiguë pour les parents», avoue Abdelkrim Manouzi.
«D’autant plus que jusqu’à la fin du mandat de l’instance, nous sommes convaincus que l’IER n’a pas pu élucider toute l’affaire de Houcine». Espoir et désespoir se mêlent alors chez les membres de la famille Manouzi. Une chose reste pourtant sûre : «Si jamais l’affaire des disparitions forcées n’est pas résolue, je pense qu’on aura l’impression de retourner au point de départ.
La réconciliation deviendrait incertaine et la souffrance des familles continuera».
Les Manouzi assurent qu’ils sont prêts pour la réconciliation et pour tourner cette page de l’histoire, mais dans le cadre d’une vérité complète et d’un règlement équitable et définitif.