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Allogreffe de moelle osseuse pédiatrique : Une première unité lancée au Maroc

© D.R

Entretien avec le Pr Jihane Toughza, spécialiste en hématologie oncologie pédiatrique

Jihane Toughza est spécialisée en allogreffe de moelle osseuse pédiatrique et en hématologie oncologie pédiatrique adolescents et jeunes adultes. Elle a décroché son doctorat à la Faculté de médecine de Poitiers en France. Elle s’est spécialisée en pédiatrie puis en hématologie oncologie puis allogreffe de moelle osseuse à la Faculté de médecine de Lyon, et de Paris. Elle est également titulaire d’un diplôme de cancérologie clinique et de celui de douleurs aiguës, chroniques et soins palliatifs de la Faculté de Lyon. Elle détient un master en biologie moléculaire et cellulaire et un master en bioéthique. La praticienne a exercé en tant que médecin résident en oncologie hématologie pédiatrique et allogreffe de moelle osseuse au CHU de Bordeaux puis en tant que médecin chef de clinique-assistante spécialiste au Centre Léon Bérard- L’IHOPe à Lyon (Institut de greffe et d’hématologie oncologie pédiatrique et jeunes adultes). En 2016, elle devient médecin-professeur référente en oncologie hématologie pédiatrique et médecin professeur coordinatrice médicale de l’allogreffe pédiatrique en 2019 à l’hôpital universitaire international Cheikh Khalifa de Casablanca. Aujourd’hui, la première unité d’allogreffe de moelle osseuse pédiatrique est lancée dans son service.

ALM : Pourriez-vous, Professeur, nous éclairer, déjà, sur ce qu’est une allogreffe ?

Pr Jihane Toughza : Elle consiste à greffer des cellules souches hématopoïétiques saines à des patients dont la moelle osseuse a été détruite ou endommagée, ou lorsque celle-ci ne fonctionne plus correctement. L’objectif d’une allogreffe de moelle osseuse est de greffer un système immunitaire. En effet, l’allogreffe de moelle osseuse est un traitement qui peut être proposé à des patients souffrant de certains cancers ou autres maladies hématologiques. Elle représente aujourd’hui une modalité thérapeutique importante pour le traitement des leucémies, des lymphomes, des myélomes et d’autres maladies hématologiques graves.

Quelles sont les indications pour cette technique?

Les indications reconnues sont variées et concernent à la fois des pathologies tumorales et non tumorales. Les indications les plus fréquentes sont : les leucémies aiguës myéloïdes et lymphoïdes, les syndromes myélodysplasiques et myéloprolifératifs, les lymphomes non hodgkiniens, les aplasies médullaires, les déficits immunitaires sévères, comme le SCID (Severe Combined Immuno deficiency) ou d’autres déficits immunitaires génétiques, les hémoglobinopathies, comme la drépanocytose et la thalassémie majeure, et enfin certaines enzymopathies, où l’organe hématopoïétique est utilisé dans ce cas comme producteur et diffuseur de l’enzyme manquante, comme par exemple dans la maladie de Hurler, dans l’adrénoleucodystrophie (ALD), ou encore dans la maladie de Krabbe.

Quelles sont les étapes qui permettent son aboutissement ?

Lorsque le patient nécessite une allogreffe de moelle osseuse, celui-ci est présentée par son médecin traitant lors de la réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) de greffe à l’hôpital international universitaire Cheikh Khalifa. Celle-ci est tenue de façon régulière en étroite collaboration avec nos confrères hématologues, greffeurs pédiatres lyonnais, et permet de statuer selon les pathologies sur les indications de greffe, le type de greffe, le type de greffon, les conditionnements selon les recommandations en vigueur, et les préventions de GvH. L’étape suivante consiste en la sélection du donneur compatible. On estime que nous avons 25 à 30% de chances d’avoir un donneur compatible dans la fratrie. Dans certains cas, une moindre compatibilité peut être acceptée. Il s’agit alors de greffes «mismatch» où existe une différence entre donneur et receveur portant sur un ou plusieurs antigènes HLA. Vient ensuite le choix de l’origine du greffon.
Lorsque le donneur compatible est identifié ainsi que l’origine du greffon selon les pathologies, le patient est hospitalisé pour bénéficier du conditionnement.
En pratique, le conditionnement induit une aplasie médullaire thérapeutique qui s’accompagne d’anémie, d’un risque hémorragique et infectieux. De ce fait, le patient est hospitalisé dans l’unité de greffe qui est un secteur stérile, 15 jours avant la date de celle-ci.
Des précautions particulières vis-à-vis des risques infectieux sont prises : chambre stérile, décontamination digestive prophylaxies médicamenteuse et alimentation stérile.
Le jour J est le jour de la greffe, proprement dite, qui est une transfusion des cellules souches du greffon. Les cellules réinjectées vont alors se loger dans la moelle osseuse et produire au bout de 10 à 20 jours les nouvelles cellules du sang.
Le patient reste hospitalisé en chambre stérile dans l’unité de greffe, au minimum six semaines. Elle est plus longue encore s’il y a des retards à la pousse de greffe, ou des complications. Il s’agit d’une période de soins intensifs où sont traitées les différentes complications toxiques induites par le conditionnement, infectieuses et immunologiques liées à la réactivité du greffon contre l’hôte (GVH).
En effet, initialement, en raison de la chimiothérapie à fortes doses, le nombre des cellules du sang sont très basses. Comme les cellules injectées ne sont pas encore en état de faire remonter les cellules du sang périphérique, le patient est placé dans un environnement stérile cherchant à le protéger des infections et il sera transfusé. Pendant une période d’un mois au minimum, la moelle transplantée se développe. On voit alors réapparaître les globules rouges, les globules blancs et les plaquettes, fabriqués par la nouvelle moelle. Ensuite, le patient sera suivi en hôpital de jour, en moyenne 3 mois puis en consultation plusieurs années.
Il faudra refaire les vaccinations, car la mémoire des vaccins est perdue, et que les taux d’anticorps sont bas et protègent mal… De fait, le patient redevient un peu comme un nouveau-né, et même un peu plus fragile !

Comment est organisée la nouvelle unité d’allogreffe pédiatrique au sein de l’hôpital Cheikh Khalifa?

L’hospitalisation en unité de greffe pédiatrique résulte d’une décision médicale. Cette unité abrite un secteur dit «protégé», dotée de chambres avec flux laminaire, permettant une filtration permanente d’air conditionné, en surpression, afin d’éliminer tous risques de contamination par l’air. L’eau est également sur le plan bactériologique maîtrisée avec la mise en place de filtres à chaque point d’eau. Ces chambres sont individuelles avec chacune une salle de bain et des WC. Chaque chambre est équipée d’un lit électrique avec un scope, d’un canapé, d’un chariot de soin et d’une télévision. La priorité durant une aplasie est de protéger le patient des différents risques infectieux de nature bactérienne, virale ou fongique.
Le personnel soignant est composé d’une équipe d’hématologues greffeurs pédiatres français et marocains, d’une coordinatrice médicale d’allogreffe, d’un major infirmier, d’infirmières spécialisées en allogreffe pédiatrique, dont une infirmière coordinatrice greffe, d’aides soignantes, d’une diététicienne, d’une psychologue, d’une assistante-sociale, et d’une équipe de kinésithérapeutes. Le personnel soignant médical et paramédical est vêtu d’une sur blouse, qui est changée à chaque visite, d’une charlotte, d’un masque et de sur chaussures.

A qui s’adresse-t-elle?

A tous les patients pédiatriques, adolescents, jeunes adultes, nécessitant une prise en charge par allogreffe de moelle osseuse.

Parlez-nous de votre équipe et du partenariat avec l’Institut d’hématologie oncologie pédiatrique du Centre Léon Bérard ?

Nous travaillons en étroite collaboration avec nos confrères hématologues greffeurs pédiatres de l’Institut d’hématologie oncologie pédiatrique du Centre Léon Bérard, centre de lutte contre le cancer à Lyon où j’ai été formée et où j’ai exercé pendant plusieurs années avant de rentrer au Maroc. Il s’agit de l’un des premiers centres greffeurs pédiatriques européens, de renommée internationale. Nous leur présentons tous nos patients en RCP, permettant à ces derniers de bénéficier de l’expertise de ces éminents professeurs en médecine. Nous discutons et validons tous les protocoles pour nos patients en RCP. Ces pointures internationales nous assistent en présentiel et à distance en permanence et nous accompagnent dans toutes les étapes de traitement.

Quelles sont les consignes pour le patient après une allogreffe ?

En règle générale, de la greffe à six mois, mieux vaut au patient de ne pas s’éloigner du centre de greffe, du fait du risque d’infection et de poussées possibles de GVHD (Graft-Versus-Host-Disease ) aiguë.
De six mois à un an, le patient doit garder un fil à la patte avec son centre de greffe. Durant cette période le patient court le risque de contracter une infection virale saisonnière banale ou de déclarer un zona. De ce fait, il devra éviter à tout prix d’aller dans la foule et dans les lieux pollués, de prendre les transports en commun, de se baigner en mer ou en piscine, d’avoir un animal de compagnie ou d’avoir des rapports sexuels non protégés.
Il ne faut pas oublier, de plus, que l’exposition au soleil est interdite pendant au moins 2 ans si le patient a fait une GVHD. Il est reconnu qu’une exposition au soleil peut déclencher une nouvelle poussée de GVHD.

Que représente le coût de la prise en charge d’une telle intervention ?

Il est à souligner que l’allogreffe de moelle osseuse est pratiquement couverte par les prises en charge des mutuelles traditionnelles. Le coût reste cinq fois moins cher qu’en France par exemple, avec les mêmes technologies, compétences et expertises médicales et paramédicales.

Quels sont les risques de rejet notamment ?

L’allogreffe est une intervention comportant des risques, notamment celui du rejet. Seulement la balance bénéfice risque reste très en faveur de la réalisation de l’allogreffe, puisque le pronostic de la maladie initiale est très sombre. Le but du traitement immunosuppresseur est de prévenir le rejet de la greffe et, surtout, de prévenir ou de traiter une maladie du greffon contre le receveur, GVHD. Le traitement est poursuivi pendant, au moins, 6 mois puis, en l’absence de GVH, diminué très progressivement jusqu’à l’arrêt total.

Le mot de la fin peut-être…

Mon plus grand souhait est de donner la même chance de guérison à tous ces petits patients quelle que soit leur nationalité, leur couleur ou leur religion.

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